Fin des années 70 à New-York, Donald (Sebastian Stan), fils du richissime promoteur immobilier Fred Trump Senior (Martin Donovan), rêve très grand. Le jeune entrepreneur souhaite rénover un bâtiment culte pour en faire un hôtel luxueux, emblème du renouveau de la ville. Mais son père doute de ses capacités à mener à bien ce projet ambitieux.
En quête d’appui et de reconnaissance, Donald Trump se tourne vers Roy Cohn (Jeremy Strong), avocat très droitier et entremetteur politique, qui ne recule pas devant les magouilles pour étendre son influence sur l’élite new-yorkaise. Fasciné par le personnage, Donald fait peu à peu siens les préceptes de son mentor parmi lesquels ne jamais reconnaître sa défaite et s’arranger avec une vérité aux contours flous.
Trêve américaine
Après avoir réalisé deux épisodes pour la série The Last of Us, le réalisateur irano-danois Ali Abbasi s’attaque à un sujet sulfureux pour son premier film en anglais. Un projet d’autant plus polémique qu’il débarque sur les écrans au cœur d’une campagne américaine sous haute tension alors que les Américains se remettent tout juste du forfait salutaire de Joe Biden en faveur de Kamala Harris et des deux tentatives d’attentat contre Donald Trump. The Apprentice lève le voile sur la formation politique de l’ancien président entre la fin des années 70 et le début des années 80.
Un biopic provocateur sur Donald Trump qui s’inscrit dans une filmographie remarquée pour laquelle le cinéaste a été récompensé par le prix Un Certain Regard au festival de Cannes pour le captivant Border (2018). Son thriller social sur fond de meurtres de prostituées en Iran, Les nuits de Mashhad (2022) – lire notre critique, a lui été nommé aux Oscars et a reçu le prix d’interprétation féminine pour l’actrice Zar Amir Ebrahimi également au festival de Cannes.
Bio en duo
Pour être efficace, un biopic doit parfois éviter l’exhaustivité et se concentrer sur une période précise avec un regard particulier. Deux leçons que suit à la lettre The Apprentice en racontant la percée de Trump dans un New-York gangréné par la criminalité auquel il veut – déjà – redonner sa grandeur. Mais ce biopic est en réalité un portrait croisé tant le destin du jeune entrepreneur est lié à l’avocat controversé Roy Cohn.
Avec Angels in America, une pièce de théâtre qui le met en scène dès 1991, adaptée à l’écran en mini-série en 2003 avec Al Pacino dans son rôle, le sulfureux Roy Cohn n’est pas un inconnu pour les américains. Sa capacité à mettre en lumière les pires démagogues est devenue légendaire pour son impact sur la vie politique américaine. The Apprentice démontre à quel point les deux hommes sont liés et comment la pensée de l’avocat sournois et corrompu a infusé sa vision au sein d’un jeune Donald Trump en quête de reconnaissance du milieu et de ses proches.
Alors que Fred Trump considère que le projet de son fils est voué à l’échec, Roy Cohn le prend au contraire sous son aile et flatte ses ambitions. Une relation sur laquelle plane l’idée d’un père de substitution mais qui s’avère un lien assez ambigu où le mentor forme son apprenti en espérant un retour sur investissement sur le long terme. Une complicité menacée par la trahison qui n’est jamais loin. Après tout, chacun pour soi, telle est la leçon de l’avocat.
Devenir Trump
Cette initiation qui a eu des répercussions fondamentales sur la vie politique américaine et bien au-delà est portée à l’écran par le scénario du journaliste politique vétéran Gabriel Sherman. Spécialiste de la droite américaine, Sherman a interviewé Donald Trump lorsqu’il était jeune journaliste et a couvert sa campagne présidentielle pour le New York Magazine et Vanity Fair. L’idée d’écrire un biopic en mettant en avant la relation Cohn/Trump germe dès le printemps 2017 lorsque les sources du journaliste lui font remarquer que les déclarations du président Trump fraîchement élu possèdent un écho frappant avec les enseignements de Roy Cohn.
Faire parler de soi de façon tonitruante étant la base, peu importe la façon, le bad buzz n’existe pas dans cette vision médiatique où tout est relatif. Cette philosophie de l’occupation de l’espace à tout prix, y compris sous la forme de menace, s’accompagne d’une expression en public très particulière. C’est l’un des aspects frappants de The Apprentice : l’évolution – dans le sens d’une dégradation assumée – du langage du jeune Donald Trump.
