Chaque jour ou presque, Marco (Kamel Kadri) et Mehdi (Alain Demaria) plongent avec leurs amis depuis la Corniche Kennedy à Marseille. Depuis sa villa, Suzanne (Lola Créton) observent avec envie les exploits risqués de ces filles et garçons de son âge, issus des quartiers défavorisés. Fascinée par le spectacle de ces corps qui s’envolent dans les airs, la lycéenne abandonne ses cours pour tenter elle aussi le grand saut. Dans le groupe qui l’adopte malgré leur différence sociale, Suzanne va peu à peu se rapprocher de Marco… et de Mehdi, créant un triangle amoureux sous tension. Tout est réuni pour une situation explosive, d’autant plus que la policière Awa (Aïssa Maïga) suit à la trace Marco, impliqué dans les trafics de la mafia locale.
La fraîcheur de regard documentaire
Adaptation du roman de Maylis de Kerangal, le nouveau film de Dominique Cabrera nous entraîne dans les calanques marseillaises où des jeunes bravent la mort — et la réalité de leur condition sociale — dans des sauts impressionnants. Pour son retour à la fiction — Folle embellie, son dernier long métrage, date de 2004 —, la cinéaste habituée aux documentaires a tout naturellement opté pour une approche très réaliste. Après être entrée en contact avec un groupe de jeunes qui sautent depuis les tremplins naturels qu’offre la côte Marseillaise, Dominique Cabera a choisi de leur proposer d’incarner les personnages du film. Cette volonté de faire jouer des jeunes qui savaient déjà sauter plutôt que d’apprendre à le faire à des comédiens professionnels donne au film son aspect sincère et rafraîchissant. C’est ainsi que Kamel et Alain, adeptes de sauts mais sans aucune expérience d’acteur, donnent la réplique à Lola Créton qui interprète Suzanne — jeune fille aisée qui vient se frotter au danger — seule actrice professionnelle parmi le groupe de jeunes. Et ce choix qui aurait pu être risqué fonctionne agréablement. Sur le plateau, la différence de statut — acteur professionnel contre amateur — fait écho aux différences entre Suzanne et le groupe qui l’a adopté.
Tension vertigineuse
Si elle influe sur le parcours du trio, l’intrigue policière qui rythme Corniche Kennedy n’est cependant pas au cœur du film. Aux démêlés avec la justice de Marco, la réalisatrice préfère mettre en valeur cette pratique du saut dans laquelle Suzanne est happée, en même temps qu’elle s’attache aux deux amis. L’âme du film est contenue dans cette philosophie du saut, de sa mise en danger. Ces quelques secondes d’appréhension avant de s’élancer, suivi de la récompense : ce moment en apesanteur où le corps vole, débarrassé des contraintes physiques, où l’esprit ne pense plus, jusqu’à l’impact avec l’eau et le retour à la réalité. Ces courts instants de liberté, qui poussent à sauter de plus en plus haut pour les faire durer, sont la drogue de ces jeunes qui, bien que conscients des risques, cherche cette adrénaline pour se surpasser et accéder à quelques furtives secondes de paix. Le vertige qui paralyse et l’énergie qui se libère lors du saut, Dominique Cabrera les restitue avec grâce, offrant au film ses moments les plus séduisants. Pour le reste, Suzanne — figée dans son non-choix assumé entre ses deux amants — va se retrouver entraînée dans des histoires de trafic de drogue qui peinent à maintenir la tension jusqu’à la fin du récit. Mais peu importe la chute, l’essentiel était de s’élancer.
Avec un souci du détail issu du documentaire, Corniche Kennedy réussit à donner corps à cette pratique du saut — aussi illégale que libératrice — sur fond d’embrouille policière. Stimulant lors des séances de saut, le drame perd de sa superbe dès lors qu’il s’éloigne de la falaise et de l’élément liquide. Le charme de cette romance dramatique réside dans ces instants en apesanteur, quand tout semble encore possible.
> Corniche Kennedy, réalisé par Dominique Cabrera, France, 2016 (1h34)