« Solo », la lubie du pianiste

« Solo », la lubie du pianiste

« Solo », la lubie du pianiste

« Solo », la lubie du pianiste

Au cinéma le 30 juin 2021

Après un séjour en hôpital psychiatrique, Martín, pianiste virtuose, lutte contre sa maladie pour achever sa prochaine œuvre et retrouver sa place dans la société. Documentaire d'une grande délicatesse, Solo suit le combat d'un artiste en prise avec une réalité angoissante. Une œuvre pudique et bouleversante qui interroge la normalité et exalte la place vitale de l'art dans nos vies.

Pianiste virtuose et compositeur argentin, Martín Perino se retrouve interné pendant quelques années après s’être perdu dans la composition d’une œuvre musicale. À sa sortie, il tente de renouer avec son art et la vie en société.

Absorbé par la création d’une nouvelle œuvre inspirée par son expérience à l’hôpital psychiatrique, le musicien tente de faire face à sa maladie latente. Pour acter son retour dans la normalité, Martín cherche à se produire à nouveau devant un public. Plus qu’une thérapie, il s’agit d’une nécessité absolue.

Solo © Petit A Petit Productions

Une histoire de fou

L’aventure de Solo débute lorsque le cinéaste Artemio Benki visite l’hôpital psychiatrique du Borda en décembre 2014. Durablement marqué par le lieu, le réalisateur est persuadé qu’il y reviendra pour raconter une histoire au sein de la structure de soins.

Artemio Benki revient en effet au Borda et rencontre un pianiste qui y est interné. Il est fasciné par ses mains massives pianotant sans cesse sur la table, répétant les notes d’une symphonie que seul l’artiste entend. Peu à peu, un dialogue se crée.

Le pianiste se confie au cinéaste : il évoque sa première composition La Flor qui, d’une certaine manière, l’a conduit à l’internement. Artemio Benki vient de trouver une histoire, celle de Martín Aníbal Perino.

Solo © Petit A Petit Productions

Virtuose

Né en 1984 à Buenos Aires, le pianiste et compositeur possède un palmarès impressionnant. À 20 ans, Martín Perino a déjà joué plus de 300 fois sur scène, notamment au Théâtre Colón de Buenos Aires.

Mais, lors de la composition de La Flor, sa première œuvre, tout s’arrête subitement. Victime d’une dépression, le pianiste est diagnostiqué schizophrène paranoïaque et reste presque quatre ans à l’hôpital psychiatrique du Borda.

Us and them

À travers le périple sinueux de Martín pour retrouver une vie la plus équilibrée possible, Solo parle, en creux, de la normalité à l’extérieur de l’hôpital. Le bon côté de la barrière, dans cet espace décrété comme la norme. Un lieu socialement acceptable que le pianiste surdoué tente de rejoindre.

Solo © Petit A Petit Productions

Cette volonté de se fondre dans le décor renvoie à ce qu’est cette normalité tant recherchée. Qui la décrète, selon quels critères ? À quel moment bascule-t-on de l’autre côté ? Quand doit-on être mis à l’écart, pour notre bien et celui des autres ?

Ce rapport à ce qui est tolérable en société plane sur le film tandis que Martín tente de retrouver sa vie d’avant, sur le fil entre sa maladie et son retour parmi les sains d’esprit.

Rôle de composition

La caméra toujours bienveillante du cinéaste capte les étapes parfois chaotiques de cette réadaptation qui passe par la composition. Alors qu’il a du mal à passer du système monotone et rassurant de l’hôpital à la « supposée liberté » selon ses termes du monde extérieur, Martín se plonge dans la création.

Solo © Petit A Petit Productions

Jeu de mot entre « infirmière » et « Maria », Enfermaria est l’œuvre qui pourrait aider Martín à retrouver une vie normale. Le parcours du pianiste interroge évidemment sur les liens ténus entre créativité et maladie mentale mais aussi sur la place de la musique et de façon plus générale l’art dans la vie.

Indispensable pour rendre l’existence vivable, l’art permet d’échapper au monde au moins pour un court instant. Mais la frontière peut-être mince entre ce désir de s’évader et l’envie de ne pas en revenir.

Composé en lien avec la danseuse Soledad Marieta, Enfermaria est pour Martín une clé qui peut aussi bien ouvrir une porte sur l’extérieur que l’enfermer dans ses blocages.

Solo © Petit A Petit Productions

Proximité amicale

L’aspect le plus émouvant du documentaire est certainement la proximité que le cinéaste a su créer avec le musicien. Une réelle complicité puis une amitié s’est nouée entre les deux hommes permettant de capter des moments d’intimité. En confiance, Martín se laisse filmer y compris dans ses moments d’errance ou de solitude.

D’une incroyable générosité, le musicien compositeur offre tous ces moments parfois difficiles comme autant de pièces d’un puzzle à reconstituer pour mieux comprendre ses doutes et ses limites. Pour le convaincre, Artemio Benki a assuré au musicien qu’il s’agissait moins d’un film sur lui que sur une personne qui essaie de s’en sortir après une crise.

Solo © Petit A Petit Productions

C’est en effet ce qui se dégage – au-delà de l’aspect musical – de ce documentaire qui a nécessité trois ans de tournage. Le combat de Martín a quelque chose d’universel invoquant la différence face aux normes et comment elle doit s’effacer devant ce qui est considéré dans la norme.

Témoignage lumineux, Solo est d’autant plus touchant que le cinéaste est décédé en 2020. Une triste nouvelle que le pianiste a appris alors qu’il était de nouveau interné pour une rechute dans un hôpital spécialisé. Un coup dur qui s’est mêlé au confinement et a poussé le musicien à s’exiler à la campagne pour se réinventer.

La place de l’artiste

En suivant Martín, le Maestro comme l’appellent les autres patients, Solo dresse également par petites touches le portrait du musicien virtuose avant son internement. Au fur et à mesure du film, un autre Martín se dessine. Un homme plus assuré et confiant en l’avenir. Un fantôme du passé qui plane sur les absences du musicien.

Solo © Petit A Petit Productions

Pianoteur inlassable, les doigts de Martín ne savent pas rester immobiles. Sur son clavier ou silencieusement sur une table, il joue et compose sans cesse. Le besoin de jouer, proche de l’addiction, est un aspect très touchant de la personnalité du musicien.

Dès sa sortie, Martín cherche à reprendre contact avec ses anciennes connaissances du monde de la musique. Il veut jouer, il en a besoin, envers et contre tout. Une obsession qui le pousse à essayer de s’incruster lors d’un festival pour demander s’il ne peut pas s’installer au piano quelques minutes. Juste un moment, devant un public. Comme pour retrouver temporairement sa vie d’avant.

Ce besoin d’être entendu est particulièrement bouleversant et pose la question du statut de l’artiste dans la société et de son pendant négatif, l’autre différence, dissonante, la maladie mentale. Alors que l’artiste enchante sa maladie le tient à l’écart. Pourtant le malade comme l’artiste ont le même besoin d’être écoutés.

Documentaire poignant sur la créativité et la liberté, Solo est d’autant plus puissant qu’il sort enfin en salles après une période de confinements successifs qui ont coupé les artistes de leur rapport au public. Les notes de Martin ne retentissent que plus fort.

> Solo, réalisé par Artemio Benki, France – République Tchèque – Argentine – Autriche, 2019 (1h25)

Solo

Date de sortie
30 juin 2021
Durée
1h25
Réalisé par
Artemio Benki
Avec
Martín Perino, Soledad Madarieta, Federico Daniel Bustos
Pays
France - République Tchèque - Argentine - Autriche