Alors qu’elle voyage seule, Frédérique Benoît alias Freddie (Park Ji-Min), jeune française de 25 ans, apprend que son prochain vol est annulé. Elle décide alors de modifier subitement son programme pour se rendre en Corée du Sud. Pour la première fois, elle met les pieds dans ce pays inconnu qui l’a vu naître avant d’être adoptée par un couple de français.
Avec la fougue qui l’anime, Freddie se lance dans le processus prévu par les autorités coréennes pour retrouver ses parents biologiques. La lente quête d’identité qui débute chamboule rapidement ses attentes.
L’éveil de soi
Récit sur la quête des origines, Retour à Séoul puise la sienne en 2011. Davy Chou est alors en Corée du Sud pour présenter Le sommeil d’or (2011), son premier long métrage, au Festival International du Film de Busan. Le réalisateur est accompagné pour le voyage de Laure Badufle, une amie alors âgée de 23 ans née dans le pays et adoptée à 1 an.
Un repas partagé par le cinéaste avec le père et la grand-mère biologiques de son amie sème la graine du projet. Retour à Séoul va maturer pendant plusieurs années pour raconter avec un regard précis et honnête ce qui se trame lors d’une telle quête d’identité aux répercussions vertigineuses. Le film s’est nourri de divers points de vue pour construire l’histoire de Freddie où se mêlent une soif de comprendre et de reconnaissance souvent contrariée et l’affirmation d’une individualité.
Identités
Né en France de parents nés au Cambodge, Davy Chou a sa propre perception d’un héritage culturel lié aux origines. Mais il n’est ni femme, ni adopté comme son héroïne. Pour l’aider à lui donner vie, le cinéaste a échangé avec son amie Laure Badufle qui propose désormais un accompagnement thérapeutique pour les adoptants et les adoptées.
Ensemble, ils ont retranscrit dans le scénario ces sentiments contradictoires liés à l’adoption. Le besoin viscéral et parfois l’apaisement des retrouvailles s’opposent à la tristesse et l’amertume d’avoir été abandonné. Au cœur du processus, l’incompréhension de Freddie se heurte aux regrets d’un père qui aimerait se faire pardonner un acte qui s’était imposé de lui-même à l’époque. Cette confrontation des cicatrices de chacun, passées et présentes, est évoquée avec beaucoup de tact devant la caméra de Davy Chou.
Pour ajouter au malaise entourant les retrouvailles, ces blessures ont du mal à être exprimées par des mots qui se heurtent de toute façon à la barrière de la langue. Ne parlant pas un mot de coréen, Freddie doit compter Tena (Guka Han), une jeune femme rencontrée sur place qui fait office d’interprète. Selon les usages coréens, celle-ci tempère la colère bouillonnante de Freddie. De quoi donner aux échanges une tournure comique où pointe la frustration et la tragédie d’un contact qui ne s’établit pas.
Outsider
Après l’amie de Davy Chou, l’autre femme au cœur de Retour à Séoul est Park Ji-Min. Évidemment pour son incarnation de Freddie mais pas seulement. Artiste plasticienne arrivée en France de Corée du Sud à huit ans, Park Ji-Min a été recommandée par un ami du cinéaste à la lecture du scénario. Bien qu’elle ne soit pas comédienne, Park Ji-Min s’est imposée comme une évidence pour Davy Chou.
L’artiste ne se contente pas d’incarner Freddie, elle s’est fortement investie dans la construction de ce personnage au caractère bien trempé. Park Ji-Min a en effet retravaillé le projet avec Davy Chou pour apporter sa propre vision de la jeune femme. Selon l’aveu du réalisateur, l’actrice novice a apporté une fraîcheur au rôle et a pulvérisé au passage certains clichés entourant encore trop souvent l’image des femmes asiatiques ou encore le statut de personne adoptée dans les fictions.
Interprété avec une authenticité confondante, Freddie est un personnage de femme libre, attachante jusque dans ses contradictions. Avec son exubérance naturelle, Freddie bouscule son entourage dès son arrivée à Séoul. Elle crée ainsi du lien entre des inconnus dans un bar en les réunissant artificiellement autour d’une même table. Une proximité forcée comme pour exorciser la possibilité de ne pas retrouver ses parents biologiques ?
Le bon parent
Rebelle, Freddie se lance dans cette recherche de ses origines sans jamais mettre de côté sa franchise à toute épreuve lorsqu’il s’agit d’exprimer son ressenti. La jeune femme s’affranchit des identités, ce qui rend sa quête d’autant plus passionnante. Son autonomie de façade fièrement revendiquée interroge d’autant plus sa volonté de découvrir l’identité de ses parents biologiques. Une recherche de lien avec une famille fantasmée qui peut paraître paradoxale avec l’idée de tracer son chemin sans rien devoir à personne.
Ce voyage en Corée du Sud décidé sur un coup de tête reflète à la fois le tempérament tumultueux et détaché de Freddie et cette attraction irrésistible pour ses origines une fois la démarche enclenchée. La curiosité dévorante se transforme en nécessité, quitte à être déçue par le processus. Alors qu’elle renoue contact avec son père biologique (Oh Kwang-rok) assez rapidement, la mère biologique de Freddie ne daigne pas répondre à ses sollicitations de rencontre.
Avec ce père biologique qu’elle trouve trop collant et pathétique et une mère inatteignable, Freddie se retrouve en prise avec les deux spectres opposés de ce qu’elle pouvait attendre de sa démarche. D’un côté, un père maladroit qui noie ses regrets dans l’alcool et souhaite rattraper le temps perdu, de l’autre une mère qui semble l’abandonner une seconde fois. Cette opposition franche ne fait que renforcer le mystère de la démarche. Qu’est-elle venue chercher en Corée du Sud ? À quelle question intime doivent au final répondre les origines d’une adoption ? Une énigme d’autant plus obsédante que le périple de Freddie n’en reste pas là.
À la longue
En effet, Retour à Séoul prend soin de raconter cette quête d’identité au-delà de la rencontre tant attendue, habituellement le climax d’un récit sur l’adoption. Au fil des allers-retours en Corée, le film de Davy Chou s’étend sur huit ans pour mieux capter l’évolution de cette découverte des origines avec ses acceptations et ses échecs. Les années passent et Freddie évolue, en réaction ou en marge de ce rapport à l’adoption.
En femme indépendante, elle se reconstruit et se réinvente avec les élements en sa possession : deux identités à faire coexister, à fusionner en elle. Cette bonne idée de suivre son évolution entraîne le film ailleurs. Porté par la justesse de son actrice principale, Retour à Séoul mène cette histoire d’adoption vers une réflexion plus large sur le rapport à soi et au monde. À travers une redéfinition de l’intime qui n’a jamais véritablement de fin.
> Retour à Séoul, réalisé par Davy Chou, France – Allemagne – Belgique – Qatar, 2022 (1h59)