Troquet populaire situé en marge des quartiers chics d’Arles, l’Atlantic Bar est un lieu de vie indispensable pour ses clients fidèles. Tous se retrouvent autour de Nathalie, tenancière au fort tempérament en ce lieu où l’on chante, on danse et on se soutient les uns les autres au quotidien.

Déjà chamboulé par la pandémie, le café se retrouve une nouvelle fois menacé. Cette fois-ci par sa mise en vente par son propriétaire. Une annonce qui vient refroidir l’ambiance, réveille de vieux démons et oblige chacun à envisager la fermeture de ce lieu d’échange. Un commerce qui semble appartenir à une époque révolue où les habitués s’épanchent sur leurs joies et leurs peines, entre ivresse et gueule de bois.

Né d’instantanés

Ce premier long-métrage documentaire de Fanny Molins a débuté avec une série de photos. La jeune réalisatrice suit alors un atelier photographie lors des rencontres de la Photographie d’Arles. Le thème est libre, la cinéaste décide de consacrer ses clichés aux bars de quartiers et à celles et ceux qui les fréquentent.

Sur le conseil du photographe qui mène l’atelier, Fanny Molins délaisse les prises de vue des bâtiments et des groupes de personnes pour s’approcher de ses sujets. La proximité ainsi créée avec les patrons et les habitué.e.s attire l’attention du fondateur de la société de production Solab. Devant la difficulté de trouver les fonds pour produire un documentaire, le passage de la série photo à un film passe par une campagne de financement participatif.

Observatrice

Inspiré par une série de portraits, le projet doté d’un budget très serré est envisagé au départ comme un court-métrage. Mais rapidement le format long-métrage s’impose devant la richesse des confidences des clients du bar et de Nathalie et Jean-Jacques, les patrons. Pendant trois ans, Fanny Molins est venue dans ce bistrot sans appareil, juste pour échanger avec les responsables de l’Atlantic Bar et la poignée d’habitués qui font vivre le lieu.

Ce statut que la cinéaste qualifie d’« invitée » pose un regard tendre sur celles et ceux qui s’affirment devant sa caméra comme de véritables personnages. Avec beaucoup de pudeur, Atlantic Bar recueille les histoires de ce microcosme hétéroclite. Au-delà de l’image caricaturale des « piliers de bar », les habitués du café racontent les soubresauts d’une vie bien remplie. Une existence souvent cabossée, parfois rocambolesque. Touchante assurément.

Le documentaire puise sa force dans cette proximité qui permet de découvrir le passé de ces femmes et ces hommes qui se retrouvent autour d’un verre comme un point de repère dans une existence parfois bien mouvementée. Au fil des confidences, les profils éclectiques de ce lieu de sociabilité se dévoile : ancien braqueur passé par la case prison, joueur invétéré repenti, poète inspirant qui vient déclamer ses vers à qui veut bien l’entendre, ancien sans-abri devenu un ami de Nathalie et Jean-Jacques… Une véritable famille dont la cohésion se trouve menacée par l’ombre d’une fermeture imminente.

On ferme !

Ancien QG du Parti communiste, l’Atlantic Bar compte bien rester un estaminet populaire en conservant autant que possible des prix raisonnables pour ses clients. Une volonté de rester accessible qui en fait une entreprise appartenant déjà au passé. Ce décalage avec une économie obsédée par les marges que la cinéaste est venu filmer devient très concret lorsque le propriétaire du lieu décide de le mettre en vente pendant le tournage.

Menacés par une gentrification dévorante, Nathalie et Jean-Jacques risquent de perdre leur bail et les habitués un repère. La résistance s’organise et cette exploration de la vie d’un troquet comme on n’en fait plus prend une tournure politique. Atlantic Bar est parcouru par ce suspens d’une fermeture éventuelle avec pour enjeu la disparition d’un lieu de sociabilité loin de la déshumanisation connectée qui s’est imposée dans nos vies. La nouvelle de la mise en vente du bar fait rechuter Nathalie, de nouveau confrontée à ses anciens démons. Un combat intime avec l’alcool qui offre un autre regard sur l’ambiguïté de ce lieu aussi vital que destructeur.

Cuisine et dépendances

Alors qu’elle avait arrêté de boire au début du tournage, la patronne replonge en effet à l’annonce d’une potentielle vente du bar. Ses confidences poignantes sur son rapport compliqué à l’alcool met en avant le statut ambigu du bar où les pintes s’enchaînent à longueur de journée dans la salle principale alors que Nathalie prépare des plats dans la cuisine attenante.

Impossible pour la cinéaste de ne pas relever cette dualité d’une sociabilité qui dans ses excès nuit aux organismes, marque les corps et les visages.  Même si en France les puissants lobbys, bien aidés par la tradition, font tout pour minimiser les ravages de la consommation excessive d’alcool. Nathalie de nouveau piégée par son addiction, c’est également l’addiction de ses clients qui est interrogé.

Convivial et festif, le troquet est aussi un lieu où l’on vient anesthésier sa peine et ses douleurs dans les effluves d’alcool. Ces verres pour endormir la souffrance et tenter de cicatriser des plaies font également du bar un espace de lente destruction, un suicide collectif socialement accepté. Derrière la solidarité des habitués plane cette menace de l’abus comme échappatoire qui rend leurs confidences sur leurs vies touchantes mais parfois aussi tragiques.

Regard tendre et réaliste sur le microcosme d’un bar populaire, Atlantic Bar capte le chant du signe d’un lieu d’échanges balayé par une certaine idée de la modernité. Un champ du signe significatif d’un point de vue social d’autant plus poignant que l’humanité de son regard capte l’expression de parcours de vies souvent inaudibles. Un dernier verre avant la déroute.

> Atlantic Bar, réalisé par Fanny Molins, France, 2022 (1h17)