La plume des sans-abri

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Art

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30 octobre 2013

L'exposition "Un sourire, svp" a ouvert ses portes le 29 octobre au Point Ephémère. Signée Luigi Li, auteur, humouriste et Little Shao, photographe et organisée par la Fondation Abbé Pierre, l'expostion réunit une quinzaine de photographies. Elle est conçue pour changer, grâce à l'humour, le regard sur les sans-abris et la mendicité. En janvier dernier, Citazine avait rencontré Luigi Li pour évoquer ce projet original. Rediffusion.

Un sourire SVP, c’est le projet original et décalé de Luigi Li, jeune auteur pour le petit écran. Il propose à des personnes sans-abri de remplacer la pancarte "J’ai faim" par une bonne vanne. Un petit électrochoc pour des passants, qui ne voient plus les SDF ou préfèrent regarder ailleurs. 

C’est l’histoire d’un mec qui fait des vannes. Luigi Li a 32 ans, est auteur pour des émissions à succès du Paf, talent prometteur du stand-up et chroniqueur pour France Télévisions. Il a récemment mis sa plume au service des personnes sans-abri. En lieu et place de la sempiternelle pancarte : "1 euro pour manger" ou encore plus simplement "j’ai faim", une blague, une vanne, un bon mot. Un trait d’esprit qui vise à interpeller le passant, qui va le pousser à remarquer cette personne qui vit dans la rue et qu’il préfère souvent ne pas voir.

Un Sourire SVP | Photo Little Shao

A l’origine, une discussion avec un SDF de son quartier, qu’il a l’habitude de croiser. « Je voulais l’aider mais vraiment, je ne savais pas quoi faire pour lui. Il m’a demandé ce que je faisais dans la vie, j’ai répondu que je faisais des vannes et lui ai proposé d’en écrire une pour sa pancarte. » Tout de suite, il parle de l’idée à Little Shao, un de ses amis photographe, spécialisé dans le hip-hop. Ensemble, ils partent un matin, embarqués sur un scooter, pancartes sous le bras, sillonner Paris. Bastille, République, Gare de Lyon, ils font le tour de ces lieux parisiens où se trouvent de nombreux SDF. L’auteur et le photographe sont allés à la rencontre des personnes qui dorment dehors, et leur ont proposé une pancarte. Ces derniers choisissent un écriteau déjà prêt, ou ils discutent tous ensemble de ce que cette pancarte pourrait bien dire.

Les réseaux sociaux pour faire vivre le projet

L’idée des photos est venue imméditament. Si la personne sans-abri accepte, elle est effectivement photographiée par Little Shao. Le TumblR Un sourire SVP, où sont publiées les photos, est lancé dans la foulée. « On voulait faire connaître le projet, montrer comme c’était simple, à son petit niveau d’aider les autres. » 

Un Sourire SVP | Photo Little Shao

Bien sûr certains ne veulent pas être photographiés : « Si jamais je m’en sors», « Si jamais ma famille me reconnaît ». Mais la grande majorité accepte toutefois de tester les pancartes, souvent enthousiastes. « La plupart du temps, ils récoltent plus d’argent, tant mieux. Mais surtout, les passants engagent plus facilement la conversation, leur sourit… » Les regards changent et une relation de connivence peut même se créer, passants et sans-abri sachant qu'ils rient ensemble pour la même chose. 

« Je sors avec Rihanna et ça coûte cher d’entretenir une fille comme ça. » « Je savais bien que je n’aurais pas dû tout jouer au poker. » « Heureusement, la mode est aux fringues vintage, ça m’arrange ». Difficile de ne pas sourire en lisant ça. Pourtant, certains n’approuvent pas la démarche. Le Tumblr s’est fait connaître via les réseaux sociaux et si la majorité des réactions est positive, un petit nombre accuse Luigi Li de faire sa promo sur le dos des SDF, ou de rire de ce dont on n’a même pas le droit de sourire. 

Luigi Li | Photo Dorothée Duchemin

« Les gens qui me disent que j’ai instrumentalisé les SDF, c’est évident qu’ils n’ont jamais parlé à un SDF de leur vie. Les sans-abri ont un cerveau, ils pensent par eux-mêmes et ont le pouvoir de dire non, de nous dégager. Penser le contraire, c’est ça qui les marginalise. Et si les sans-abri, eux, ont compris que je voulais les aider alors c’est tout ce qui compte. »

L'humour contre l'indifférence

Bien sûr, l’idée est un brin provoc’. Une personne dans une situation grave se permettant un peu de légèreté… Un passant qui rit en regardant la pancarte d’un SDF… tout cela est-il bien catholique ? Le trait d’humour est en décalage total avec la situation dramatique d'une personne à la rue. Voilà pourquoi c’est drôle. Voilà pourquoi ça marche. Un type dans la rue qui a froid et qui demande qui a éteint le chauffage suscite forcément une réaction. « C’est triste mais c’est comme ça. Les gens ne voient plus les SDF dans la rue, "Un Sourire SVP" c’est un moyen de les interpeller ! » Ou comment utiliser l'humour pour lutter contre l'indifférence, comment dépoussiérer l'action solidaire pour mobiliser. 

Ces photos devraient très prochainement faire l'objet d'une exposition, en partenariat avec la fondation Abbé Pierre qui soutient le projet. « L'initiative de Luigi Li a ceci d'intéressant qu'elle a été imaginée et développée avec les personnes à la rue elles-mêmes. Elle détourne subtilement le propos en étant respectueuse des personnes. Le recours à l'humour, voire l'autodérision, est une vraie idée forte qui respecte la dignité de chacun ce qui est un aspect primordial pour la Fondation dans son action au quotidien. La grande force est, par l'impact de ces accroches drôles et décalées, de rendre visibles des personnes dont on doit déplorer justement qu'elles deviennent invisibles avec le temps, alors que nous passons auprès d'elles dons nos rues, nos parcs, nos gares…», commente Yves Colin, directeur de la communication de la fondation, pour Citazine. «Souvent, des initiatives de soutien des personnes à la rue ou mal logées sont prises avec une véritable empathie, avec l'envie de faire quelque chose pour les aider, avec une générosité naturelle… mais elles sont parfois maladroites car elles stigmatisent ou instrumentalisent des personnes qui sont déjà en très grande précarité. Ce qui est particulièrement positif avec Luigi, c'est le respect des personnes qui était un préalable.», poursuit-il. 

Un Sourire SVP | Photo Little Shao

Quand il va à la rencontre des SDF, ce qui frappe Luigi Li, c’est leur capacité à garder leur sens de l’humour, à rire de leur situation si difficile. « Mon regard a changé. On les imagine désabusés et quand tu leur parles, ils sont réceptifs, ils rient, ils font des vannes. Durant toutes nos discussions ensemble, on a toujours eu au moins un fou rire. On le voit sur les photos, ils sont tous souriants. Ils ne prennent pas de pause. C’est naturel, tout est spontané. Et vraiment, ça te remet à ta place. » 

Luigi Li veut en tout cas continuer à aller à la rencontre des personnes sans abris. Et espère faire vivre le projet au-delà delà du TumblR et de l'exposition. « J'ai été contacté par des gens de Marseille, de Suisse, du Canada ! ». Il se défend d'être un humoriste engagé. Avec Un sourire SVP, il voulait simplement montrer qu’aider les autres, c’est facile. 

> "Un sourire, SVP", jusqu'au 17 novembre au Point Ephémère, 200, quai de Valmy, Paris 10è.