Lake, 18 ans, a une relation avec Désirée, une adolescente de son âge, et un job de surveillant à la piscine, une existence plutôt ordinaire… jusqu’au jour de l’incident. Alors qu’il pratique un bouche-à-bouche pour sauver un vieillard de la noyade, l’érection déclenchée par ce contact inattendu agit comme une très concrète prise de conscience. Le jeune homme, devenu aide-infirmier, se découvre peu à peu une attirance pour les vieux messieurs, confirmée lorsqu’il rencontre M. Peabody, un séduisant patient de 81 ans. Très vite une amitié, puis une relation amoureuse, naissent entre Lake et cet octogénaire. Une idylle qui les poussera à prendre la route, loin des médicaments et de l’atmosphère aseptisée de l’hôpital, pour profiter pleinement de leur relation.
Avec Gerontophilia, Bruce LaBruce, l’enfant terrible du cinéma gay canadien, met de côté la crudité de la forme (le porno pur et dur avec sexes en érection dans tous les sens), pour offrir son premier film « mainstream ». Connu pour ses œuvres trash -le mort-vivant extraterrestre de L.A. Zombie (2010) ressuscite des cadavres en copulant avec eux, par exemple-, le réalisateur éloigne de son objectif tout contenu sexuellement explicite mais ne tombe pas pour autant dans la mièvrerie. Il a souhaité revisiter Lolita de Nabokov en inversant les rôles : un jeune qui s’éprend d’un octogénaire étant évidemment une situation plus originale, ou moins visible au cinéma, qu’un homme âgé excité par une adolescente. Désirer et tomber amoureux d’une personne âgée, le tabou ultime ?
Old is beautiful
En nous mettant devant le fait accompli, Gerontophilia nous pousse à nous interroger : un jeune qui couche avec un vieux, en quoi est-ce si dérangeant ? Alors évidemment il s’agit d’une relation entre deux hommes, et cela suffit à choquer les homophobes de base (pléonasme !), prompts à s’intéresser aux fesses des autres au lieu de s’occuper des leurs. Mais laissons-les s’étouffer avec leur pop corn « pour tous » et retenons uniquement le rapport au (vieux) corps, omniprésent dans le film. L’attirance de Lake pour ces organismes ridés, malades, usés par la vie tranche avec une société de consommation pour qui n’existent que des « seniors » cool et en pleine forme. Ceux qui ne correspondent pas à cette vision sont éloignés et vivent seuls dans des maisons de retraites plus ou moins glauques ou bien se retrouvent, à l’image de M. Peabody shooté par ses médicaments, dans un lit d’hôpital. Le film nous invite à ne pas détourner le regard de ces corps fatigués et, pourquoi pas, à leur faire une vraie place au sein de la communauté.
Bruce LaBruce, doté pour la première fois d’une équipe et d’un budget conséquents, prouve qu’il est capable d’une esthétique soignée, débarrassée des stigmates du porno qui pouvaient faire planer le doute jusque-là. La relation entre Lake (Pier-Gabriel Lajoie, convaincant dans son premier rôle au cinéma) et M. Peabody (Walter Borden, magnifique) aurait pu être creusée un peu plus en profondeur mais l’essentiel du message est là. Le périple de ce couple d’amants insolite est aussi dérangeant que rafraîchissant et c’est ce qui fait la force de ce film clairement subversif, dans le bon sens du terme : révolutionnaire.
> Gerontophilia, réalisé par Bruce LaBruce, Canada, 2013 (1h22)