Dans son club d’une banlieue de Tokyo, Keiko (Yukino Kishii) s’entraîne sans ménagement pour passer boxeuse professionnelle, malgré la réticence de sa mère. Sourde, la jeune femme peut compter sur Monsieur Sasaki (Tomokazu Miura), son mentor et protecteur le plus dévoué, pour atteindre le plus haut niveau.
Sur le ring, Keiko échappe momentanément à une vie morne. Un quotidien qui se résume à son boulot alimentaire de dame de ménage dans un hôtel de luxe et le petit appartement qu’elle partage avec son frère Seiji (Himi Satô) dont elle n’est pas particulièrement proche.
Tout bascule lorsque la pandémie de Covid-19 frappe le pays. Monsieur Sasaki tombe malade et le club de boxe se vide peu à peu de ses adhérents menaçant sa survie. Dans cette ambiance morose, Keiko, pourtant devenue professionnelle, envisage de raccrocher ses gants.
Bio fictionnelle
La Beauté du geste s’inspire de l’autobiographie de Keiko Ogasawara, boxeuse japonaise évoluant dans la catégorie poids mouches. L’adaptation garde cependant ses distances avec le réel car Shô Miyake ne conserve que l’idée d’une jeune femme sourde dans le milieu de la boxe.
Le cinéaste a en effet préféré se détacher totalement de la réalité de la vie de Keiko Ogasawara pour inventer son propre personnage. Il tente ainsi d’éviter les inévitables comparaison entre réel et fiction qui s’imposent lors un biopic. Cette fiction quasi totale permet une liberté de traitement dans laquelle un réel inopportun s’est pourtant invité.
Cette réalité contraignante qui s’est imposée au monde entier et l’a fait tourner au ralenti, c’est la pandémie de Covid-19 apparue lors de l’écriture du scénario. Shô Miyake a décidé de l’inclure naturellement dans La beauté du geste, insufflant un regard documentaire au parcours de la jeune Keiko fictionnelle.
Le ring du silence
Maintes fois traitée au cinéma, de Raging Bull (1980) à Million Dollar Baby (2004) en passant par la saga Rocky, la boxe est un sport dont la cinégénie est indéniable. De la sueur, du sang et des larmes… La brutalité chorégraphiée de ce sport est un sujet porteur pour un cinéaste qui cherche à marquer par des images fortes, devenant parfois iconiques.
En écho avec le repli sur soi de Keiko induit par sa condition, Shô Miyake s’éloigne pourtant volontairement des clichés habituels des films de boxe. Avec ses sages plans fixes, La beauté du geste est une œuvre qui transpose la boxe dans un univers intérieur au calme inédit. Cette vision intériorisée du combat pousse d’ailleurs à se demander dans quelle mesure la pratique de la boxe est un outil pour le cinéaste qui l’utilise pour nous convier ailleurs.
Introspection
Esthète de la pratique sportive, Keiko cherche à réaliser ce « beau geste » du titre français. Le geste parfait comme objectif qu’elle consigne dans son journal remplit méticuleusement avec les horaires de tous ses entraînements et des observations sur les façons de progresser. Cette volonté de bien faire un brin obsessionnelle remplit un vide qui fait écho à la mélancolie et l’isolement de Keiko.
Pour souligner cette distance que Keiko impose aux autres, notamment envers son frère avec qui elle cohabite, Shô Miyake use d’un procédé étonnant au début du film : les intertitres. Ressuscités de l’époque du cinéma muet, ces panneaux traduisant le langage des signes entre Keiko et son frère viennent couper la fluidité du récit.
Cette pratique désuète est une belle façon de symboliser la difficile communication entre eux et la bulle de silence dans laquelle se complait Keiko. De la réalisation au travail sur le son – surtout son absence, soigneusement orchestrée -, La beauté du geste nous plonge avec grâce dans cet univers introspectif légèrement hypnotique de la jeune boxeuse.
Le deuil du tigre
D’une certaine façon, La Beauté du geste débute réellement lorsque le film de boxe traditionnel termine, lors de l’accomplissement sportif. Contre toute attente, Keiko gagne ses deux premiers combats professionnels mais, malgré la victoire, l’ambiance est vite refroidie par les circonstances.
Dans un club vidé par le Covid-19, Monsieur Sasaki annonce se retirer pour se soigner entraînant une démotivation de la jeune boxeuse. Sans son mentor, tout combat semble vain pour Keiko. Pourtant celui-ci la met en garde : « En perdant l’envie de te battre, tu manques de respect à l’adversaire et tu te mets en danger ». Mais est-il encore question de boxe ?
Confrontée à l’aboutissement de ses rêves, Keiko est une perte de sens. Elle devra trouver comment combler ce vide en cherchant au-delà du sport. Un touchant parcours entre introspection et ouverture aux autres débute alors. Assurément son plus beau match.
En détournant les codes du biopic et du film de boxe, La beauté du geste offre le portrait saisissant d’une jeune boxeuse sourde dont le véritable combat est intérieur. Shô Miyake dépeint le monde tel un ring où personne ne vous entend frapper et dont il faut accepter les limites pour trouver sa voie.
> La beauté du geste (Keiko, me wo sumasete) réalisé par Shô Miyake, Japon, 2022 (1h39)