« Affamés », l’enfance dévorée

« Affamés », l’enfance dévorée

« Affamés », l’enfance dévorée

« Affamés », l’enfance dévorée

Au cinéma le 17 novembre 2021

Dans une petite ville de l'Oregon, une institutrice et son frère policier enquêtent sur un jeune écolier. Les secrets qui entourent sa famille dysfonctionnelle vont les confronter à une terrifiante créature légendaire. Film d'horreur puisant sa force dans le réalisme social, Affamés convoque la légende amérindienne du wendigo pour mettre en lumière l'effondrement d'une société américaine déclassée. Une allégorie horrifique d'autant plus terrifiante qu'elle s'en prend aux enfants.

Après quinze ans d’exil, ​​Julia Meadows (Keri Russell) revient dans la petite ville minière de l’Oregon de son enfance pour exercer son métier d’institutrice. Pour renouer les liens distendus avec son frère Paul (Jesse Plemons), policier local, elle s’installe chez lui.

Lors de ses cours, Julia remarque le comportement absent du jeune Lucas Weaver (Jeremy T. Thomas) et soupçonne une maltraitance familiale. Renvoyée à son propre passé douloureux, l’institutrice décide de porter secours au jeune garçon au comportement mystérieux. Avec son frère, ils tentent de percer l’énigme qui entoure le jeune garçon sans se douter des effrayantes conséquences à venir.

Affamés photo © Florian Hoffmeister - Searchlight Pictures

Nouveau genre

Avec Affamés, Scott Cooper réalise son premier film d’horreur en adaptant la nouvelle The Quiet Boy de Nick Antosca. Une histoire librement inspirée par la mère de l’auteur, institutrice d’école élémentaire dans une petite ville. La thématique de l’horreur semble pourtant éloignée de l’univers du cinéaste qui s’est fait connaître avec Crazy Heart. Sorti en 2009, ce drame musical a permis à Jeff Bridges de remporter un Oscar du meilleur acteur pour son incarnation d’un chanteur de country alcoolique en fin de carrière.

Il faut toutefois reconnaître à Scott Cooper un éclectisme certain dans sa filmographie. Il a en effet réalisé jusqu’à présent un thriller, Les brasiers de la colère (2013), un film de gangsters, Strictly Criminal (2015), et s’est aventuré dans le genre du western avec Hostiles (2017). Alors pourquoi ne pas tenter le film d’horreur ? D’autant plus qu’il a trouvé un soutien de poids en la personne de Guillermo Del Toro, l’un des producteurs du film, maître respecté du genre.

Affamés photo © Florian Hoffmeister - Searchlight Pictures

Au-delà de l’horreur

Le réalisateur de La Forme de l’eau (2017) – lire notre critique – a rejoint le projet car il sentait la capacité de Scott Cooper d’intégrer une part d’horreur à un récit. Et c’est ce que fait le cinéaste car Affamés n’est pas un film d’horreur « pure ». Cette histoire de monstre n’enchaîne pas les « jump scares » pour créer de la terreur mais va chercher l’angoisse et le malaise plus profondément, au cœur des failles d’une société malade.

Avant d’être un film d’horreur, Affamés joue en effet la carte du drame social. Le personnage du jeune Lucas renvoie à une peur d’autant plus terrifiante qu’elle est tristement banale : celle de la maltraitance infantile. L’attitude du jeune élève met à jour la descente aux enfers d’une famille dans le cadre d’une petite ville à la dérive.

Le lieu choisi, une ville minière ayant décroché dans la course à la mondialisation, incarne le malaise du déclassement qui plane sur le film. Elle symbolise l’effondrement d’une économie apportant dans son sillage diverses violences : chômage, addiction à la drogue, maltraitance familiale… Dans l’ombre du monstre se cache une réalité sociale qui permet l’avènement d’une menace se nourrissant de leurs faiblesses.

Affamés photo © Florian Hoffmeister - Searchlight Pictures

Si votre ramage…

Le drame familial qui touche Lucas se mêle à une légende amérindienne qui donne corps – et quel corps ! – à l’horreur surgissant dans le quotidien de la petite ville. Antlers, le titre original du film, fait référence à ce ramage de bois parfois impressionnant qui orne la tête de certains cervidés. Ce même attribut de puissance décore la tête du wendigo, créature ancestrale que Julia et Paul vont devoir affronter.

L’équipe du film a travaillé sur cette créature présente dans la mythologie des tribus algonquiennes originelles installées dans les forêts du nord de la Nouvelle-Écosse, sur la côte est du Canada et dans la région des Grands Lacs. Aussi appelé « windigo » et « wetiko », cette légende fait référence à un cerf mythologique mais aussi à la manifestation d’un esprit maléfique. Une entité cannibale dont la présence est associée au froid et à la faim.

Affamés photo © Florian Hoffmeister - Searchlight Pictures

Dans Affamés, le wendigo est d’autant plus terrifiant qu’il vient corrompre un individu pour le transformer graduellement lui faisant perdre son humanité. Isolé, Lucas se retrouve face à cette force qui prend peu à peu possession de son père et son petit frère. Deux monstres en devenir qu’il doit nourrir, solidarité familiale oblige.

Monstre légendaire, le wendigo vient également punir une société moderne ayant détruit la culture indigène et corrompu la terre ancestrale. Au lendemain de l’échec prévisible et lamentable de la Cop 26, difficile de ne pas être du côté de ce monstre mythologique venant venger de façon radicale la nature.

Affamés photo © Florian Hoffmeister - Searchlight Pictures

Le monstre véritable

Cependant l’intérêt du film ne réside pas dans cette vendetta écologique mais bien dans l’aspect social et intime que le cinéaste arrive à maintenir tout au long du lent déclin familial de Lucas. C’est là que réside l’émotion omniprésente et le sentiment de malaise derrière l’horreur qui se profile.

La dimension sociale du drame est d’ailleurs plus terrifiante que le monstre qui n’est que sa matérialisation cauchemardesque. La situation de son élève renvoie Julia à sa propre histoire familiale et au rapport complexe avec son frère fait de non dits. Leur passé est un abcès qui n’a jamais été réellement crevé créant incompréhension et rancœur. La traque du monstre légendaire fait sortir de l’ombre des souvenirs, d’autant plus cruels qu’ils sont bien réels.

En mêlant maquettes et effets spéciaux discrets, Affamés donne naissance à un monstre d’autant plus crédible qu’il se nourrit du désespoir d’une population sans horizon. Allégorie de la décomposition d’une famille et au-delà d’un territoire et d’un monde en sursis, l’horreur sociale de Scott Cooper touche d’autant plus que l’enfance est sa première victime sacrificielle.

> Affamés (Antlers), réalisé par Scott Cooper, États-Unis – Mexique – Canada, 2021 (1h39)

Affamés (Antlers)

Date de sortie
17 novembre 2021
Durée
1h39
Réalisé par
Scott Cooper
Avec
Keri Russell, Jesse Plemons, Jeremy T. Thomas, Graham Greene, Scott Haze, Rory Cochrane, Amy Madigan
Pays
États-Unis - Mexique - Canada