« Voyage à deux », des routes sentimentales

« Voyage à deux », des routes sentimentales

« Voyage à deux », des routes sentimentales

« Voyage à deux », des routes sentimentales
  • Au cinéma le 15 juillet 2020

    Mariés depuis une décennie, Joanna et Mark Wallace se rendent une nouvelle fois en France, pays de leur rencontre. Ce voyage est l'occasion pour le couple en crise de se remémorer leurs précédentes escapades émaillées de bons et mauvais souvenirs. Chef-d'œuvre intemporel mêlant avec perfection comédie romantique et drame d'un amour évanescent, Voyage à deux de Stanley Donen ressort en salles en version restaurée 4K. L'occasion rêvée de reprendre la route avec Joanna et Mark, couple mythique aux tourments si attachants.

    Il y a douze ans, Joanna (Audrey Hepburn), étudiante en musique, et Mark Wallace (Albert Finney), apprenti architecte, se rencontrent dans le Sud de la France. Entre l’espiègle et radieuse jeune femme et le séducteur arrogant le premier contact n’est pas probant. Pourtant, le hasard en décide autrement. Une décennie plus tard, les voici mariés, parents d’une petite Caroline… et en crise.

    Pour inaugurer le dernier projet architectural conçu par Mark, le couple se rend une nouvelle fois en France. De Londres à Saint Tropez, ils se remémorent leurs précédentes vacances sur ces routes déjà empruntées à travers un kaléidoscope mémoriel : leur première rencontre, les moments inoubliables de leur vie de jeunes mariés mais également les trahisons qui ont laissé de douloureuses cicatrices.

    Tous ces évènements tristes ou radieux sont évoqués à travers des flashbacks désordonnés retraçant le parcours du couple. Autant de morceaux de vie qui ont forgé ce couple au bord de la rupture qu’ils n’auraient jamais imaginé devenir. Nostalgique et plein de rancœurs, ce nouveau périple pourrait être leur dernier ensemble.

    Voyage à deux - photo © 20th Century Studios

    L’éternel voyage

    Plus d’un demi-siècle après sa création, la comédie romantique douce-amère de Stanley Donen, réalisateur de l’incontournable Chantons sous la pluie (1952) et de Drôle de frimousse (1957) et Charade (1963) — déjà avec Audrey Hepburn —, n’a rien perdu de son charme.

    Film intemporel, Voyage à deux décrit avec une justesse admirable les joies et les affres d’une relation en prise avec le temps qui passe. Longtemps disponible uniquement en DVD en France, le film a été publié en Blu-ray il y a quelques semaines dans une version restaurée chez l’éditeur Wild Side Video et ressort désormais en salles. Une occasion unique de (re)découvrir sur grand écran l’un des meilleurs films réalisés sur le couple.

    Voyage à deux - photo © 20th Century Studios

    Covoiturage parfait

    Difficile d’établir la liste exhaustive des moments de grâce qui font de Voyage à deux un périple si attachant mais il est évident que sa longévité dans les cœurs cinéphiles doit beaucoup à une réunion de talents en parfaite osmose. La magie commence avec le passage inspiré du brillant scénario à l’écran.

    Avec un sens du rythme imparable, Stanley Donen donne vie et relie avec malice les scènes éparses imaginées par le scénariste Frederic Raphael. En ignorant la logique, celles-ci s’entrecroisent habilement et forment un puzzle temporel captivant, à la fois ludique et émouvant. Reliés par la sublime musique signée Henry Mancini où pointe une tendre nostalgie, les voyages se suivent et ne se ressemblent pas, passant sans cesse de l’amour au ressentiment.

    De Donen à Kubrick

    Pour construire ce labyrinthe temporel, Frederic Raphael s’est inspiré de ses périples estivaux réalisés avec sa femme. Plus de trois décennies plus tard, le brillant scénariste adaptera avec un autre Stanley célèbre La Nouvelle rêvée (Traumnovelle) de l’écrivain autrichien Arthur Schnitzler. Là encore une histoire de couple en crise qui sera la conclusion de l’impressionnante filmographie du maître Kubrick.

    Voyage à deux - photo © 20th Century Studios

    Avec le recul, Eyes Wide Shut (1999) se révèle un compagnon de route étonnant de Voyage à deux. Malgré son versant plus psychanalytique et torturé, le film de Stanley Kubrick possède un intriguant effet de miroir avec celui de Stanley Donen.

    « Fuck », provocante proposition et dernière parole prononcée dans Eyes Wide Shut par le personnage de Nicole Kidman, entre en résonance avec la suggestion — beaucoup plus discrète — chuchotée par Joanna au creux de l’oreille de son mari vers la fin du film.

