Zahira (Lina El Arabi), belgo-pakistanaise de dix-huit ans, est très proche des membres de sa famille jusqu’au jour où on lui impose un de choisir un mari dans le cadre d’un mariage traditionnel. Écartelée entre les exigences de ses parents, son mode de vie occidental et ses aspirations de liberté, la jeune fille compte sur l’aide de son grand frère et confident, Amir (Sébastien Houbani), pour apaiser la situation. Mais la crainte du scandale va venir bouleverser l’harmonie familiale et entraîner les protagonistes dans une tragédie implacable.
La tradition de la honte
Le réalisateur Stephan Streker aborde avec subtilité le conflit entre la tradition séculaire — ici celle du mariage arrangé — et l’aspiration moderne à la liberté. Dans cette famille aimante, Zahira — interprétée avec conviction par la rayonnante Lina El Arabi dont c’est le premier rôle au cinéma — se retrouve confrontée au dilemme de choisir entre le respect de la coutume et son désir qui la pousse dans les bras de Pierre (Zacharie Chasseriaud). Dans son malheur, la jeune femme a pourtant de la chance : son futur conjoint ne lui est pas imposé directement, elle a en effet la possibilité de « choisir » sur photos entre trois jeunes hommes qui vivent au Pakistan. Une triste consolation pour Zahira qui a bien du mal à s’enthousiasmer pour celui qu’elle a choisi pour faire plaisir à ses parents : le plus gentil est loin de faire réellement battre son cœur.
Avec un sens du détail quasi documentaire — le cinéaste s’est beaucoup renseigné sur la communauté pakistanaise pendant la préparation du film —, Noces explore cette force appelée tradition qui emporte tout sur son passage, même les liens d’amour familiaux. Alors que son frère Amir tente de raisonner la jeune femme en lui expliquant que si elle refuse le mariage traditionnel c’est la honte pour l’ensemble de la famille, sa grande sœur tente également de lui faire accepter ce qu’elle considère lucidement comme une « injustice », comme elle a finit par le faire avant elle. Car après tout, comme lui dit sa sœur : la situation est injuste mais en tant que femmes, que peuvent-elles y faire ? Le drame montre avec brio comment l’étau se resserre progressivement sur la jeune femme, dans la situation impossible d’imposer sa propre volonté en sachant qu’elle nuira à sa famille. Le dilemme est d’autant plus troublant que cette tragédie moderne n’accable pas les protagonistes mais se focalise intelligemment sur la malédiction de la tradition, épée de Damoclès prête à s’abattre sur la première famille qui ne perpétue pas la coutume.
L’avis des autres
Le réalisateur belge a l’intelligence de ne pas se tromper de cible : dans cette situation tendue, il ne charge pas inutilement la famille de Zahira qui est prisonnière de ses propres croyances et surtout d’une impitoyable pression sociale qui pousse chacun de ses membres à convaincre la jeune femme qu’une union arrangée est la seule solution. Conscient que l’empathie va naturellement se porter vers Zahira, Noces met un point d’honneur à ne pas caricaturer les membres de la famille qui veulent la marier contre sa volonté. En posant un regard juste sur les motivations de chacun, Stephan Streker évite habilement le film à charge, avec des coupables tout désignés. Le cinéaste réussit à nous faire éprouver de la compassion pour le père de Zahira — physiquement accablé par la situation — et sa mère dépassé par la résistance de sa progéniture. Au-delà des individus, c’est bien la situation du mariage forcé vécu comme une tradition à laquelle il faudrait se soumettre qui est questionnée, ce qui rend le propos d’autant plus fort et troublant que le réalisateur n’impose pas au spectateur ce qu’il doit en penser.
Noces n’a rien à envier aux tragédies grecques : dans l’entourage de Zahira il n’y a pas monstres, mais une situation qui est intenable, proprement monstrueuse. Avec une finesse qui permet de cibler la tradition, reproduction de rites sociaux automatiques, et non la religion en elle-même, Stephan Streker fait évoluer ce drame familial vers une tension qui atteint un point de non retour et explose dans une fin marquante, pour ne pas dire traumatisante. Loin d’être gratuit, ce choix radical met en perspective la notion de liberté et le prix à payer pour en jouir face aux conventions sociales. Une fin qui vient renforcer le propos du film et laisse le spectateur seul juge, avec sa conscience et sa réflexion pour seule arme.
Sur le sujet sensible du conflit entre la tradition et la liberté individuelle, Stephan Streker réussit un véritable tour de force en proposant un drame familial d’une finesse et d’une intelligence remarquable. En respectant les motivations de tous ses personnages, Noces élève le débat et offre une vraie réflexion sur la question du mariage forcé.
> Noces, réalisé par Stephan Streker, Belgique – France – Luxembourg – Pakistan, 2016 (1h38)