« Première campagne », informer au pas de course

« Première campagne », informer au pas de course

« Première campagne », informer au pas de course

« Première campagne », informer au pas de course

Au cinéma le 16 avril 2019

Première campagne suit la journaliste Astrid Mezmorian lors de sa couverture de la campagne d'Emmanuel Macron en 2017, des premiers meetings confidentiels à son élection triomphante. Road trip journalistique sympathique, le documentaire permet de découvrir les coulisses d'une profession de plus en plus décriée en déconstruisant au passage certains fantasmes et en pointant les faiblesses de l'exercice.

Pour son baptême de campagne électorale, Astrid Mezmorian, journaliste fraîchement arrivée au service politique de France 2, est missionnée au suivi de la campagne d’Emmanuel Macron, le plus jeune candidat à la présidentielle. La réalisatrice Audrey Gordon va suivre pendant deux mois menés tambour battant les deux novices, chacun d’un côté du micro.

Lors de cette expérience inédite pour elle, Astrid Mezmorian découvre une autre facette de son métier tandis que l’ancien Ministre de l’Économie poursuit son ascension insolente vers l’Élysée. Les coulisses de France Télévision et de la dernière campagne présidentielle sont montrés de façon originale, aux côtés d’une journaliste qui se demande parfois si tout ce cirque médiatique ne mérite pas bien son nom.

Première campagne © Kuiv Productions - Les écuries productions - Jour2Fête

Le feu de l’action

« Je devrais faire un film sur toi pour te voir plus souvent ! » Cette réflexion amusée faite par Audrey Gordon à son amie Astrid Mezmorian a finalement donné naissance à Première campagne. Après tout, pourquoi ne pas suivre son amie lors de ses pérégrinations à travers la France destinées à recueillir la parole d’Emmanuel Macron ? Astrid Mezmorian venait d’arriver au service politique de France 2 et allait suivre Emmanuel Macron pendant toute la campagne présidentielle : une situation qui a donné envie à la réalisatrice d’immortaliser les premiers pas de ces deux nouveaux venus dans la frénésie d’une campagne électorale.

Les deux amies qui se sont connues lors de leurs études de journalisme se mettent d’accord sur le projet autour d’un verre, celui-ci est validé par les responsables de France 2 et c’est parti. Le champ est libre : ni France 2 ni l’Élysée n’ont eu leur mot à dire sur le montage final. Le parti pris de la cinéaste est de suivre la journaliste tout au long des deux mois de campagne : au plus proche de son « personnage » pour capter au mieux la tension imposée par le rythme effréné du temps médiatique mais aussi ses doutes qui l’accompagnent dans sa pratique du métier. Cette grande proximité avec la journaliste renvoie le candidat Macron a un rôle secondaire que l’on aperçoit de façon furtive lorsqu’il est nécessaire de lui soutirer quelques mots.

La journaliste arrive en septembre 2017 au sein de la rédaction politique de France 2, quelques jours à peine après la démission d’Emmanuel Macron de son poste de Ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique. Elle assiste alors au premier meeting de ce jeune candidat qui détonne parmi ses concurrents. Un premier rendez-vous avec les électeurs qui se déroule à l’époque dans une relative indifférence médiatique. Mais, petit à petit, les choses vont radicalement évoluer.

Première campagne est l’occasion de revivre cette élection improbable où rien ne s’est déroulé comme prévu mais le cœur du sujet reste l’expérience personnelle de la journaliste découvrant cet exercice parfois déroutant. Coachée par Nathalie Saint-Cricq, directrice du service politique de France 2, Astrid Mezmorian découvre la meute massive des journalistes qu’il faut réussir à percer pour poser sa question au candidat mais surtout ces délais trop courts qui imposent d’aller à l’essentiel. Quitte à trahir l’esprit journalistique ?

