« Adieu Paris », la faim d’une époque

« Adieu Paris », la faim d’une époque

« Adieu Paris », la faim d’une époque

« Adieu Paris », la faim d’une époque

Au cinéma le 26 janvier 2022

Dans un vieux bistro parisien, huit grandes figures de la capitale se réunissent pour un dîner annuel. Mais un intrus va venir troubler ce rituel bien rodé. Traversé par une tendre mélancolie, Adieu Paris met en scène un groupe de vieux amis dont la répartie mordante tente de masquer leur inexorable déclin. Avec ce regard doux-amer sur la fin d'une époque, Edouard Baer rend hommage à une génération qu'il a admirée sans chercher à atténuer l'aspect ridicule d'un entre-soi daté.

Comme chaque année, l’éternel bistro de la Closerie des Lilas accueille un dîner très prisé. Huit anciens « rois de Paris » se mettent à table autour d’un repas animé où les bons mots et les piques rappellent aux participants leur jeunesse flamboyante.

Nerveux à l’idée d’intégrer ce cercle très fermé, Benoît (Benoît Poelvoorde) est un acteur qui se rend pour la première fois au repas sur l’invitation de son ami artiste Louki (François Damiens). Mais, une fois sur place, l’accueil de ses pairs plus âgés est glacial. Pour une raison qu’il ignore, Benoît n’est pas le bienvenu. Humilié, il se contente d’observer le dîner du coin de l’œil depuis le bar.

Adieu Paris © Le Pacte

Fan de

Edouard Baer a dans un premier temps envisagé son quatrième film en tant que réalisateur comme un semi-documentaire dédié aux gens qu’il admirait. Principalement des acteurs qu’il rêvait de rencontrer à ses débuts parmi lesquels la bande Belmondo-Rochefort-Marielle, le duo Poiret-Serrault, Piéplu ou encore Galabru… La disparition progressive de cette génération d’acteurs gouailleurs plane au-dessus du repas fantasmé qu’il a installé à la Closerie des Lilas.

L’hommage en partie documentaire s’est finalement transformé en pure fiction mais la réalité n’est jamais loin. L’aspect méta est en effet très fort pour cette réunion d’acteurs incarnant des doubles très proches – si ce n’est d’eux-mêmes – de leurs images publiques. Les dialogues de chaque membre du club ont ainsi été taillés sur mesure par Edouard Baer en jouant avec l’image de chacun.

Adieu Paris © Le Pacte

Le monde d’avant

Adieu Paris est un film volontairement centré sur ce milieu culturel parisien – exclusivement masculin – issu des années 60/70. Une plongée dans l’univers crépusculaire d’un bistro de quartier où sont réunis d’anciennes gloires en fin de carrière.

Ce dîner marque à plus d’un titre la fin d’une époque : la disparition progressive de personnages légendaires de la vie culturelle parisienne mais aussi l’évolution du café comme lien social. La pandémie actuelle vient renforcer ce côté désuet du bistro historique devenu moins convivial.

Désormais les conversations de comptoir avec leurs déclarations enflammées sur la politique et la société semblent avoir migré sur certains plateaux télés. Les chaînes d’information en continu incarnant un nouveau café du commerce médiatique où se forge l’opinion, par procuration.

Adieu Paris © Le Pacte

Boys club

Sans surprise, ce club de l’entre-soi est exclusivement masculin. À l’instar de l’aspect parisien de la réunion, cette ambiance très virile est un sujet central dans le film. Si l’absence de femmes autour de la table n’est même pas évoquée – il faudrait pour cela qu’elle soit remarquée – leur présence discrète est pourtant essentielle.

À cette assemblée de mâles dominants répondent des contrepoints féminins, en périphérie de l’évènement. Autour des vieilles légendes : une épouse (Isabelle Nanty), une fille (Ludivine Sagnier) ou encore une auxiliaire de vie (Léa Drucker).

Soutien indispensable, cette présence féminine leur permet d’aller faire les beaux entre eux dans un « jardin d’enfant » où ils « jouent aux hommes » selon Edouard Baer. Un entre-soi macho dont l’aspect quelque peu pathétique n’échappe pas au cinéaste.

Adieu Paris © Le Pacte

Panier de crabes

L’admiration envers ces personnalités incontournables de la vie parisienne pour leur sens de la répartie et leur panache plane sur l’ensemble du film. Adieu Paris n’épargne cependant pas leurs travers parfois cruels. Entre bienveillance attendrie et critique caustique, ce repas expose les failles de ces mâles vieillissants enfermés dans leur rituel.

