« Le chant des vivants », en voix de reconstruction

« Le chant des vivants », en voix de reconstruction

« Le chant des vivants », en voix de reconstruction

« Le chant des vivants », en voix de reconstruction

Au cinéma le 18 janvier 2023

Au cœur de l'Aveyron, de jeunes exilés tentent de se reconstruire avec l'aide précieuse des membres de l'association Limbo. Pour exorciser leurs maux, ils mettent des mots en musique. Documentaire faisant surgir la lumière au cœur des ténèbres, Le chant des vivants est une œuvre hybride, collaboratrice et salvatrice. Autant témoin que facilitatrice d'une parole exprimant l'indicible. Un film de combat également orchestré par une réalisatrice engagée qui nous confronte à notre traitement problématique des migrants selon leurs origines.

Issus d’Érythrée, du Soudan, de Somalie, de Guinée ou encore de RDC, les jeunes femmes et jeunes hommes de ce documentaire sont des survivants de la longue route de l’exil. Situé au cœur de l’Aveyron, Conques leur offre un refuge dans une nature paisible qui leur permet de poser leurs lourds bagages émotionnels. Pris en charge par l’association Limbo, le groupe s’offre le temps de l’introspection.

Peu à peu, la parole se libère lors de séances d’art-thérapie. À l’automne, une idée saugrenue s’invite dans les esprits : mettre en musique la restitution de ces histoires aussi douloureuses à exprimer qu’à entendre. Le chant des vivants témoigne de cette expérience collective autant qu’il la met en scène. Ensemble, ces exilés vont traduire en autant de chansons qui frappent au cœur des épreuves qu’il devient alors impossible d’ignorer.

Le chant des vivants © TS Productions - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

De la barbarie à la liberté

En 2015, Cécile Allegra remporte le prix Albert Londres pour Voyage en barbarie (2014), documentaire qui raconte l’errance entre Le Caire et le cercle polaire arctique de six jeunes survivants des camps du désert du Sinaï. Elle y décrit les tortures subies : les corps soumis au feu, à l’électricité, la faim et la maladie. À l’automne de cette même année, la réalisatrice parvient grâce à l’OFPRA à faire sortir deux mineurs survivants. En France, ils s’installent dans un CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile) en Alsace.

Après cette expérience, la cinéaste décide de créer une structure d’accompagnement pour ces exilés qui reviennent de l’enfer. L’association Limbo compte une vingtaine de personnes : psychologues, art-thérapeutes et militants. Réunis dans le village de Conques, ils réfléchissent à la meilleure manière de soutenir les survivants des camps de torture libyens.

Le chant des vivants © TS Productions - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Déni de brutalité

Immersion au sein de l’association Limbo, Le chant des vivants est aussi une réponse viscérale de Cécile Allegra aux réactions à son travail documentaire. Quatre ans après Voyage en barbarie, la cinéaste tourne Libye : Anatomie d’un crime (2018) qui suit un militant des droits de l’homme découvrant le viol systématique sur les migrants en Libye. Et, malgré l’évidence, la cinéaste se heurte aux mêmes réactions qui minimisent l’horreur. Comme si, confrontés au pire, nous décidions de ne pas voir, de déformer une réalité trop cruelle.

Au-delà du mépris ou de l’indifférence, Cécile Allegra assimile ce processus de défense à une gêne tenace. Un aveuglement volontaire qui crée un fossé avec la victime qui devient, à son corps défendant, le symbole d’une inhumanité insupportable que l’on ne veut pas regarder en face. Comme le documentaire La Combattantelire notre critique -, le film de Cécile Allegra nous invite à entendre l’indicible et à réellement écouter ces parcours d’exilés. Une façon de mettre en avant les destins individuels en dehors des chiffres écrasant toute humanité.

Au-delà, c’est notre sensibilité à géométrie variable qui est également questionnée. Dans un pays où les thèses d’extrême droite s’expriment librement dans certains médias à longueur de journée dans l’indifférence générale, Le chant des vivants vient équilibrer une balance qui penche dangereusement vers la xénophobie banale. Le contexte de la guerre en Ukraine interroge également en creux notre capacité à nous émouvoir du sort des exilés selon leur couleur de peau et leur provenance.

Le chant des vivants © TS Productions - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Revenir des limbes

Les exilés survivants accueillis au sein de l’association Limbo depuis 2016 reviennent de loin, d’un endroit « pire que l’enfer » selon les mots de l’un d’entre eux. Le chant des vivants montre au fil des saisons l’évolution des jeunes pris en charge. Six fois par an, le village de l’Aveyron accueille une dizaine de jeunes ayant survécu aux camps de la Libye. Au cœur de ces séjours thérapeutiques, des séances d’art-thérapie et de musicothérapie.

Le dispositif met en lumière l’encadrement nécessaire pour que ces jeunes femmes et jeunes hommes puissent exorciser leurs démons. Il y a l’encadrement des professionnels et des bénévoles de l’association Limbo mais également le rôle des habitants de Conques. Un regard bienveillant qui aide chacun à se reconstruire au sein d’une nature qui est un véritable havre de paix. Difficile de ne pas penser à la solitude de celles et ceux qui n’ont pas cette chance, isolés sur les trottoirs des grandes villes sans cette chaleur humaine qui permet d’avancer.

Le chant des vivants © TS Productions - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Adoucir les mœurs

Au fil des semaines, chaque jeune finit par livrer sa vérité : l’expression d’un parcours chaotique et de ses séquelles. Certains mots ont la dureté d’une franchise tranchante, d’autres usent des tournures plus imagées. Parfois un détachement pudique sert d’arme de défense. Tous se racontent en des termes bouleversants. Cette parole couchée sur le papier pour mieux concrétiser le passé sert de base aux chansons qui vont être composées.

La création des morceaux au cœur du documentaire est l’aboutissement lumineux d’un long travail de plusieurs mois. Avec leurs paroles parfois déchirantes, ces morceaux travaillés avec le musicien Mathias Duplessy sont autant de petits miracles. Des victoires sur le mutisme évidemment mais aussi une façon de faire passer un message qui opte pour une forme artistique afin de percer le mur de la sidération face à l’horreur.

Pour mettre en valeur ces morceaux, Le chant des vivants quitte momentanément ce cinéma du réel qui capte les récits de ces exilés et adapte le format de « clips » musicaux où les jeunes interprètent leurs créations. Une scénarisation qui ne vient pas pour autant troubler le message porté par les morceaux tant leurs paroles sont fortes.

Le chant des vivants © TS Productions - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Œuvre collective, Le chant des vivants bouleverse autant pour les terribles histoires d’exil dévoilées que pour l’espoir d’une résilience trouvant écho dans les titres composés. La mélodie d’une lente reconstruction à écouter le cœur grand ouvert.

> Le chant des vivants, réalisé par Cécile Allegra, France, 2022 (1h22)

Le chant des vivants

Date de sortie
18 janvier 2023
Durée
1h22
Réalisé par
Cécile Allegra
Avec
Bailo, Egbal, Anas, David, Sophia, Hervé, Chérif, Mathias Duplessy
Pays
France