Professeure d’éducation religieuse à la retraite, Nancy Stokes (Emma Thompson) est une femme d’une soixantaine d’années qui a soigneusement évité les excès tout au long de sa vie. Son mari est décédé, elle est prise d’un inavouable désir d’aventure. Sur un coup de tête, Nancy se lance dans l’inconnu en réservant sur Internet une rencontre avec Léo Grande (Daryl McCormack), un jeune prostitué.

Dans l’intimité d’une chambre d’hôtel, la réunion improbable de l’ancienne prof et de l’escort boy aux valeurs opposées fait douter Nancy et nécessite une phase d’adaptation. Mais, au fil des rendez-vous, les langues se délient et les choses concrètes commencent alors que les personnalités se dévoilent. Derrière les échanges sur les pratiques sexuelles incluses ou non dans la prestation, Nancy et Léo vont partager une intimité au-delà de leurs attentes.

Confinement intime

L’actrice et scénariste Katy Brand a écrit une première version de Mes rendez-vous avec Léo en janvier 2020. Inspirée par cette rencontre improbable entre une femme d’âge mur et un jeune escort boy, l’auteure n’a pas tardé à avoir une première ébauche convaincante à proposer à des producteurs. Et la pandémie mondiale a offert un créneau inattendu à cette histoire intimiste. Alors que le monde entier est sonné par la propagation du virus, ce huis clos entre deux acteurs volontairement confinés dans une chambre d’hôtel tombe à point nommé.

Avec sa configuration minimale, le scénario de Katy Brand séduit un studio en quête de projets facile à tourner. Dès l’écriture, Katy Brand pense à son amie Emma Thompson pour incarner Nancy. Une inspiration qui s’avère récompensée car la star accepte immédiatement le projet, renforçant l’intérêt de la production. Tourné en mars 2021 en pleine pandémie, Mes rendez-vous avec Léo colle parfaitement dans sa forme avec le sujet de l’intimité qu’il évoque avec une grande subtilité.

Pretty man

Jeune et joli, difficile de ne pas envisager de prime abord Léo Grande comme une transposition masculine et moderne de l’iconique prostituée Vivian dans Pretty Woman (1990). L’escort boy commandé sur Internet en version 2.0 de la prostituée rencontrée dans la rue. Mais le film de Sophie Hyde s’éloigne de la comédie romantique du début des années 90 qui a cristallisé l’image de la prostitution – et de certains clichés – dans les esprits cinéphiles. Il offre en effet une vision qui se veut plus réaliste et complexe de la prostitution.

Assez habilement, Mes rendez-vous avec Léo traite certains sujets imposés par la situation sans verser dans les poncifs. Impossible en effet de ne pas évoquer l’ambiguïté du recours à la prostitution et la culpabilité qui en découle. Sans parler de la brûlante question de la différence d’âge. Des sujets attendus au tournant qui sont autant de pièges déjà maintes fois traités sur grand écran. Mais le scénario de Katy Brand évite habilement certains écueils en développant ces thématiques à travers le regard des deux protagonistes, avec leur propre sensibilité.

À aucun moment la fragile complicité qui s’installe entre Nancy et Léo n’est brisée par une réflexion qui viendrait s’imposer à eux sur ces sujets de société clivants. Évidemment la pression sociale pèse sur le couple improbable. En particulier sur les épaules de Nancy qui a toujours respecté scrupuleusement les règles de la bienséance qu’elle a soudain décidé de faire voler en éclats. Mais cette influence du monde extérieur qui influence insidieusement les identités s’exprime avec un regard distancié, à travers les expériences de Nancy et Léo. Les idées sont distillées sans que le discours ne soit dogmatique ni porteur d’un quelconque message. La fluidité des échanges ainsi préservée, le film est avant tout au service de l’expression de l’intimité des deux individualités.

Audacieux tête à queue

Conscient de ce qui se joue réellement dans cette chambre d’hôtel, Mes rendez-vous avec Léo se refuse à glisser vers la comédie romantique. Si le plaisir est au cœur des échanges plutôt que les sentiments, l’aspect comique est lui bien ancré dans ces rencontres. Mes rendez-vous avec Léo s’amuse de l’incongruité de la rencontre entre cette enseignante d’éducation religieuse et le jeune escort boy.

