Responsable des Ressources Humaines renommée, Emilie Tesson-Hansen (Céline Sallette) est une « killeuse » embauchée pour réduire la masse salariale d’une entreprise à moindres frais pour la direction. Mais lorsqu’un salarié se jette par la fenêtre dans la cour de l’entreprise, une enquête est immédiatement ouverte. La jeune femme se retrouve alors en première ligne, confrontée à Marie Borrel (Violaine Fumeau), une inspectrice du travail déterminée à faire la lumière sur les circonstances de ce suicide. La responsable des RH doit faire face à la pression de l’enquête, mais aussi à celle de sa hiérarchie, à commencer par son directeur Stéphane Froncart (Lambert Wilson), qui menace de se retourner contre elle. Cernée, Emilie Tesson-Hansen se fait une promesse : elle ne sera pas la seule à endosser la responsabilité du drame.
Cynisme meurtrier
Pour son premier long métrage, Nicolas Silhol plonge dans l’univers d’une entreprise en pleine mutation qui cherche à se débarrasser d’une partie de ses salariés avec un plan social déguisé pour le rendre le moins coûteux possible. Pour ce faire, Stéphane Froncart, le directeur des ressources humaines, recrute la meilleure dans son domaine. Emilie Tesson-Hansen est surnommée la « killeuse », un terme qui va prendre une nouvelle signification macabre quand un salarié qu’elle cherche à faire démissionner se défenestre sur le lieu de travail. Touché par la série de suicides chez France Télécom qui avaient fait la une des médias, le réalisateur évoque dans Corporate ces méthodes de « management par la terreur » qui peuvent amener des salariés poussés à bout à se donner la mort. À l’image du PDG de France Telecom qui avait parlé à l’époque de « mode du suicide », la direction de l’entreprise cherche à faire reposer la responsabilité sur le salarié. Le réalisateur réussit à montrer tout le cynisme de l’attitude qui consiste à vouloir affirmer que l’entreprise n’a aucun rapport avec le drame en invoquant des problèmes personnels, comme si le travail — et d’autant plus le fait de pouvoir le perdre — n’est pas un aspect influant pleinement sur la vie personnelle des salariés. La mécanique malsaine qui vise à inverser les causes et les conséquences — comme lorsque le suicide est expliqué par le divorce du salarié — est assez finement montré.
Ce difficile lien de causalité entre le suicide du salarié et ses conditions de travail, c’est Marie Borrel, inspectrice du travail, qui a la lourde tâche de le démontrer. Elle met la pression sur la responsable des ressources humaines qui, après avoir tenté d’effacer les preuves, va changer de stratégie. L’inspectrice découvre alors la technique pour se débarrasser des salariés devenus superflus. Le film montre notamment des séances de coaching dans lesquelles Emilie explique que la méthode consiste à proposer au salarié de se mettre « en mobilité » pour ensuite lui proposer des postes impossibles à accepter. Le but : faire craquer le salarié et le pousser à la démission — dans le pire des cas au suicide — faute d’alternatives au sein de l’entreprise. La mise en lumière de cette mécanique cynique et insidieuse qui consiste à créer des situations inextricables et attendre que les salariés craquent est l’un des points forts de ce drame en entreprise.
Fausse héroïne
Malheureusement pour l’entreprise, Emilie se rapproche de l’inspectrice mais sa raison première n’est pas celle d’une prise de conscience. Si la mort du salarié qu’elle tentait d’isoler l’a affecté, la « killeuse » reste fidèle dans un premier temps à la société. Paniquée, elle cherche à détruire toute les preuves qui pourrait la mettre en faute, ainsi que l’entreprise. Si elle n’a fait qu’appliquer le plan décidé en haut lieu par la direction, le film pose toutefois la question de sa responsabilité individuelle face au drame. Le réalisateur ne cherche pas pour autant à creuser l’aspect moral et analyse la situation plutôt sur un plan éthique. La jeune responsable des RH n’a pas une subite révélation lors du suicide du salarié, choquée, elle continue pourtant à aller dans le sens de l’entreprise. Ce n’est que lorsqu’elle se sent menacée par la direction qui lui fait comprendre qu’elle pourrait bien endosser seule toute la responsabilité du drame qu’elle décide de collaborer pour se sauver elle-même.
Au delà de l’intrigue sur la responsabilité de l’entreprise dans le suicide de son salarié, Corporate dépeint une relation assez complexe entre les deux femmes, chacune ayant ses propres intérêts à travailler avec l’autre. Une entente qui n’est pas sans cynisme, du moins au départ. Femme déterminée, Emilie n’a pas l’intention de tomber seule et pour se protéger elle doit exposer au monde les méthodes managériales qu’elle a elle-même mises en place. Pour se retourner contre la société, elle est obligée au final d’analyser son propre comportement, révélant une prise de conscience tardive. Cette vision nuancée de la responsable des RH donne une profondeur intéressante à une intrigue qui, pour le reste, se déroule sans grandes surprises. Si le risque réel que prend Emilie est louable, c’est bien l’inspectrice du travail qui est la vraie héroïne. C’est elle qui vient bousculer ce monde du travail renfermé sur lui-même en lui tendant le miroir pour qu’il puisse contempler sa propre inhumanité. Elle apporte un peu de justice mais son action intervient malheureusement trop tard pour éviter l’irréparable. Sur ce point le drame vient renforcer l’impression d’un contrôle insuffisant, qui intervient, souvent trop tard, pour contrebalancer des pratiques déviantes.
Sans être captivant par son intrigue, le premier long métrage de Nicolas Silhol traite avec justesse le cynisme et la violence de certaines restructurations au sein des entreprises. Un sujet d’actualité — en tout cas qui devrait l’être — à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle, alors qu’il semble acté que l’humain est une variable d’ajustement dans le monde de l’entreprise, face à une mondialisation et une recherche du profit qui imposent leurs lois brutales.
> Corporate, réalisé par Nicolas Silhol, France, 2016 (1h34)