« Une femme sur le toit », envol à main armée

« Une femme sur le toit », envol à main armée

« Une femme sur le toit », envol à main armée

« Une femme sur le toit », envol à main armée

Au cinéma le 18 octobre 2023

Sur un coup de tête, Mirka, sage-femme d'une soixantaine d'années, tente de braquer une banque. Un geste désespéré qui va chambouler sa vie. Librement inspiré de faits divers survenus en Pologne, Une femme sur le toit explore subtilement les désirs refoulés d'une femme âgée ayant sacrifié sa vie à ses proches. Avec une économie de mots qui en dit long, Anna Jadowska et son actrice magnétique interrogent avec une paisible intensité une révolution féministe aussi tardive que déterminée.

À plus de soixante ans, Mirka (Dorota Pomykala), sage-femme consciencieuse, mène une vie tranquille auprès de son mari Julek (Bogdan Koca) et de leur fils Mariusz (Adam Bobik). Pourtant, un matin, sa vie va basculer. Après s’être levée tôt et avoir étendu le linge, Mirka part acheter de la nourriture pour ses poissons.

Sur le chemin du retour, elle s’introduit dans une banque et menace l’agente d’accueil avec un simple couteau provenant dans sa cuisine. Devant la sidération incrédule de la jeune femme, sa tentative de braquage échoue lamentablement. Mirka s’enfuit et rentre chez elle. Peu après, la police débarque à son domicile. Pour la vieille femme rien ne sera plus jamais comme avant.

Une femme sur le toit © Donten & Lacroix Films - Blick Productions - GarageFilm - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Décharge mentale

Une femme étend son linge sur le toit d’un immeuble. Comme aimantée par le vide qui l’attend à quelques pas, elle s’approche du bord. La caméra filme ses pieds se dirigeant dangereusement vers une mort vertigineuse. Encore un pas et c’est le néant. Ainsi débute Une femme sur le toit, avec la menace sourde d’un potentiel suicide. À moins que cette tentation du vide ne symbolise la volonté d’échapper à un quotidien devenu trop prévisible. Et la promesse d’un nouveau départ.

Ce comportement risqué est comme un préambule pour Mirka. Plus tard dans la journée, elle tente de braquer une banque avec un couteau. Un geste improbable que personne n’a vu venir. Elle-même semble surprise par cette soudaine audace criminelle. Certes Mirka a besoin d’argent, une quête dont les raisons seront explicitées plus tard dans le film, mais c’est surtout ce moment de bascule qui semble intéresser la cinéaste pour ce qu’il dit d’une rupture radicale avec le quotidien. À travers ce pétage de plombs soudain de Mirka, Anna Jadowska interroge la situation des femmes en Pologne – et ailleurs – qui reste selon elle très difficile.

La sage-femme qui décide de ne plus être sage symbolise ces gardiennes du foyer « condamnées » à porter seules le charge mentale, écrasées par le poids des mœurs et des coutumes. Proche de la retraite, Mirka ne s’est jamais plainte et ne demande pas d’aide. Elle subit en silence ce poids invisible imposé par la société qu’elle envoie valser subitement en tentant un braquage. Comme une révélation, cette initiative désespérée vient tout chambouler.

Une femme sur le toit © Donten & Lacroix Films - Blick Productions - GarageFilm - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Intense absence

Méconnue en France, Dorota Pomykala est célèbre en Pologne pour ses rôles dans de nombreuses séries télévisées. Loin des personnages pleins d’énergie qu’elle incarne habituellement, Une femme sur le toit la place dans la peau d’une femme renfermée et quasiment mutique. L’actrice porte le film sur ses épaules avec sa composition subtile d’une femme qui semble déconnectée du reste du monde après son coup d’éclat.

Après sa tentative de braquage ratée, Mirka semble en effet observer son environnement en se demandant comment elle a pu en arriver là, absente du monde qui l’entoure. Une impression renforcée par le regard volontairement documentaire de la caméra d’Anna Jadowska. La cinéaste suit les conséquences de l’acte de son héroïne à travers un quotidien devenu étrange, observé d’un angle nouveau. Une perception inédite qui en révèle sa morne absurdité.

À la dérive dans sa propre existence, Mirka tente de se raccrocher à des sensations perdues. Sa quête d’une intimité sexuelle, sujet ô combien tabou dans la société lorsqu’il s’agit de seniors, désarçonne totalement son mari Julek. Il ne comprend pas et rejette ce soudain réveil charnel pensé égaré depuis des années. En brisant les tabous de la nudité et de la libido de son héroïne, Une femme sur le toit annonce qu’une révolution ardente couve derrière le regard perdu dans le vague de Mirka.

Une femme sur le toit © Donten & Lacroix Films - Blick Productions - GarageFilm - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Révolte mutique

Librement inspiré par des braquage ratés menés par des personnes désespérées en Pologne, Une femme sur le toit fait de ce geste une allégorie féministe. La cinéaste voit en ce soudain pétage de plombs très théâtral un  « geste artistique » pour s’extraire de soi-même. Un électrochoc qui ne peut qu’échouer dans son but initial mais sert de détonateur pour Mirka. Même si elle ne comprend pas vraiment elle-même ce qui l’a poussée à passer à l’acte, Mirka ressent que plus rien ne sera comme avant.

Et cette révolution se mène dans un silence assourdissant. Le film d’Anna Jadowska se déroule dans une étrange ambiance ouatée où la parole de Mirka est rare. Les plans baignent dans une luminosité omniprésente dont les couleurs pastels évoquent un rêve éveillé. Économie de dialogues et atmosphère éthérée invitent à l’introspection pour observer les moindres gestes de Mirka afin d’y déceler des réponses.

Ses déambulations prennent un aspect hypnotique alors que Mirka se demande comment elle souhaite passer le temps qui lui reste sur cette terre. Plus que la pression familiale, c’est bien la pression sociale qui plane au-dessus de Mirka et chacun de ses gestes ou silences semblent défaire un peu plus cette étreinte pour renouer avec ses propres désirs.

Une femme sur le toit © Donten & Lacroix Films - Blick Productions - GarageFilm - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Film de braquage qui tourne court, Une femme sur le toit offre un portrait de femme aussi rare au cinéma que séduisant. Dans un silence propre à l’introspection, la prestation touchante et inspirante de Dorota Pomykala invite à reconsidérer les discrets sacrifices d’une femme au foyer et à célébrer la reconnexion avec des désirs mis de côté avant qu’il ne soit trop tard.

> Une femme sur le toit (Kobieta na dachu), réalisé par Anna Jadowska, Pologne – France – Suède, 2022 (1h35)

Une femme sur le toit (Kobieta na dachu)

Date de sortie
18 octobre 2023
Durée
1h35
Réalisé par
Anna Jadowska
Avec
Dorota Pomykala, Bogdan Koca, Adam Bobik
Pays
Pologne - France - Suède