Une nuit comme tant d’autres, dans un club techno parisien. Les corps transpirent et se déhanchent sur la piste de danse. Entre ombres et lumières, des paroles futiles émergent à travers la musique étourdissante, parfois suivies de rapprochements.
Au cœur de la fête, Félicie (Louise Chevillotte), jeune avocate, rencontre Saïd (Majd Mastoura), un chauffeur Uber. Elle l’invite à poursuivre la soirée chez elle, une fin de nuit loin du tumulte des excès où chacun exprime sa vision de la société, entre rage de tout changer et résignation désabusée.
Grosse teuf
Adepte de techno et de soirées underground depuis ses quinze ans, Anthony Lapia tente de capter dans ce premier long métrage l’énergie de ces soirées à l’aide d’une immersion totale. After entraîne le spectateur sur la piste de danse avec des plans qui captent au plus près les corps des clubbers qui s’y défoulent. Une grosse teuf à l’aspect quasi documentaire.
Et pour cause, les danseurs à l’écran sont des amis de l’actrice principale, du cinéaste et des connaissances du milieu du clubbing parisien, notamment des habitués de la Péripate, un squat transformé en club sous le périphérique du 19ème arrondissement. Tous ont participé pour le tournage à des grandes fêtes qui s’étalaient de 14h à minuit. Les morceaux joués lors du tournage ont ensuite été confiés au DJ Panzer qui les a fusionnés en un set unique. Une matière brute qui a été remaniée lors du montage pour coller aux captivantes images de danse.
Deux salles, deux ambiances
L’énergie qui se dégage des scènes du club s’explique en partie par la période où elles ont été tournées : la fin du deuxième confinement. Le tournage des scènes de danse a duré deux semaines et s’est déroulé dans la seule boîte ouverte à Paris à ce moment si particulier de délivrance Pour beaucoup, il s’agissait de leur première soirée depuis deux ans ! Pas étonnant dans ce climat que les images sauvages capturées par Anthony Lapia dégage une forte sensation de fébrilité et de libération des corps.
After magnifie ces scènes de club avec un regard au plus proche des danseurs. La bande son assourdissante permet elle aussi de s’immerger dans l’ambiance moite du club entrecoupée de scénettes : entre discussions anodines, deal de drogue et drague. Filmées avec des caméras Panasonic des années 90, l’aspect granuleux des scènes de danse se marie parfaitement avec ce moment de la fête hors du temps. Une ambiance hypnotique qui joue avec les effets de lumière, notamment l’inévitable stroboscope qui semble pulser au ralenti, à rebours de son utilisation frénétique habituelle.
Cette ambiance électrique est contrebalancée par l’after chez Félicie qui impose des respirations en quittant temporairement la fureur du club. Ces deux temporalités se partagent la nuit jusqu’à l’aube qui arrive irrémédiablement. Alors que le fracas du club monte en intensité, le couple d’un soir se découvre dans une atmosphère propice à la discussion. Une juxtaposition des deux ambiances qui finit par fusionner dans l’un des moments de grâce du film : l’appartement et le club reliés par le même écrin, le vaporeux et déchirant I go to sleep repris par Anika.
La fête est finie
Dans l’intimité de l’appartement, Félicie et Saïd échangent leurs visions du monde. Le réalisme défaitiste de l’avocate se heurte au militantisme enthousiaste – certains diront naïf – du chauffeur Uber. Sur le fond, les deux exilés de la fête partagent les mêmes opinions mais leurs points de vue divergents décrivent un monde chancelant. La bataille mérite-t-elle encore d’être menée ?
Leur discussion acte un rejet cinglant d’un monde dont le chaos n’a rien à envier à celui du club mais sans trouver de véritable alternative. Pour ces échanges, Anthony Lapia confie s’être inspiré de l’idée de conversation croisée de Dostoïevski ou encore de Ma nuit chez Maud (1969) d’Eric Rohmer. Entre rapprochement amoureux et débat social, les prises de position de Félicie et Saïd sonnent par moment un peu trop littéraux. Une verve qui frôle parfois la démonstration et contraste avec l’efficacité des scènes du club.
Malgré ces points de vue politique qui font sortir de l’immédiateté du procédé, After distille progressivement l’idée d’un collectif qui a du mal à se former. Une lutte sans cesse renouvelée, sous la forme d’une soirée techno underground ou d’un mouvement social méprisé par le pouvoir en place. Il plane sur le film une furieuse envie de s’échapper pour mieux se retrouver. S’unir pour créer autre chose, à l’instar d’une fête autodestructrice vouée à s’évaporer aux premiers rayons du soleil.
Avec ses scènes de club hypnotisantes, After célèbre une utopie radicale du rassemblement, sur la piste de danse et en tant que société, qui se heurte à la réalité d’une société cadenassée. Un rêve forcément nocturne, tapi dans les caves, entretenu par la danse, la défonce et l’amour qui ne résiste pas à l’aube qui revient pour condamner inlassablement une révolution trop fragile.
> After, réalisé par Anthony Lapia, France, 2023 (1h09)