En se plongeant dans les archives de l’époque, Gabriel Sherman constate que le jeune entrepreneur s’exprime lors de ses débuts médiatiques de façon moins outrancière, presque hésitante par moment. Au fil des interviews, le vocabulaire se fait plus agressif, les mots simplifiés. Un abaissement du niveau de langage pour s’adresser aux Américains qui fait partie d’une stratégie du choc calculée. Un procédé finalement plus terrifiant qu’un réconfortant constat d’incompétence voire de stupidité.
Abus de pouvoir
Coaché par Roy Cohn, le jeune Trump sait ce qu’il fait et cela le rend à la fois si séduisant et méprisable. Le cinéaste tente d’éviter la caricature de ces personnages hauts en couleur, une gageure autant pour l’avocat corrompu que le jeune Trump buvant ses paroles. The Apprentice parvient pourtant à créer une proximité, voire par moment de l’empathie, pour le jeune entrepreneur en prise avec Freddy (Charlie Carrick), son grand frère alcoolique, et des parents qui ne croient pas en ses capacités.
Grâce aux interprétations intenses et d’une grande justesse de Jeremy Strong et de Sebastian Stan – avec un maquillage et une moue convaincants sans tomber dans la caricature, il est possible de se mettre à la place des deux requins nageant côte à côte le temps utile avant de potentiellement s’entre-dévorer. Mais cet aspect humain est à double tranchant, si The Apprentice ne joue pas la carte du portrait à charge, rien n’est épargné au futur président autant adulé que détesté.
Ainsi le besoin de Trump d’être dans la lumière à tout prix s’inscrit dans une quête maladive de reconnaissance qui devient malaisante quand sa soif de pouvoir ne vire pas au scabreux. Ali Abbasi montre l’humanité de Trump dans tout ce qu’elle peut avoir de détestable. Si le film fera parler pour son traitement frontal des soucis capillaires et de prise de poids de Trump, c’est bien une scène d’abus sexuel qui sidère. The Apprentice met en scène le viol glaçant par Trump de Ivana (Maria Bakalova), mannequin d’origine tchèque et première femme de l’homme d’affaire décédée en 2022. Une séquence choc qui se base sur des déclarations datant de 1993 sur lesquelles elle était ensuite revenue.
Le drame américain
Au-delà de l’horreur de l’acte, cette scène d’abus insoutenable dont les avocats de Trump ne manquent pas de nier l’existence renvoie à la philosophie inculquée par Roy Cohn. De l’idéologie politique à son application dans la sphère privée il n’y aurait qu’un pas ? Utiliser son pouvoir, par n’importe quel moyen, et flirter dangereusement avec l’abus de ce même pouvoir semble la règle. Soumettre son opposant par la force qu’il soit opposant politique ou sa femme, après tout est permis, non ?
Le transfert est en effet envisageable, d’autant plus vu les déclarations de l’intéressé sur les femmes et les accusations d’agression portées contre lui. Donald Trump c’est le pouvoir absolu, sans partage ni nuance. Il est frappant de constater à quel point les conseils de Roy Cohn font écho avec ce qu’est devenu Trump : son déni de la défaite, l’invasion ahurissante du Capitole et son éventuel retour dévastateur au pouvoir.
Est-ce que Donald Trump a fini par être entraîné dans la folie d’une philosophie de la win devenue peu à peu complotiste ? The Apprentice ne traite pas cet aspect mais livre une plongée fascinante dans la genèse d’une pensée politique désormais profondément ancrée dans les esprits. La philosophie de Cohn se résume en trois règles principales : attaquer constamment, tout nier en bloc et enfin revendiquer la victoire en toute circonstance, ne jamais reconnaître sa défaite. Des préceptes qui ont mené les États-Unis dans l’ère de la dangereuse post-vérité où le débat public devenu impossible ouvre la voie au retour d’une nouvelle guerre civile.
Plus qu’un biopic sur un entrepreneur ambitieux formé par un avocat véreux, The Apprentice fascine pour ce qu’il raconte de l’état de la politique aux États-Unis, et au-delà. Difficile de ne pas voir Roy Cohn en docteur Frankenstein dont la créature a fini par dépasser le maître. « Dans la vie, il y a deux types de gens. Il y a les tueurs et il y a les losers. » Cette citation de Trump résume parfaitement ce biopic glaçant, miroir de tout un système où le pouvoir et l’argent sont rois et l’intégrité et l’honnêteté des valeurs anciennes qui, au mieux, ralentissent l’aboutissement d’un destin.
> The Apprentice, réalisé par Ali Abbasi, Canada – Danemark – Irlande, 2023 (2h00)