Neuf mois après un premier biopic consacré au mythique créateur, Yves Saint Laurent est – déjà – de retour dans les salles obscures, une situation qui rappelle l’incroyable télescopage de la sortie quasi simultanée de deux remakes de La guerre des boutons (1962).
Alors, overdose de chic ? Finalement non, grâce à la bonne idée – apparemment aidée par la taille du budget – d’axer une grande partie du film sur la période allant de 1967 à 1976, au lieu de tenter un film fleuve voulant tout raconter. Le ton employé est aussi radicalement différent du premier biopic : plus libre, cette nouvelle lecture de la vie d’Yves Saint Laurent est également plus exaltante visuellement.
Kaléidoscope pop
Le Saint Laurent de Bertrand Bonello gagne haut la main le prix de la mise en scène face à son prédécesseur, plus proche de l’esthétique conventionnelle d’un téléfilm. Ici le réalisateur affirme un style : il ose, use – et parfois abuse – de divers effets, split screens, montage sur fond de musique pop, scènes hallucinatoires avec des serpents et effets de miroirs sont autant d’artifices qui déstabilisent le spectateur. Le but ? Rendre palpable la vie débridée du créateur de génie, de la fin des années 60 à l’aube de la décennie suivante.
Une écriture libre qui n’hésite pas à mélanger les époques en alternant Yves Saint Laurent jeune – incarné par Gaspard Ulliel, impressionnant – et son pendant de la fin des années 80, malade et fatigué, joué par un Helmut Berger émouvant. Ce tourbillon décomplexé gagne son pari : accrocher pendant deux heures et demie le spectateur, reste à savoir si l’angle très intime choisi pour évoquer le personnage lève le voile sur son mystère.
Moins de Saint, plus de Laurent
Plus fulgurant par son esthétique, Saint Laurent est également moins lisse dans son propos. Contrairement au Yves Saint Laurent réalisé par Jalil Lespert, ce nouveau biopic n’a pas reçu l’aval de Pierre Bergé, le compagnon de route du couturier. Par conséquent l’accès aux archives du créateur n’a pas été ouvert à l’équipe. L’œuvre s’éloigne du couple Yves Saint Laurent et Pierre Bergé (Jérémie Renier) – sans minimiser pour autant la place primordiale de ce dernier dans la fondation de l’empire Saint Laurent – et s’attarde plus sur la relation destructrice du créateur de mode avec Jacques de Bascher (Louis Garrel), à l’époque également amant de Karl Lagerfeld.
Le réalisateur livre une vision plus ouvertement décadente de Saint Laurent, plus instinctive et mélancolique à une période ou l’homme accède au succès mais découvre également la dépression. Bonello tente de dévoiler au grand jour la légende à grand renfort de scènes intimes visant à mettre à nu, littéralement, le créateur et son mal-être, mais à trop focaliser sur la thématique charnelle et la décadence, il prend le risque de perdre de vue l’activité créatrice.
Le premier biopic de Lespert, fictionnalisation sans surprise du documentaire L’amour fou (2010) de Pierre Thoretton, semblait trop sage pour être honnête. Le Saint Laurent de Bonello est plus excitant – au niveau visuel et narratif – mais reste une lecture très personnelle de la vie du créateur. De quelle vision le génie créatif reposant désormais au jardin Majorelle à Marrakech se sentirait-il le plus proche ? Question au final assez futile tant l’œuvre laissée à la postérité éclipse les expériences d’une vie, aussi excessive fût-elle. Tout le reste – éternelle matière à films – n’est que fantasme et curiosité.
> Saint Laurent, réalisé par Bertrand Bonello, France, 2014 (2h30)