Sous le soleil brûlant d’une île grecque, les salariés d’un hôtel all-inclusive se préparent pour la nouvelle saison sur le point de débuter. Pour guider les animateurs dans leur tâche, Kalia (Dimitra Vlagopoulou) leur fait découvrir les arcanes de ce métier exigeant où décors en carton-pâte, costumes pailletés et spectacles de danse sont le quotidien.
Au fil des semaines, les nuits se font plus courtes. La pression et la fatigue augmentent, les démons de Kalia se réveillent. Chaque soir, une fois les projecteurs allumés, le show must go mais toute cette agitation a-t-elle encore un sens pour elle ?
Capitalisme divertissant
Dans son premier film Park (2016), Sofia Exarchou capte le désarroi d’une jeunesse grecque dans les ruines du village olympique d’Athènes, dix ans après les Jeux. Avec Animal, ce sont les états d’âme d’une troupe d’animateurs estivaux qui sont scrutés à la loupe avec en fond les conditions difficiles imposées par un capitalisme de divertissement. Entre situant son film dans un hôtel assez populaire, la cinéaste grecque dissèque les coulisses d’une organisation où la précarité fait écho aux rythmes induits par un spectacle qui doit divertir à tout moment et en tout lieu, du bar à la plage.
En Grèce, cette industrie des vacances est particulièrement rentable pour le pays dont l’économie dépend grandement de l’argent des touristes, ici principalement des touristes modestes provenant d’Europe de l’Est. Ce tourisme de masse qui a façonné la Grèce et est ici scruté du point de vue de ses petites mains qui font fonctionner la grande machine à divertissement touristique.
Animal s’intéresse également au fonctionnement de cette troupe d’animateurs qui se reforme chaque été avec l’arrivée de nouveaux membres. Les salariés de l’hôtel se serrent les coudes face à l’adversité et aux cadences éreintantes au point de créer une « famille » en dehors de toute impératif généalogique.
Trio féminin
Au sein du groupe, deux femmes et une jeune fille sont au cœur du récit. Forte de ses nombreuses saisons dans cet univers, Kalia, la trentaine, est indéniablement la locomotive du groupe. Exigeante, elle sacrifie tout pour son métier et possède deux doubles troublants, à la fois écho de sa propre expérience et détonateur d’une prise de conscience.
Animatrice pour la première fois, Eva (Flomaria Papadaki), jeune polonaise de bientôt 18 ans, possède un parcours sinueux qui renvoie Kalia à sa jeunesse. Celle-ci la guide comme elle le peut pour éviter les pièges du métier. Mary, 6 ans, est la fille d’un des animateurs avec qui Kalia entretient une relation. Elle possède un statut ambigu entre réminiscence de l’enfance de Kalia et projection d’une fille qu’elle n’a pas enfantée. Là aussi se dessine une figure maternelle alternative dont les interactions oscillent entre protection, passage de relais et projection dans l’avenir.
Ce focus féminin permet également d’aborder le statut particulier des femmes dans ce milieu festif où les stéréotypes sont courants. Sur scène ou en coulisses, les salariées sont soumises aux nombreuses règles non écrites d’un divertissement très patriarcal. Preuves parmi d’autres de ces injonctions à la fois subies et intégrées, les jeux sexistes en boite de nuit pour distraire les clients et le rembourrage excessif au niveau de la poitrine des costumes que Kalia conseille aux femmes du groupe lors de la préparation d’un show pour plaire aux clients.
Sans visage
Peu à peu, Animal abandonne la frénésie des spectacles de danse et autres animations pour touristes pour mieux se synchroniser avec l’intimité de Kalia. Alors que le film semble ralentir, l’atmosphère se fait plus réflexive. Un changement de tempo qui ne fait que confirmer le poids qui pèse sur Kalia. Oppressant, ce calme relatif avant la prochaine tempête permet à la jeune femme de constater le vide qui l’envahit entre chaque performance.
Cet épuisement à la fois physique et moral qui étreint Kalia est d’autant plus sournois qu’il ne s’incarne pas à l’écran. En refusant sciemment de mettre en scène un patron qui donne des ordres, le film impose Kalia à la fois comme cheffe d’équipe et victime d’un système socio-économique sans visage. Cette absence de coupable à désigner renforce ce sentiment étouffant d’une issue impossible qui plane sur le film.
Dans les coulisses du divertissement estival, Animal capte habilement la pression d’un système qui use les corps et pèse sur les esprits. Une machinerie du divertissement infernale dont Kalia est à la fois un rouage et une victime. Cristallisation saisissante de ce sentiment d’épuisement, son interprétation du célèbre tube Yes Sir, I Can Boogie transformé en signal d’alarme capte parfaitement le terrible flottement existentiel du retour à la réalité une fois le spectacle terminé.
> Animal, réalisé par Sofia Exarchou, Grèce – Autriche – Roumanie – Chypre – Bulgarie, 2023 (1h56)