Symbole de la violence de la bande, l’exclusion expéditive de Benoît qui se retrouve au bar pendant que les autres convives devisent gaiement, sans lui. La cruauté première de ce groupe est justement son aspect de bande excluante pour les autres.

Une mise à l’écart d’autant plus injuste que personne ne semble pouvoir en légitimer la raison. Mais peu importe, le groupe a toujours raison.

Adieu Paris © Le Pacte

Derrière le spectacle divertissant des bons mots échangés, une cruauté fait peu à peu surface. Elle se nourrit naturellement de leur égoïsme et égotisme. Car, pour ces narcissiques professionnels, s’imposer signifie dépasser son prochain en l’abaissant. Un système bien rodé qui passe par l’éloquence et un jeu de l’esprit qui peut s’avérer féroce.

Au sein de cette bataille guidée par le nombrilisme, Jacques (Pierre Arditi) se distingue par une emprise sur ses congénères particulièrement vorace. Pour conjurer le temps qui passe, chacun se débat pour conserver sa place durement acquise au sein de cette meute amicale. En vain ?

Adieu Paris © Le Pacte

Tout doit disparaître

Tendre hommage aux personnages hauts en couleur, Adieu Paris est aussi un chant du cygne au réalisme brutal pour ces vestiges d’un ancien monde. Benoît, le nouveau prétendant, est certes exclu mais la modernité frappe fort à la porte de ce club refermé sur lui-même. Comme un signe avant-coureur, Jeff (Jean-François Stévenin), patron du bistro, ne présente aucun des plats qui ornent habituellement la table du dîner.

Cet accroc dans la tradition n’est pas le seul qui déstabilise la réunion. Une ombre plus dramatique plane. L’attitude absente d’Alain qui a du mal à se souvenir et à trouver ses mots annonce une décrépitude qui fait tâche au sein d’un repas où chacun cherche à se montrer sous son meilleur jour. Avec son interprétation touchante, Jackie Berroyer incarne avec grâce cette vieillesse taboue chez les convives.

Adieu Paris © Le Pacte

La comédie se teinte alors de mélancolie. Malgré son envie de faire jeu égal avec ses amis, Alain n’en a clairement plus les capacités. Son désarroi est terrifiant pour ses compères qui voient en lui ce qu’ils cherchent à fuir à tout prix pour eux-mêmes. Même s’ils tentent de ne surtout pas y penser, ils savent pourtant qu’aucun bon mot ne peut freiner la sénescence inéluctable.

Le dernier repas

Cette finitude des choses s’incarne également à travers un absent remarqué. Pendant tout le repas, les amis attendent Michael (Gérard Depardieu). Mais le maître de cérémonie habituel a décidé de ne pas se joindre à eux. Pour Michael, l’envie n’est tout simplement plus là. Lassé du rituel, il n’y croit tout simplement plus.

Adieu Paris © Le Pacte

Un être vous manque et la tradition est gâchée. N’est-elle d’ailleurs pas condamnée ? Dans le bistro désert, le rituel sonne comme une coquille vide. Dans ce spectacle devenu pathétique, chaque acteur ne joue plus que pour lui-même.

Alors que les plats s’enchaînent, le vernis se fissure et les invités perdent de leur entrain. Leur franche camaraderie est mise à dure épreuve. Au dessert, le spleen s’est installé avec l’idée dérangeante que la tradition est vidée de son sens. Et qu’il s’agissait probablement du dernier repas.

Servi par des acteurs de haute volée, Adieu Paris est un requiem tendre et cruel accompagnant la disparition progressive d’un monde à la volubilité excitante. Nostalgique mais réaliste, ce plat savoureux mijoté par Edouard Baer est subtilement relevé du piment du temps qui passe, inexorablement.

> Adieu Paris, réalisé par Edouard Baer, France, 2021 (1h36)

Adieu Paris

Date de sortie
26 janvier 2022
Durée
1h36
Réalisé par
Edouard Baer
Avec
Pierre Arditi, Jackie Berroyer, Gérard Daguerre, François Damiens, Gérard Depardieu, Léa Drucker, Bernard Le Coq, Bernard Murat, Isabelle Nanty, Yoshi Oïda, Benoît Poelvoorde, Daniel Prevost, Ludivine Sagnier, Jean-François Stévenin
Pays
France