    Inaudible pour le spectateur qui doit en imaginer la teneur exacte, la proposition n’est pour autant pas moins téméraire. Des années 60 à l’aube du XXème siècle, rien ne semble avoir vraiment changé : d’un Stanley à l’autre, les plaisirs de la chair sont loués comme thérapie aux maux du couple. Et dans les deux cas, la femme a le dernier mot.

    Voyage à deux - photo © 20th Century Studios

    Tomber amoureux sans se blesser

    Tomber amoureux de Voyage à deux c’est également succomber au charme de ses interprètes. Audrey Hepburn, évidemment. Un attrait légèrement faussé car le spectateur peut déjà être envoûté par l’actrice — mais aussi la femme qu’elle était — avant même de découvrir Joanna.

    Dans le peau de ce personnage solaire et tourmentée, Audrey Hepburn irradie avec un naturel désarmant. Albert Finney — incarnant le farfelu père d’Ewan McGregor dans Big Fish (2003) de Tim Burton — réussit quant à lui l’exploit de rendre attachant cet architecte ambitieux à l’égoïsme assumé.

    Au final, que l’on tombe sous le charme de Joanna, de Mark, ou des deux, c’est bien de leur relation dont on tombe amoureux. Ce lien qui les unit, dont l’histoire est revisitée avec ses hauts et ses bas, prend peu à peu forme dans toute sa complexité à travers une décennie mouvementée. Leur amour devient ce personnage immatériel qui évolue tout au long du film de façon chaotique et que l’on ne veut pas voir succomber à ses blessures.

    Voyage à deux - photo © 20th Century Studios

    Toutes les scènes subtilement entremêlées nous renvoient au chevet de cette union malade, souffrant des trahisons, non-dits et petites mesquineries accumulées. Des épreuves qui ont transformé Joanna et Mark en une entité qui les dépasse, un monstre de ressentiment prêt à les dévorer.

    Ce genre de couple

    La grâce est une question d’équilibre. Voyage à deux continue à fasciner car il dépeint avec justesse et honnêteté les bonheurs comme les déceptions qui éloignent peu à peu Joanna et Mark. Avec une précision chirurgicale, cette comédie parfois cruelle réalise l’autopsie saisissante d’un amour à la dérive.

    La construction en labyrinthe de ces voyages rend d’autant plus douloureuse cette haine qui s’infiltre peu à peu entre les deux amants. À la nostalgie des rires passés s’oppose le silence méprisant de l’habitude.

    Voyage à deux - photo © 20th Century Studios

    Cette absence de communication entre Joanna et Mark faisant place à une indifférence glaciale est relevée par un cruel effet miroir. Avant leur première nuit ensemble, Joanna fait remarquer à Mark un couple assis à la même table qui ne se parle pas. Normal, il s’agit d’un couple marié remarque avec un sourire malicieux Mark.

    Quelques années plus tard, le couple insouciant est devenu ce couple marié qui n’a plus rien à se dire. Sans crier gare, la relation s’est détériorée et le constat est sans appel : Joanna et Mark sont désormais « ce genre de personnes » qui s’ignorent pour éviter le conflit. Ce type de couple dont ils se moquaient il n’y a encore pas si longtemps sans imaginer qu’ils contemplaient alors leur destin.

    Voyage à deux - photo © 20th Century Studios

    Discrète agonie

    Mais à quel moment cela s’est-il produit ? Le film n’apporte pas de réponse. Si le mariage est une cible facilement identifiable, il est surtout le symbole du temps qui passe et emporte avec lui la complicité. Voyage à deux ne pointe du doigt aucun point de bascule mais dépeint un lent délitement perceptible en associant les pièces du puzzle qui s’assemblent de façon désordonnée devant le spectateur.

    Cette absence de cause précise rend le glissement de l’amour vers le désintérêt voire la haine d’autant plus terrifiant. Sans accusé, le procès de l’amour malade semble impossible et la sentence inéluctable. À moins de rester sur ses gardes tout au long du voyage et de se souvenir des mots chuchotés par Joanna à l’oreille de son mari.

    Comédie romantique éternelle, Voyage à deux dépeint avec une précision admirable les épreuves d’une vie de couple, de sa genèse insouciante à la routine indifférente. Un périple doux amer dans lequel on embarque avec un bonheur sans cesse renouvelé, sur les routes tortueuses du fragile et précieux sentiment amoureux.

    > Voyage à deux (Two For the Road), réalisé par Stanley Donen, Royaume-Uni, 1967 (1h52)

    Voyage à deux (Two For the Road)

    Date de sortie
    15 juillet 2020
    Durée
    1h51
    Réalisé par
    Stanley Donen
    Avec
    Audrey Hepburn, Albert Finney, Eleanor Bron, William Daniels, Claude Dauphin, Jacqueline Bisset
    Pays
    Royaume-Uni