Lorsqu’elle s’installe comme agricultrice dans les environs de Saint-Malo, Anaïs, 24 ans, ne se doute pas de l’immensité de la tâche qui l’attend. Elle affronte cependant avec force les épreuves qui se dressent devant elle : professeurs misogynes, tracteur en panne ou encore les inévitables caprices de la météo.
10 ans plus tard, Anaïs est désormais mariée avec Seydou, un jeune Sénégalais rencontré en vacances. Avec ce coup de cœur, elle découvre un autre type de contraintes. Les deux amants subissent la pression des frontières qui complique tout. Des épreuves auxquelles il faut désormais faire face ensemble, en tant que couple.
En deux temps
Tout débute lorsque la réalisatrice Marion Gervais entend parler d’une jeune femme qui vient de s’installer dans un champ, près de chez elle. Son but : faire pousser des plantes et vendre ses tisanes dans le monde entier. Anaïs vit à l’époque dans une caravane à la dure sans eau ni électricité et s’est déjà forgé une réputation de forte tête solitaire, à la frontière de la misanthropie. Pas de quoi décourager la cinéaste qui décide de la suivre dans ses combats quotidiens. De cette rencontre naît Anaïs s’en va-t-en guerre (2014), premier film documentaire de la réalisatrice.
Porté par la personnalité pugnace et solaire de l’agricultrice, le film réalise près d’un million de vues sur internet. Une amitié débute entre les deux femmes et Marion Gervais continue à suivre l’évolution de sa voisine, toujours en lutte pour ses convictions. 10 ans plus tard, Anaïs s’en va aimer (2023) donne des nouvelles de l’agricultrice qui est désormais mariée avec Seydou rencontré à Casamance. L’occasion de raconter un autre type de combat, à deux cette fois-ci.
Pré jugé
En réunissant les deux films, Anaïs, 2 chapitres montre l’évolution professionnelle et personnelle d’une jeune agricultrice aux fortes convictions confrontée à des épreuves diverses. À travers son parcours, la difficulté de lancer son entreprise dans le monde rural et celle de vivre avec un étranger entre en résonance avec le point commun d’une détermination sans faille. Une somme de préjugés que la jeune femme atomise avec un ton cash réjouissant.
Lorsqu’elle a lancé sa petite installation de plantes aromatiques, Anaïs a dû faire face à une misogynie parfois masquée en compliments. On lui fait ainsi remarquer qu’elle était « trop jolie » pour se lancer dans l’agriculture. Son statut de jeune femme ne venant pas du milieu agricole a aussi été considéré comme un frein pour certains. Autant d’obstacles que l’agricultrice franchit progressivement tout en apprenant à se vendre pour écouler ses tisanes car, même au milieu d’un champ, il faut bien jouer selon les règles du jeu capitaliste.
En liberté
Dix ans plus tard, le seconde partie du film permet de retrouver Anaïs confrontée à un autre genre de tracasseries administratives. Pour faire venir Seydou, son mari sénégalais, l’agricultrice est confrontée à une paperasse kafkaïenne qui n’a rien à envier à celle rencontrée lors de son installation. Ces difficultés contre lesquelles elle s’emporte aisément permettent d’esquisser la montée d’un racisme latent qui devient décomplexé et la montée du RN dans le village breton lors de l’élection présidentielle de 2022.
Une chose est certaine, la cinéaste qui a été directrice de casting pour Bruno Podalydès, Claire Denis ou encore Chantal Akerman ne s’est pas trompée en braquant sa caméra sur la jeune agricultrice. Avec son côté rock’n’roll et sa sincérité sans filtre, Anaïs livre un point de vue rafraîchissant sur la liberté même si ces combats ne se font pas sans certaines concessions, à commencer par la vie de couple.
La proximité entre la cinéaste et son sujet permet de capter ces moments difficiles que le couple a accepté de livrer à la caméra. Cette confiance est l’un des points forts de ce documentaire dont les deux parties se répondent avec en toile de fond la volonté de vivre sans subir sa vie. Pour Anaïs, cela signifie faire ce qu’elle veut, en évitant l’usine et de « travailler pour des cons ». Une vie en marge d’une société perçue comme trop rigide et sans poésie.
Réunion inspirée de deux films, Anaïs, 2 chapitres livre un portrait sur le temps long d’une agricultrice rebelle qui charme pour la force de ses convictions et sa liberté de ton. Un parcours qui invite à réfléchir à cette succession de concessions qui nous éloignent peu à peu de nos véritables désirs de vie.
> Anaïs, 2 chapitres, réalisé par Marion Gervais, France, 2024 (1h44)