En 1970, Elvis Presley (Michael Shannon) se désespère de l’état de son pays. Patriote, le rocker décide d’agir en proposant son aide en tant qu’agent fédéral : la star s’imagine infiltré au sein du show business américain pour lutter contre la drogue. Pour faire rapidement avancer sa demande, Elvis se rend alors directement à Washington et dépose à l’improviste une lettre à la Maison Blanche, sollicitant un rendez-vous secret avec le président Nixon (Kevin Spacey). Fins communicants, les conseillers de Nixon, Egil « Bud » Krogh (Colin Hanks) et Dwight Chapin (Evan Peters) voient dans cette demande incongrue une occasion rêvée pour le président d’améliorer son image. Réticent dans un premier temps, Nixon finit par accepter le tête-à-tête sous la pression de sa fille. La rencontre improbable aura donc lieu, avec un peu d’hypocrisie des deux côtés, chacun cherchant son propre intérêt dans cette visite surréaliste. Pourtant, à la grande surprise des conseillers du président, l’homme politique et le chanteur vont également se découvrir des points communs sur des thématiques conservatrices.
Coucou, c’est Elvis !
Les circonstances du mythique cliché immortalisant la visite d’Elvis à Nixon au sein du bureau ovale — photo la plus demandée aux archives nationales — sont tellement incroyables que l’on peut suspecter la réalisatrice Liza Johnson d’en avoir rajouté pour rendre le tête-à-tête encore plus surréaliste. Et pourtant, à quelques détails et arrangements près — la photo a été prise au début de l’entretien et non à la fin comme dans le film —, ce que l’on voit et entend dans cette comédie loufoque a bien eu lieu. De la lettre écrite sur un papier en-tête American Airlines par le King dans l’avion qui l’amène à Washington pour solliciter un rendez-vous avec le président aux thèmes abordés pendant le rendez-vous, les archives et les mémos de la Maison Blanche attestent que la rencontre s’est bien déroulée dans cet étrange climat, laissant une grande part à l’improvisation.
Elvis venant déposer lui-même sa lettre à la Maison Blanche donne une idée du caractère surréaliste de cette rencontre, qui a finalement lieu grâce à une bonne dose d’hypocrisie. La rock-star vient solliciter le président dans l’unique but d’être fait agent fédéral et de son côté le leader du monde libre profite de la situation, encouragé par ses collaborateurs, pour redorer son image auprès de la population. Si Elvis force le passage jusqu’au bureau ovale en usant de sa notoriété, il est également utilisé à des fins purement politiciennes. Quatre ans avant le scandale du Watergate, Nixon réalise là une belle opération de communication en recevant la star dans son bureau. La comédie de Liza Johnson montre avec malice les coulisses farfelus de ce jeu de dupes qui a réunit les deux hommes, chacun essayant de tirer à son avantage la symbolique de l’entrevue. Plus étonnant encore, le rocker et l’homme politique se trouvent finalement certaines affinités.
Love me tender
Au-delà de la rencontre étonnante qui ne dure qu’une petite partie du film, l’intérêt de cette sympathique comédie historique est de découvrir une autre facette d’Elvis, en dehors du mythe, un homme avec ses névroses et ses convictions. Impulsif — il décide tout de même sur un coup de tête d’obtenir un rendez-vous avec le président —, Elvis est également assez touchant dans le portrait qui est fait de lui. Passionné par le karaté, les armes, et convaincu qu’il a un rôle à jouer dans le combat contre la drogue, le chanteur est persuadé qu’il peut devenir agent spécial, agissant en sous-marin dans le milieu du show-business. Une idée totalement farfelue qui en dit long sur le décalage du King avec la réalité et entraîne l’incompréhension chez ses interlocuteurs. Cette folie douce le rend assez attachant sans pour autant le faire tomber dans le ridicule, et l’interprétation impeccable de Michael Shannon y est pour beaucoup dans le subtil équilibre trouvé entre la folie du personnage et la sincérité de son engagement. L’acteur incarne la rock-star avec beaucoup de classe, loin des clichés habituels, et le rend d’autant plus crédible. En face, il en est de même pour Kevin Spacey dans la peau de Richard Nixon, qui doit désormais bien connaître les recoins du bureau ovale qu’il arpentait déjà dans la série House of cards. Si la quête d’Elvis peut paraître très enfantine, elle n’en est pas moins touchante tant elle révèle l’isolement de la star qui vit très — trop ? — bien entouré, notamment par sa femme Priscilla et son imprésario, le célèbre Colonel Parker. L’escapade imprévue à Washington est autant une quête de liberté et de reconnaissance qu’une façon d’échapper à la pression d’être Elvis Presley.
L’autre surprise est le rapprochement des deux hommes. Agacé par le comportement peu protocolaire de la star dans un premier temps, le président finit par éprouver de la sympathie pour l’interprète de Hound Dog. Unis par une crainte absolue de la menace communiste, phobie assez répandue à l’époque, l’idole et le président se retrouvent également sur le rejet de la contre-culture qui les dépasse. Il est d’ailleurs assez amusant d’entendre celui qui avait scandalisé l’Amérique puritaine avec son déhanché provocant s’offusquer d’un événement comme le festival de Woodstock. Avec leur combat contre la drogue, ces craintes de voir la société américaine sombrer dans la décadence rapprochent les deux hommes qui n’ont pourtant pas grand-chose en commun, à la grande surprise de leurs collaborateurs respectifs. Depuis ce rendez-vous précurseur, les politiques ont compris tout l’intérêt de s’entourer de vedettes médiatiques pour faire parler d’eux, pour le meilleur et pour le pire.
Avec des acteurs excellents, Liza Johnson nous fait revivre ce moment improbable de l’histoire des États-Unis, immortalisé par une photo restée gravée dans la mémoire de tous les Américains. Le film brode évidemment autour de cette courte rencontre au sommet, mais le fait avec intelligence en donnant du fond à cette anecdote à mi-chemin entre la politique et le monde du spectacle, oscillant entre hypocrisie et convictions.
> Elvis & Nixon, réalisé par Liza Johnson, France, 2016 (1h26)