« Ema », ardente liberté à adopter

« Ema », ardente liberté à adopter

« Ema », ardente liberté à adopter

« Ema », ardente liberté à adopter

Au cinéma le 2 septembre 2020

Jeune danseuse mariée à un célèbre chorégraphe, Ema est hantée par les conséquences d'une adoption qui a mal tourné. Pour ne pas céder à la culpabilité, elle décide de transformer radicalement sa vie. Après Jackie, Pablo Larraín signe un nouveau portrait de femme, sensuel et troublant. Périple intime envoûtant et incandescent, Ema met scène l'impérieux désir de maternité de sa jeune héroïne prête à tout brûler sur son passage pour conquérir une liberté non négociable.

Parents adoptifs d’un garçon nommé Polo (Cristián Suárez), Gastón (Gael García Bernal), chorégraphe de renom, et Ema (Mariana Di Girolamo), jeune danseuse de sa troupe, ont décidé de se séparer de l’enfant suite à un accident qu’il a provoqué. Peu à peu, le départ de Polo mine le couple qui se déchire sur la responsabilité de cet échec et les vieilles rancœurs refont surface.

Si Gastón tente de faire le deuil de cette expérience douloureuse, Ema reste obsédée par cette séparation. Alors qu’elle s’éloigne de Gastón, la jeune danseuse  est bien décidée à faire revenir son fils dans sa vie. Et pour réussir l’impossible, elle a un plan.

Ema © Fabula

Abandonner l’adoption

Pour son nouveau film, Pablo Larraín s’intéresse à un sujet sensible : l’adoption qui tourne mal. Dans le cas de Gastón et Ema, c’est un accident déclenché par leur fils adoptif aux lourdes conséquences qui marque la fin brutale de leur engagement auprès du jeune garçon. Avec le traumatisme de cette séparation vécue à travers le regard de la jeune danseuse, le cinéaste chilien explore en creux le thème de l’idéalisation de l’adoption face à une réalité souvent plus compliquée mais également la violence symbolique d’une « adoption ratée ».

Incapables d’avoir su gérer la crise, Gastón et Ema subissent les conséquences forcément douloureuses de leur décision. Une fois l’enfant rendu aux services sociaux, celui-ci change à nouveau de nom et ses parents adoptifs sont « annulés ». Pour l’administration, Gastón et Ema n’ont jamais été ses parents. La jeune danseuse doit vivre avec ce sentiment de culpabilité d’avoir raté l’adoption et ce sentiment maternel naissant qui lui est désormais interdit. Comme un exutoire à la frustration, la violence de la situation se répercute dans la relation du couple, plus fragile que jamais.

Ema © Fabula

Derrière cet échec de l’adoption, c’est la définition même de la parentalité qui est en jeu dans Ema. Au fur et à mesure que le chorégraphe et la danseuse se dévoilent à l’écran on peut s’interroger sur leur capacité à créer un foyer stable. Mais être parent doit-il se mériter ? Cette question sensible plane sur le film et la réponse est d’autant plus ambigüe que le personnage d’Ema fascine malgré ses failles. Elle nous entraîne pourtant dans sa quête déraisonnable.

Chili con carne

Dans son plan pour récupérer « son » fils, Ema ne fait pas les choses à moitié : elle décide de tout chambouler à commencer par sa relation avec son chorégraphe de mari. Un éloignement ambigu, à l’image de la danseuse, qui ne va pas jusqu’à la rupture totale mais qui lui permet de prendre son envol, notamment sexuel. Avec Ema, Pablo Larraín livre un film résolument sensuel.

Ema © Fabula

Porté par le magnétisme de Mariana Di Girolamo, le personnage de la jeune danseuse s’impose comme une figure sensuelle qui bouleverse joyeusement les codes sociaux établis. Pour Ema, la sexualité ne peut exister sans une totale liberté, sans tabou. Cette puissance érotique elle l’envisage également comme une arme pour arriver à ses fins. Un ardent et électrisant souffle de liberté souffle sur ce drame qui mène habilement le spectateur par le bout du nez d’une chorégraphie à une autre.

Dance Yrself Clean

La révolution intérieure de la jeune femme se traduit également à travers la danse et la musique, omniprésentes dans le film. En prenant ses distances avec son mari, Ema abandonne la danse contemporaine pour retrouver l’énergie de la rue. Quitter la scène signifie pour la danseuse s’émanciper de l’emprise de son compagnon chorégraphe qui contrôlait de fait le moindre de ses mouvements dans une relation où la frontière entre travail et l’intime devenait trouble.

Ema © Fabula

Cette révolution s’accompagne d’un changement de style. De retour dans la rue, Ema danse le reggaeton. Une musique méprisée par son mari, ce qui ne peut que renforcer sa symbolique libératrice. Le choix du reggaeton est d’autant plus intéressant que cette musique est généralement considérée comme misogyne. Dans sa révolution personnelle, Ema se l’approprie pour mieux déconstruire ces préjugés. Ce retour à une danse de rue est dans la lignée de cette liberté revendiquée par la jeune femme qui va l’emmener loin.

Fire walk with me

Ce besoin de tout changer autour d’elle pour apaiser sa souffrance intérieure pousse Ema à tout brûler sur son passage, littéralement. La jeune femme acquiert un lance-flammes au napalm qu’elle utilise pour incendier le mobilier urbain de la ville portuaire de Valparaíso. Les images saisissantes des flammes qui dansent dans la nuit complètent tout naturellement celles des chorégraphies envoûtantes. Une purification par le feu symbolique et fascinante qui cache habilement au spectateur la finalité du plan implacable mené par Ema.

Ema © Fabula

Accompagné par la musique de Nicolas Jaar, Ema est un voyage intime au plus proche des sensations à fleur de peau de son héroïne. Les scènes de danse contribuent à l’immersion et cette impression de temps suspendu mais c’est bien le découpage de l’histoire choisi par le réalisateur de No (2012) — lire notre chronique — et Neruda (2016) qui achève d’hypnotiser le spectateur. Parfois déstabilisant avec ses scènes imbriquées, ce montage audacieux lève très progressivement le voile sur un plan imparable pour reconquérir sa maternité.

Le spectateur n’a d’autre choix que de se laisser porter dans les méandres de la culpabilité d’Ema, mère en mal d’enfant. Difficile à cerner, la jeune danseuse provoque pourtant l’empathie. La force de ce puzzle mental tient au fait que le réalisateur laisse sciemment ouvert à l’interprétation et au jugement du spectateur les actes de son héroïne. Loin d’être une façon de se dédouaner, ce parti pris invite à faire face aux morales qui régissent nos vies, quelles soient personnelles ou dictées par la société.

Plongée troublante dans la culpabilité d’une mère adoptive, Ema séduit par la volonté intransigeante de sa protagoniste de transformer sa vie, à l’aide d’un lance-flammes purificateur si nécessaire. Un périple captivant qui interroge le sentiment maternel et bien au-delà la liberté nécessaire pour (re)construire sa vie, en dehors de toute contrainte, intime ou sociétale.

> Ema, réalisé par Pablo Larraín, Chili, 2019 (1h47)

Ema

Date de sortie
2 septembre 2020
Durée
1h47
Réalisé par
Pablo Larraín
Avec
Gael García Bernal , Mariana Di Girolamo
Pays
Chili