Jeune étudiante vivant à Téhéran, Fereshteh (Sadaf Asgari) reçoit un appel de ses parents qui va chambouler sa journée. En visite surprise en ville, ils s’invitent chez elle pour la nuit. Problème : ses parents ignorent que leur fille a un bébé qu’elle élève seule. Fereshteh n’a que quelques heures devant elle pour trouver à qui confier sa fille.
Avec l’aide de sa fidèle amie Atefeh (Ghazal Shojaei), Fereshteh tente de trouver une solution en sollicitant son entourage. Mais la jeune femme enchaîne refus et désistements de la part des personnes approchées. Voisins, amis, connaissances… personne ne veut prendre la responsabilité de garder son bébé. Même juste pour une nuit…
Vieux bébé
À l’origine de ce second long métrage d’Ali Asgari, un court métrage qu’il a réalisé en 2014. Inspiré par une photo de deux jeunes filles prise dans la rue et les confidences d’une amie du réalisateur, The Baby évoque le désir d’enfant contrarié par une famille traditionnelle et le refus du mariage. Huit ans après, Ali Asgari ne pense pas que la société iranienne ait beaucoup évolué à ce niveau et reprend ce parcours du combattant pour faire garder un bébé en version longue.
Si vivre avec un petit ami hors mariage commence à être accepté pour une jeune fille, élever seule un enfant reste tabou. Cette situation de mère célibataire mal vue par la société complique énormément la tache de Fereshteh pour confier son bébé. Cette recherche d’une baby-sitter pour la nuit, démarche a priori très banale, devient, au fil des refus, un périple stressant qui révèle une société sous pression.
La loi à papa
Filmé au plus proche du réel, Juste une nuit monte progressivement en tension transformant cette quête de garde d’enfant en véritable chemin de croix. Lorsque Fereshteh reçoit l’appel de ses parents, son premier réflexe est de vider son appartement de toutes les affaires de sa fille. Il ne doit rester aucun indice leur permettant de découvrir ce statut honteux à leurs yeux de jeune mère célibataire.
Fereshteh sollicite ses voisines pour qu’elles récupèrent ces affaires décidément très encombrantes pour un être encore si petit. Un grand déménagement qui inclut la réserve de couches stockée dans un placard. Une précaution qui symbolise l’anxiété de la jeune mère devant la crise économique qui touche l’Iran. Soumise à la pression sociale, la jeune femme ne peut avouer la véritable raison de ce grand chambardement et prétexte un traitement anti insectes dans son appartement.
Ce premier mensonge en dit long sur l’impossibilité d’assumer sa situation de jeune mère célibataire auprès de ses voisins et l’isolement dans lequel elle se trouve. Lorsque les voisines rechignent à accepter ses affaires, leurs réactions peu enthousiastes voire méfiantes laissent entrevoir un périple bien plus complexe que prévu. Fereshteh se heurte en effet aux lois d’un gouvernement qui rendent très compliqué ce qui devrait être une simple formalité. Dans ce système patriarcal bien huilé, certains tentent de profiter de sa situation de faiblesse. Avec la loi pour allié, le médecin chef que Fereshteh croise fait partie de ces notables qui n’ont aucun scrupule à essayer de tirer profit du système.
Tension sociale
Mais les obstacles qui se dressent devant la jeune femme dépassent la simple application d’une loi étouffante. Le parcours de combattante de la jeune mère est également dû à un rejet social et culturel fortement ancré dans les esprits. Les voisines qui hésitent à apporter leur aide ou l’épouse d’un ami qui refuse catégoriquement d’accueillir le bébé symbolisent cette réticence à aider celle qui s’est mise dans une situation jugée bancale.
Dans l’entourage de Fereshteh, tous sont soumis à cette pression sociale qui encourage à ne pas trop se mêler des problèmes des autres afin d’éviter d’éventuelles représailles. D’autant plus lorsqu’il s’agit de prendre la responsabilité du bébé d’une jeune mère célibataire. Par conviction morale ou par crainte, chacun a une bonne raison de fermer sa porte à la jeune étudiante.
Avec un refus provenant d’une femme, Juste une nuit dépasse l’idée que le souci proviendrait uniquement d’un point de vue masculin. Cette pression patriarcale qui rend très compliquée la mission de Fereshteh est totalement intégrée par cette femme qui la juge moralement. Loin de toute solidarité féminine, la femme sollicitée ne soutient clairement pas l’idée d’une émancipation des iraniennes. La confrontation n’est pas vécue à travers le prisme femme/homme mais comme une opposition entre idées traditionnelles et aspirations réformatrices.
Faire naître l’espoir
Au fil des refus et des épreuves, Fereshteh s’enfonce dans la nuit avec son bébé dans les bras incapable de lui trouver un refuge. Sa galère éclaire les blocages politiques et sociaux d’une société renfermée, par peur ou conviction, sur des positions rejetant une maternité vécue en solitaire. Avec son amie Atefeh, Fereshteh incarne une résistance silencieuse mais déterminée face à une culture patriarcale étouffante.
Juste une nuit est porté par ce souffle discret d’une révolution latente. De cette jeunesse exaspérée provient l’étincelle d’un combat à la base féministe pouvant entrainer dans son sillage le reste de la population. L’invasion du politique dans la vie intime de Fereshteh résonne de façon saisissante avec la situation actuelle d’un pays qui s’est embrasé suite au décès de Mahsa Amini.
La conclusion de Juste une nuit incarne la volonté d’une génération à faire voler en éclats des règles et traditions considérées comme dépassées. Dans les bras de Fereshteh, cette fille dont personne ne veut assumer la garde est un symbole fort, l’espoir d’un avenir plus libre.
> Juste une nuit (Ta Farda), réalisé par Ali Asgari, Iran, 2020 (1h26)