Jeune procureur idéaliste et inflexible, Emre (Selahatti̇n Paşali) vient de recevoir sa nouvelle affectation. Il découvre Yaniklar, une petite ville reculée de Turquie où son arrivée ne passe pas inaperçue. Confronté à une polémique sur la gestion des réserves d’eau, Emre se heurte rapidement aux notables locaux, notamment Sahin (Erol Babaoğlu), avocat et fils du maire de la ville.
Dans ce combat sans merci, les convictions du jeune procureur sont mises à rude épreuve par ses adversaires qui retournent contre lui la population locale. Un piège implacable se referme sur lui, mettant en cause jusqu’à son honneur.
Seul
Burning Days rappelle la confrontation épique que mène David contre Goliath. Mais le cinéaste Emin Alper y ajoute une touche de modernité en faisant du géant une entité qui tire sa force du soutien populaire, malgré une morale plus que douteuse. Ce soutien inconditionnel de la population locale ajoute une touche de pessimisme désespéré à cette enquête qui se déroule dans la chaleur étouffante d’une ville tenue d’une main de fer par ses notables.
De par son métier de procureur mais aussi son idéalisme, Emre incarne le bien commun. Pourtant, il se retrouve isolé dans sa lutte contre l’élite corrompue de la ville fictive de Yaniklar. Pire, la communauté se ligue contre lui dans un réflexe que l’on pourrait qualifier de suicidaire car contre ses intérêts. Une situation inspirée au cinéaste par la situation actuelle de son pays mais dont le mécanisme dépasse largement les frontières de la Turquie.
Histoire d’eau
Inspiré par la pièce Un ennemi du peuple écrite en 1882 par l’auteur norvégien Henrik Ibsen, le réalisateur construit son thriller autour d’une histoire d’eau. Une thématique d’une actualité brûlante en Turquie comme sur l’ensemble du globe où sécheresses entraînent la raréfaction de la ressource en eau et attisent les tensions. En Turquie, la surconsommation d’eau continue pourtant d’augmenter malgré la pénurie qui s’annonce dans une fuite en avant déraisonnable.
Autour de la ville fictive de Yaniklar, le menace est symbolisée par des dolines, érosions brutales et circulaires impressionnantes. Véritables fléau dans la région d’Anatolie centrale, elles sont le signe de nappes phréatiques aux abois. En arrivant sur place, Emre tente d’analyser rationnellement la problématique mais c’est sans compter les intérêts de l’élite locale.
Pour Emin Alper, les gouffres béants des dolines illustrent parfaitement le précipice dans lequel les populistes entraînent la population. Une vision à très court terme dont les débouchés sont souvent la guerre, la pauvreté et le rejet de l’autre.
Fascination autoritaire
Burning Days ne laisse que peu d’espoir à son héros providentiel. À peine arrivé, une chape de plomb symbolisée par une chaleur étouffante oppresse Emre. Mais, plus oppressante encore, l’attitude peu regardante de la population locale face aux dérives de ses élites renforce la pression énorme sur ses épaules. Au-delà de l’intrigue sur la ressource en eau, Burning Days est une étude suffocante d’un rapport de force déséquilibré par une confiance aveugle des électeurs pour leurs dirigeants corrompus.
Cette tolérance face aux actes criminels des leaders populistes est d’autant plus terrifiante qu’elle est elle dans l’air du temps. Dans l’hexagone, Nicolas Sarkozy, pour ne citer que lui, conserve encore de nos jours des supporters indéfectibles. Et que dire des cas de Trump, Poutine ou encore Orban ? La fascination aveugle pour l’homme – ou la femme – politique qui adopte la posture la plus outrancière est au cœur du mur infranchissable qui se dresse devant Emre.
Burning Days est un hommage – une thérapie ? – pour celles et ceux qui se retrouvent bien seul.es dans leur consternation face à la montée irrésistible des populismes autoritaires. L’enquête impossible du procureur dévie alors vers le mythe de Sisyphe : Emre doit inlassablement recommencer son œuvre de dénonciation malgré la surdité de la population. De quoi devenir fou… ou corrompu à son tour.
Doute amer
Décidément sans pitié, Emin Alper ne fait aucun cadeau à son héros pris dans la tourmente. Pour ajouter au suspens, il le fait douter de l’essentiel : lui-même. Lors d’un dîner dans le jardin du maire, Emre absorbe une substance suspecte qui rend très approximatifs ses souvenirs de la fin de soirée. Perdu dans un amalgame de souvenirs flous, d’hypothèses et de fantasmes, le procureur commence à douter de son comportement. Aurait-il commis l’irréparable ?
Ce doute qui s’installe dans l’esprit du procureur n’est pas qu’une pirouette scénaristique pour ébranler un peu plus son enquête. Cette question de la morale plane sur le film de manière ambiguë. Ainsi Murat (Eki̇n Koç), journaliste dans un quotidien local opposé au maire, incarne cette ambivalence. Ce personnage homosexuel permet de dénoncer au passage la croisade du gouvernement turque actuel contre la représentation publique des personnes LGBTQIA+.
Au-delà, l’aide que Murat apporte au procureur n’est-elle pas dépourvue d’une certaine dose de manipulation pour faire avancer, lui aussi, ses intérêts ? Ainsi se déroule lentement le piège de cette lutte de pouvoir ensorcelante qui nous entraîne dans la toile d’araignée d’une corruption qui pourrit tout. À commencer par ses adversaires qui doivent se salir les mains pour la dénoncer. Thriller au pessimisme aride, Burning Days explore l’inquiétante déliquescence démocratique actuelle et laisse un arrière goût de sable dans la bouche.
> Burning Days (Kurak Günler), réalisé par Emin Alper, Turquie – France – Allemagne – Pays-Bas – Grèce – Croatie, 2022 (2h08)