Lors d’un livraison, Jongsu (Ah-in Yoo) croise par hasard son ancienne voisine Haemi (Jong-seo Yun). S’il ne la reconnaît pas sur le coup — il faut dire que la jeune femme est passée par la case chirurgie esthétique —, le jeune coursier tombe sous son charme. Avant de partir en voyage en Afrique, Haemi demande à Jongsu de nourrir son chat en son absence. Le rapprochement entre les anciens voisins semble acquis mais, à la grande surprise de Jongsu, Haemi revient de son voyage avec Ben (Steven Yeun), un garçon mystérieux au train de vie fastueux.
Au fil des semaines, un troublant triangle amoureux s’installe, laissant Jongsu désemparé. Un soir, Ben révèle à Jongsu un étrange secret : il met le feu à des serres abandonnées qu’il choisit méticuleusement. Peu de temps après cette confession, Haemi demeure introuvable.
Éloge du vide et de la colère
Pour son sixième long métrage, Lee Chang-Dong — auréolé de nombreux prix pour ses films précédents — a jeté son dévolu sur la nouvelle Les granges brûlées d’Haruki Murakami (parue en France en 1998 avec seize autres récits au sein du recueil L’éléphant s’évapore). Pour cette courte histoire, l’écrivain japonais s’était imprégné d’une nouvelle du même nom de William Faulkner.
Le scénario de Burning, réunit d’ailleurs les deux nouvelles en piochant des éléments dans chacune d’elles. L’ambiance mystérieuse, notamment autour de Ben qui met le feu à des serres (plus courantes en Corée que les granges), provient de la nouvelle de Murakami et le sentiment de colère froide qui envahit peu à peu Jongsu fait écho à celle du personnage de Faulkner qui se sent coupable des crimes de son père et insatisfait de sa propre vie.
Sur le papier, adapter la nouvelle de Murakami était risquée. Il s’agit d’une histoire où « il ne se passe rien » selon les propres mots du réalisateur et de sa co-scénariste Oh Jung-Mi. Exactement le type d’histoire que Lee Chang-dong déconseille à ses étudiants. Et pourtant, le cinéaste coréen s’est senti happé par cette histoire : un puzzle mystérieux auquel il manque des pièces et qui n’a de réelle fin que pour le spectateur qui souhaite en imaginer une.
Impassible devant les évènements, Jongsu — interprété de façon magistrale par Ah-in Yoo, magnétique à l’écran tout en étant ailleurs — semble subir un destin qui prend un dangereux chemin de traverse lorsqu’il retrouve la charmante Haemi.
Tandis que le film s’oriente vers la comédie romantique, Ben — interprété par Steven Yeun que les habitués de la série Walking Dead auront reconnu — fait son apparition et l’ambiance devient assez vite étouffante pour le jeune coursier. Alors que son père connaît des soucis avec la justice, il voit son espoir de former un couple avec Haemi contrarié par ce beau gosse fortuné sorti de nulle part. Dans l’esprit d’une lutte des classes larvée, Jongsu se méfie de ce nouveau venu dont on ne sait pas grand chose, à commencer par la façon dont il amassé autant d’argent.
Interrogé sur sa profession, Ben répond laconiquement qu’il « s’amuse » dans la vie. Un personnage charmeur qui devient un peu plus inquiétant lorsqu’il confie sa passion pyromane et qu’Haemi disparaît sans laisser de traces. Parti à sa recherche, Jongsu s’apprête à se heurter encore plus frontalement au mystère.
Troublante transparence
Plus angoissant encore que l’étrange comportement de Ben, c’est l’ensemble des événements autour du jeune coursier qui procure à Burning son ambiance étouffante. Confronté à une succession d’informations incomplètes ou contradictoires, Jongsu a bien du mal à démêler le vrai du faux dans cet univers où même les faits semblent à géométrie variable. Si Ben semble se jouer de ce monde évanescent entouré de ses amis dans son appartement luxueux, le coursier a du mal à joindre les pièces du puzzle.
Lors de ses retrouvailles avec Jongsu, Haemi montre au jeune homme ses talents de pantomime : elle épluche avec soin un fruit fantôme avant de le manger. Cette thématique de l’invisibilité des choses — et de la réalité ou non des évènements — parcourt le film qui se déroule dans une atmosphère de rêve qui tourne au cauchemar pour le jeune coursier.
Une chose invisible doit-elle être considérée comme inexistante car nous sommes incapables de la voir ? Lorsqu’il va nourrir le chat chez Haemi pendant son absence, Jongsu ne le voit jamais sortir de sa cachette : seules des crottes dans sa litière semblent attester de sa présence. Une absence répétée qui finit par le faire douter de son existence.
La liste des mystères qui entourent le jeune homme est longue : outre l’identité de Ben, cette histoire racontée par Haemi selon laquelle elle serait tombée dans un puits étant enfant est la plus emblématique. La jeune femme disparue, Jongsu s’accroche à ce souvenir démenti par la famille d’Haemi, comme si sa validation ou non pouvait la faire revenir comme par magie.
La quête entamée par Jongsu pour découvrir la vérité — existe-t-elle seulement ? — se heurte à un mur invisible dont les serres, objet du fantasme de Ben, sont une transposition parfaite. Palpables, ces structures sont également transparentes et emplies de vide. Plus il cherche à comprendre, plus Jongsu est confronté à un monde dont le sens semble lui échapper nourrissant un sentiment de frustration et de colère froide qui devra trouver une échappatoire.
Drame mystérieux, Burning captive autant par ce qu’il cache que ce qu’il accepte de dévoiler à l’écran. L’enquête désespérée de Jongsu agit comme le puissant symbole d’une société transparente mais donc la finalité reste opaque, telles les serres que le mystérieux Ben prend plaisir à voir flamber.
> Burning (Beoning), réalisé par Lee Chang-Dong, Corée du Sud, 2018 (2h28)