« La fille au bracelet », procès boomers !

« La fille au bracelet », procès boomers !

« La fille au bracelet », procès boomers !

« La fille au bracelet », procès boomers !

Au cinéma le 12 février 2020

Accusée d'avoir assassiné sa meilleure amie, Lise, 18 ans, porte un bracelet électronique depuis deux ans. Alors que débute son procès, ses parents la découvrent sous un nouveau jour. Film de tribunal jouant avec une culpabilité insaisissable, La fille au bracelet met à distance la vérité judiciaire pour mieux capter le malaise de parents face à l'altérité de leur progéniture. Coup de vieux assuré !

Récente bachelière, Lise (Mélissa Guers) vit dans un quartier résidentiel sans histoire. Une existence a priori banale excepté le bracelet électronique restreignant sa liberté de mouvement qu’elle doit porter en permanence à la cheville. Deux ans auparavant, la jeune fille de 18 ans a été arrêtée suite à la découverte du corps sans vie de Flora, sa meilleure amie. Dernière personne à l’avoir vue vivante, Lise est suspectée de l’avoir brutalement assassinée et attend depuis son procès.

Après deux années d’une attente interminable, les parents de Lise, Bruno (Roschdy Zem) et Céline (Chiara Mastroianni), espèrent autant qu’ils redoutent ce procès qui doit enfin leur permettre de reprendre une vie normale. Au tribunal, ils sont rapidement déconcertés par un flot d’informations dressant un portrait inédit de Lise. Pour la première fois, leur fille semble leur échapper.

La fille au bracelet - photo © Matthieu Ponchel pour Petit Film - FraKas productions - France 3 cinema

Deux ans en suspens

Une famille insouciante s’amusant sur une plage : c’est avec cette scène très estivale que débute le nouveau film de Stéphane Demoustier. Mais le tableau idyllique est rapidement troublé par l’arrivée de policiers qui emmènent Lise sous les yeux de ses parents abasourdis. Projeté deux ans plus tard, le spectateur retrouve la jeune fille dans sa chambre, un bracelet électronique à la cheville. Avec une indolence étonnante, elle attend le début de son procès. Malgré l’ellipse, on sent chez le cinéaste l’envie de dépeindre deux années de torpeur brusquement interrompue par le début du procès.

Derrière une lassitude compréhensible, le père de l’accusée possède la détermination nécessaire pour en finir avec ce cauchemar qui n’a que trop durer. Celui qui pense alors que le procès ne sera qu’une simple formalité — il devra rapidement revoir sa position — apparaît comme un soutien fort pour surmonter la jeune fille dans l’épreuve. Symbole d’une épreuve usante, la mère de Lise semble avoir abandonné. Se cachant derrière l’excuse de son travail, elle n’est pas présente aux premiers jours du procès de sa fille. Usés par l’attente et divisés par le drame, les parents vont pourtant se retrouver liés par la même perplexité face à leur fille.

La fille au bracelet - photo © Matthieu Ponchel pour Petit Film - FraKas productions - France 3 cinema

Portrait de la jeune fille en flou

Tourné au tribunal de Nantes, La fille au bracelet se veut réaliste tout en assumant une situation et une accusée créées de toutes pièces. Le cinéaste s’est ainsi inspiré de véritables comptes rendus de procès et a choisi Pascal Garbarini, un avocat, pour incarner le président du tribunal. Avec une réalisation volontairement minimaliste, ce film de procès classique se repose sur les interventions de témoins et les interrogatoires de l’avocate de la défense et de l’avocate générale pour accrocher le spectateur.

Et cette mécanique simple mise en place par Stéphane Demoustier fonctionne plutôt bien. Pour capter l’attention, La fille au bracelet distille des pistes à la conclusion incertaine. Des indices confondants finissent par se dégonfler brutalement : le cinéaste joue avec les nerfs du spectateur en manipulant les fausses certitudes. Mais, plus que les indices matériels, c’est le mutisme et l’attitude a priori indifférente de l’accusée qui sème le trouble au sein de l’auditoire. Pour son premier rôle devant la caméra, Mélissa Guers est troublante dans la peau de cette adolescente nonchalante qui se mure dans le silence et n’en sort que pour prononcer des paroles maladroites.