L’audace de Nancy qui ose franchir le pas infuse dans les dialogues coquins entre ces deux inconnus réunis pour la bonne cause de l’orgasme. Assez vite, la question des mots se pose lors des premiers échanges entre la femme gênée par sa propre audace et un prostitué qui en a vu d’autres. Le décalage n’empêche pourtant pas de se faire comprendre et de dire les choses directement une fois la finalité de la rencontre assumée.

La confession d’un orgasme encore inconnu ou la pratique du sexe oral sont autant de choses ajoutées à une liste de pratiques à tester pour ne pas mourir inexpérimentée. Les échanges entre Léo et sa cliente relativement coincée séduisent pour leur légèreté qui n’est qu’une façade. Car derrière les encouragements coquins de Léo et les sourires gênés de Nancy, ce sont deux intimités qui se dévoilent à travers des vies – sexuelles mais pas que – aux antipodes l’une de l’autre.

Identités intimes

La confiance établie, Mes rendez-vous avec Léo explore l’intimité physique mais ne tarde pas à la dépasser. Comme si ces échanges sur le plaisir et les zones érogènes étaient de simples préliminaires, la comédie polissonne de Sophie Hyde explore plus profondément ce que notre sexualité dévoile sur nous. Et à quel point nous sommes soumis aux représentations sociales dans la construction de l’intime.

Sans surprise, Nancy a tendance à vouloir protéger Léo de lui-même. Mère des deux enfants, l’ancienne professeure réalise un transfert maternel assez logique, du moins humain. Une réaction qui s’inscrit dans le syndrome classique du sauveur (en général il s’agit d’un homme) parfaitement documenté par le sus-cité Pretty Woman. Le titre original du film Good Luck To You, Leo Grande renvoie d’ailleurs au personnage du prostitué et non à Nancy, à l’inverse de sa traduction en français, en lui souhaitant une bonne chance. Avec un sens volontairement ambigu.

Mais Léo renvoie gentiment Nancy a ses propres blocages lorsqu’elle tente de s’immiscer dans ses choix de vie. Et la relation vacille lorsqu’elle cherche à deviner son véritable nom et sa situation familiale. Une question qui dépasse les bornes pour le jeune prostitué qui n’a aucune envie de révéler à une cliente ce type d’intimité. Tel un super héros du sexe pouvant faire atteindre l’orgasme à coup sûr à ses client.e.s, Léo a besoin de rester dans son personnage pour que la magie opère. Chacun a ses limites.

La vérité nue

L’aspect le plus réussi du film réside dans sa capacité à évoquer l’intime en détournant ce que l’on pouvait en attendre au départ. Mes rendez-vous avec Léo utilise la sexualité pour atteindre au final une réflexion plus métaphysique sur le désir au sens large. Confrontés à leurs contradictions, Nancy et Léo explorent les choix d’une vie et parfois ses regrets. Ces après-midi à l’abri du monde invitent à faire face à l’inhérente solitude qui accompagne l’existence.

Et la représentation du sexe dans tout ça ? Pas d’hypocrisie, le sujet de la nudité se pose évidemment dès que Léo pénètre dans la chambre de Nancy. Que va-t-on voir réellement ? Si les dialogues sont plutôt directs qu’en est-il de la nudité frontale – essentiellement féminine – qui s’affiche en général sans tabou dans les films ? Une question qui prend un aspect particulier lorsque l’actrice est une femme de plus de 60 ans.

Emma Thompson nue, vraiment ? Le film oppose une certaine retenue ludique à la nudité tout au long du film pour mieux nous percuter alors que l’on ne s’y attend plus. Pour cette audace, le « courage » de l’excellente Emma Thompson sera certainement relevé. Mais l’utilisation même du terme nous renvoie surtout au rapport compliqué de la société aux corps vieillissant, sans parler de leur sexualité. Au cinéma comme ailleurs. Et pour cette raison, Mes rendez-vous avec Léo s’avère une aventure très libératrice.

> Mes rendez-vous avec Léo (Good Luck To You, Leo Grande), réalisé par Sophie Hyde, Grande-Bretagne, 2022 (1h37)