« A mon sens renouer avec sa propre fragilité permet de dépasser l’illusion de la perfection humaine. J’ai la conviction qu’accepter sa fragilité, c’est se donner les moyens d’exister et d’avancer. » C’est la conviction qu'Estelle Beauvais expose dans le prologue de son dernier projet, La Fragilité. Nous avions déjà croisé la jeune femme l’année dernière pour un autre projet au long cours, le Dasein Projekt et plus particulièrement la série de courts "No Art, No Street". Elle nous avait alors parlé de La Fragilité, la nouvelle série de films courts sur laquelle elle travaillait.
Depuis, la vidéaste a avancé. Huit épisodes de la série sont déjà disponibles sur le site dédié. Un projet de longue haleine, débuté en septembre 2012 et qui devrait se poursuivre jusqu’à la fin de l’année 2014.
A terme, la série sera composée de 24 épisodes. Une série de douze épisodes met en scène douze personnes qui dévoilent leur propre histoire et ce qu’est leur fragilité. 12 personnes, 12 fragilités. La fragilité est plurielle.
La fragilité plurielle
Pour ses courts, Estelle Beauvais a voulu filmer des individus qui la touchent, qui sont proches d’elle ou qu’elle a rencontrés par hasard. Ces individus ont tous un point commun : ils vivent avec leur fragilité comme un élément a part entière de leur personnalité. Ils ne la cachent pas, n’en ont pas honte. Cette intimité avec leur fragilité, c’est leur force. Face caméra, ils racontent. L’un a été victime de torture. L’autre a vécu le deuil. Un autre revoit ses parents pour la première fois depuis son changement de sexe.
Ce qui se dégage d’abord est l’incroyable intimité immédiatement mise en place à l’intérieur du trio. Le personnage, la réalisatrice et le spectateur. La mise en scène y est pour beaucoup. La vidéaste insiste, « il ne s’agit pas d’un documentaire ». Elle n’est pas allée récolter des témoignages. Non, écriture, scénario et mise en scène sont aux fondements du travail de réalisation.
« Il est nécessaire que les personnes filmées aient une forte confiance en moi afin de se dévoiler car cela représente souvent une grande difficulté pour eux de parler de leur histoire. Les personnes filmées font preuve d'une grande force en présentant leur vulnérabilité, elles se mettent à nue. C'est très précieux, il faut être délicat. » Et c’est bien l’"ironie" de la démarche. En osant raconter cette fragilité, chacune d’elle fait preuve d’une force exemplaire.
Le temps s’étire. La vidéaste nous emmène dans son propre rapport au temps, un temps qui prend le temps et dont on n’a pas l’habitude. Il nous fallait bien ça à nous spectateur, parce qu’il nous faut aussi le temps de cheminer sur notre propre cas. Car si on est embarqué dans les histoires très personnelles qu’on nous raconte, immanquablement, on sera aussi confronté à notre propre fragilité. Que peut-on bien en faire ?
Les clés de la réflexion
La deuxième partie du projet donne la paroles aux philosophes, aux psychanalystes, aux penseurs, à ceux qui détiennent « des clefs » de compréhension. Avec eux, la voie de la réflexion est ouverte : « Que faire de notre vulnérabilité ? »[fn] Que faire de notre vulnérabilité ?, Guillaume Le Blanc, Bayard, 2011. Il est l'un des philosophes présents dans La Frangilité.[/fn]. Chacun d’eux a fait de la fragilité, ou de thèmes proches, un objet de recherche.
Estelle Beauvais dit vouloir « rassurer ». La jeune réalisatrice a entrepris une exploration de la fragilité humaine. Le résultat est profondément humaniste, profondément optimiste. Ça rassure, c'est vrai. Ça fait du bien, aussi. "La Fragilité" est décidément une oeuvre nécessaire.