La fille au bracelet - photo © Matthieu Ponchel pour Petit Film - FraKas productions - France 3 cinema

Difficile de savoir si la jeune fille est consciente que l’image qu’elle renvoie, apparemment détachée du meurtre de sa meilleure amie. Peut être s’en fiche-t-elle totalement. Le portrait de Lise proposé fourmille de zones d’ombre : la culpabilité de l’accusée est en suspens. Les adeptes de Sherlock Holmes et Mary Higgins Clark en seront pour leurs frais, La fille au bracelet laisse le spectateur se débrouiller avec son intime conviction.

Trop facile ?

Malgré sa faible expérience, la jeune avocate générale interprétée par Anaïs Demoustier est bien consciente qu’en l’absence de preuve déterminante le ressenti du jury est primordial. Et quoi de mieux que de diaboliser l’accusé pour convaincre le jury ? L’avocate générale charge donc la barque en insistant dès que l’occasion se présente sur les mœurs légères de l’adolescente qui avait 16 ans au moment des faits. Et le film de renvoyer assez habilement le spectateur à son rapport à la sexualité, et notamment à celle des adolescents.

Stéphane Demoustier dépend la sexualité adolescente comme un monde inconnu et insaisissable pour les adultes assistant au procès. De rapports sexuels sans sentiments à la conception même de l’intimité, Lise se retrouve soudain jugée non plus pour le meurtre supposé mais pour sa façon de vivre sa vie sexuelle. Le lien entre le sexe et le crime est alors implicitement établi, non sans hypocrisie.

La fille au bracelet - photo © Matthieu Ponchel pour Petit Film - FraKas productions - France 3 cinema

Lorsque Lise demande très justement pourquoi elle est considérée comme une « fille facile » alors que son partenaire n’est lui pas considéré comme un garçon facile, le propos féministe fait mouche. Comme dans toute bonne société patriarcale qui se respecte, la liberté sexuelle se retrouve connotée négativement lorsqu’il concerne une femme. La fille au bracelet capte assez finement ce procès parallèle qui n’a rien d’anodin.

Sexy killer

L’association faite par l’avocate générale de la sexualité — dépeinte comme débridée donc coupable — et de la culpabilité criminelle interroge. Sa stratégie n’est évidemment pas gratuite : en pointant les mœurs légères de l’accusée elle la désigne implicitement comme criminelle.

Le sexe et la violence irrémédiablement liés dans l’inconscient collectif, voilà le déclic que la jeune avocate générale tente de déclencher chez l’auditoire. Et dans tout ce tumulte, les parents de Lise tentent désespérément de retrouver leur fille.

La fille au bracelet - photo © Matthieu Ponchel pour Petit Film - FraKas productions - France 3 cinema

Do you know where your children are?

Savez-vous où sont vos enfants ? Cette question obsédante, apparue à la télévision américaine à la fin des années 60, résume parfaitement l’angoisse de parents largués devant des enfants qui grandissent trop vite. La sexualité de leur fille déballée sans pudeur est forcément dérangeante mais les deux parents découvrent surtout qu’ils ne savent pratiquement rien sur cette jeune fille devenue une inconnue au fil du procès.

Coupable ou innocente, la question est alors rapidement remplacée par une autre : Lise est-elle encore la fille de ses parents ? On imagine aisément la jeune fille lancer le désormais célèbre « OK boomer » à ses parents pour marquer sa rupture avec leur mode de pensée. L’incommunicabilité entre parents et progéniture est au cœur de ce drame familial déguisé en thriller judiciaire. Le verdict n’est que le point de départ d’une relation qui doit se réinventer… ou non.

Entre considérations féministes et fossé générationnel, Stéphane Demoustier explore la mystérieuse altérité adolescente plongeant la parentalité dans un abîme de perplexité. Avec son dénouement livré à l’interprétation du spectateur, La fille au bracelet a de quoi terroriser les (futurs) parents ou les préparer à la métamorphose d’un enfant en être humain indépendant, pour le meilleur et pour le pire.

> La fille au bracelet, réalisé par Stéphane Demoustier, France – Belgique, 2019 (1h36)

La fille au bracelet

Date de sortie
12 février 2020
Durée
1h36
Réalisé par
Stéphane Demoustier
Avec
Mélissa Guers, Chiara Mastroianni, Roschdy Zem, Anaïs Demoustier, Annie Mercier
Pays
France - Belgique