Première campagne © Kuiv Productions - Les écuries productions - Jour2Fête

L’angle pas très droit

Dès le début du documentaire, une scène illustre bien la limite de l’exercice imposé parfois aux journalistes devant livrer rapidement leur reportage pour un journal télévisé en direct qui ne peut attendre. En quelques minutes, la journaliste doit trouver un « hamoniste » — électeur soutien de Benoît Hamon — venu écouter Emmanuel Macron pour potentiellement changer d’avis. Cet angle journalistique — façon de traiter un sujet — imposé par la rédaction de la chaîne est censé illustrer une réalité. Mais, une fois devant l’entrée du meeting du candidat Macron, la journaliste peine à trouver un témoin qui correspond au profil recherché. Elle trouve de justesse un « bon client » qui lui dira ce que prévoyait le scénario : l’interview est envoyée juste à temps, ouf !

Cette séquence illustre la limite de vouloir imposer à la réalité un angle journalistique trop restreint, en prenant le risque de la déformer. Ces moments de flottements — plus ou moins importants — liés au rythme effréné d’une campagne électorale sont présents tout au long du documentaire. Ils renvoient au développement des chaînes d’information en continu où l’actualité est vécue en direct, sous pression, sans avoir le temps de prendre un recul parfois nécessaire pour le décrypter.

La journaliste n’est d’ailleurs pas dupe : prise dans le courant de la campagne électorale elle confesse se demander parfois si elle fabrique ou complète le réel. En montrant les coulisses du métier de journaliste dans ces conditions assez particulières, Première campagne invite aussi à se mettre à la place de la journaliste. Un aspect pédagogique qui ne peut que faire du bien dans une période où la suspicion — voire parfois la haine — envers les journalistes semblent gagner la population française, qu’elle porte ou non un gilet jaune.

Première campagne © Kuiv Productions - Les écuries productions - Jour2Fête

Une campagne pourrie

La connivence avec le pouvoir est également une thématique qui plane au dessus du documentaire. Heureusement, Astrid Mezmorian possède une fraîcheur qui l’empêche de tomber dans le piège d’une trop grande proximité avec son sujet. Elle met notamment un point d’honneur à vouvoyer les équipes du candidat pour conserver une certaine distance. La journaliste possède le recul nécessaire pour se détacher de cette frénésie permanente qui l’entoure avec un humour et une ironie salvateurs. Et elle peut compter sur son entourage proche et professionnel pour ne pas perdre de vue sa vision critique par rapport aux évènements même les quelques secondes d’attention d’un candidat à la sortie d’un meeting ne permet pas d’aller au fond d’un sujet.

Le père de la journaliste a un avis bien tranché sur le candidat Macron qu’il voit comme un arriviste dans le jeu politique qui a juste la chance d’être au bon moment au bon endroit et qu’il considère avant tout comme une construction médiatique. Une réflexion qui interpelle évidemment sa fille et la renvoie à ses propres interrogations sur le rôle de son métier. Un autre journaliste expérimenté de France 2 qui en a vu d’autres — des campagnes présidentielles — met lui aussi en perspective ce qu’est en train de vivre la novice en la matière. Il s’agit pour lui de la pire campagne que la France ait connu où aucun sujet n’est traité en profondeur.

Des réflexions qui permettent à la journaliste de mettre en perspective son implication dans la campagne. Avec le recul, ces réflexions annoncent également la crise chaotique des gilets jaunes. Derrière l’affolement d’une campagne présidentielle à rebondissements qui s’est conclue pour beaucoup par un second tour désespérant, le documentaire démontre en creux que tous les éléments étaient déjà prêts pour une explosion sociale imminente.

Au plus près d’une journaliste novice en la matière, Première campagne dévoile les coulisses tumultueux de l’information lors d’une campagne présidentielle en prenant le recul nécessaire à la réflexion. Une plongée vivifiante au cœur d’une machine pas toujours bien huilée car elle reste avant tout humaine. Un élément à prendre en compte pour en faire sa critique, et pour les journalistes leur autocritique.

> Première campagne réalisé par Audrey Gordon, France, 2019 (1h12)

Affiche du film "Première campagne"

Première campagne

Date de sortie
16 avril 2019
Durée
1h12
Réalisé par
Audrey Gordon
Avec
Astrid Mezmorian
Pays
France