À 23 ans, Nadia (Katerine Savard) prend la décision controversée de se retirer de la natation professionnelle et de laisser derrière elle une vie de sacrifices. Qualifiée pour les Jeux de Tokyo 2020, sa présence au Japon pour décrocher une éventuelle médaille doit marquer la fin de son parcours sportif.
Une fois l’épreuve passée, Nadia décompresse avec son amie Marie-Pierre (Ariane Mainville) en s’abandonnant aux excès du Village olympique. Mais, au fur et à mesure que le souffle de liberté s’atténue, les doutes remontent à la surface. Quelle vie l’attend en dehors de la frénésie des bassins ?
Les yeux dans les Jeux
Sortant en salles pendant les JO de Tokyo 2020, Nadia, Butterfly est une œuvre ou réalité et fiction s’entremêlent. Tourné à Tokyo lors de la préparation des Jeux, le film de Pascal Plante aurait pu être un témoignage assez surréaliste de Jeux fantômes. En effet, lors du tournage, rien n’indiquait que cette olympiade pourrait avoir lieu.
Après avoir été reportés d’un an, les Jeux étaient toujours menacés quelques jours avant le début. La pandémie mondiale a également chamboulé la production du film pourtant prêt depuis février 2020. Il rejoint enfin le grand bain des sorties, noyées dans la polémique sur le pass sanitaire.
Si le décor utilisé par le film est bien celui des Jeux de Tokyo diffusés actuellement dans le monde entier, la proposition de Pascal Plante prend le contre pied des images sportives aseptisées destinées à la diffusion télé. Le cinéaste décrit son film comme une « incursion sociologique » dans l’envers du décor olympique. Un point de vue différent et bien renseigné qui tient au parcours du réalisateur.
Vrais nageurs
À 19 ans, Pascal Plante passe les essais olympiques pour les Jeux de Pékin 2008. Dans le top 15 des nageurs canadiens, il n’est pas sélectionné pour participer aux JO. Après des années d’entraînement, son dévouement pour la natation prend l’eau et très vite une nouvelle passion cinéphile s’empare du jeune homme.
Cette plongée intime dans les doutes d’une nageuse de haut niveau, Pascal Plante l’a en tête depuis 2013 mais le budget nécessaire est trop élevé pour un premier film. Il débute donc avec Les faux tatouages (2016), une romance adolescente contrariée, à ce jour inédite en France.
Pour le cinéaste, il était impensable de travailler avec des actrices pour incarner les nageuses. Son équipe féminine de natation est constituée de sportives confirmées. Au Québec, Katerine Savard qui incarne Nadia est l’équivalent de Laure Manaudou pour la France. Pour lui donner la réplique, le cinéaste a choisi Ariane Mainville qui est sa meilleure amie dans la vie.
L’alchimie entre les deux femmes qui apparaissent pour la première fois au cinéma crève l’écran. Si Katerine n’est pas Nadia, ce choix de faire appel à de vraies nageuses associé à un regard de connaisseur sur le milieu donne un souffle quasi documentaire au film. Et comme le hasard est parfois malicieux, Katerine Savard a finalement participé aux JO de Tokyo, comme son personnage.
Le grand bain
Dans sa quête d’authenticité, le cinéaste ne pouvait envisager de filmer des actrices même entraînées pour ensuite manipuler l’image afin de faire croire à l’exploit. Dans la séquence la plus saisissante du film, la course de relais de Nadia et ses coéquipières est filmée en un plan séquence qui capte de façon inédite l’énergie de l’exploit sportif.
Au plus près de la championne, le cinéaste s’offre le luxe de capter toute l’intensité de la course. Une émotion qui ne peut transparaître dans le plan global du bassin vu à la télé, purement journalistique.
Mais Nadia, Butterfly ne repose pas uniquement sur cette séquence électrisante. Ce qui intéresse Pascal Plante est la suite, ce qui se passe lorsque les remous à la surface de l’eau s’apaisent pour revenir à un miroir d’eau invitant à la réflexion.
La fête au Village
Dans les coulisses de la compétition olympique, Nadia Butterfly se recentre progressivement sur les doutes de son héroïne. C’est bien connu, après l’effort, le réconfort. Après le stress de la course, direction le Village olympique où Nadia et Marie-Pierre oublient un temps la pression sportive.
Ne comptez pas sur Pascal Plante pour déconstruire l’image de sportifs qui ont décidément beaucoup d’énergie à revendre lors des Jeux. Même si cette année, covid oblige, ils étaient invités à l’abstinence. Dans son Village olympique où les bassins s’échauffent, pas besoin de trampoline pour s’envoyer en l’air.
Une honnêteté de la part du cinéaste qui marque une première rupture de Nadia avec son statut exigeant d’athlète. Mais la parenthèse du plaisir charnel a ses limites et la jeune sportive ne peut échapper aux conséquences de sa décision. La pression sur ses épaules prend des formes diverses.
Sortir la tête de l’eau
En imaginant une sportive de haut niveau sur le point de tout quitter, Pascal Plante explore la tension constante qui accompagne une vie faite de sacrifices et parfois de déceptions. Nadia, Butterfly évoque la presse à qui il faut rendre des comptes et ce quelques secondes après l’exploit ou la défaite.
Nadia est soumise aux conseils de son entourage, à commencer par son coach (Pierre-Yves Cardinal) qui tente de la dissuader de tout abandonner. Mais son ennemi principal reste elle-même. En souhaitant changer totalement de vie, la sportive s’apprête à réaliser un saut dans le vide aux conséquences pires que le blues post-olympique.
Pour beaucoup s’étant consacrés uniquement au sport, la retraite sportive est synonyme de retard social. Un retour en arrière qui peut être mal vécu après l’intensité d’une vie de podiums. Cette sensation de vide plane sur Nadia, Butterfly et fait écho au débat actuel sur l’accompagnement psychologique des athlètes. Ces difficultés diverses ont été mises en lumière dernièrement par la joueuse de tennis Naomi Osaka ou encore la gymnaste Simone Biles.
Plongée inédite dans la compétition olympique, Nadia, Butterfly dévoile avec un regard quasi documentaire et bien informé, l’envers de la médaille. Un périple sportif qui vaut pour la fraîcheur de ses interprètes et l’honnêteté de cette histoire de papillon terrifié de retourner dans sa chrysalide.
> Nadia, Butterfly, réalisé par Pascal Plante, Québec, 2020 (1h47)