« Les aigles de la République », l’enjeu de l’acteur

« Les aigles de la République », l’enjeu de l’acteur

« Les aigles de la République », l’enjeu de l’acteur

« Les aigles de la République », l’enjeu de l’acteur

Au cinéma le 12 novembre 2025

Acteur égyptien célèbre, George Fahmy est contraint d'incarner le président al-Sissi dans un film à sa gloire. Piégé dans les méandres du pouvoir, le comédien joue son rôle le plus dangereux. Hommage au film noir classique, Les aigles de la République interroge la liberté toute relative d'un art sous pression. Un thriller politique moins efficace que les films précédents du cinéaste relevé par des prestations d'une ambiguïté savoureuse.

Alors qu’il avait d’autres projets en tête, George Fahmy (Fares Fares), acteur le plus adulé d’Égypte, accepte à contre-cœur le rôle du président al-Sissi sous la pression des autorités du pays. Avec ce projet de propagande à la gloire du leader, il se rapproche du cercle étroit du pouvoir et de ses petits secrets. Une situation tendue qu’il complique encore plus en entamant une liaison avec la mystérieuse Suzanne (Zineb Triki), épouse du ministre chargé de superviser le film.

Les aigles de la République © YigitEken - Memento

La vie par procuration

Avec Les aigles de la République, Tarik Saleh retrouve son fidèle acteur Fares Fares et ajoute une pierre à une trilogie officieuse sur le pouvoir égyptien. En 2017, dans Le Caire Confidentiel, l’acteur incarne un inspecteur dont l’enquête sur un meurtre est rendu impossible à cause du chaos de la révolution sur fond de corruption généralisée – lire notre critique. Cinq ans plus tard, Fares Fares se glisse dans la peau d’un colonel dans La conspiration du Caire, un polar politico-religieux intense sur l’influence du gouvernement lors de la nomination d’un nouvel imam – lire notre critique.

Avec ce nouveau thriller, Tarik Saleh continue son exploration des mécanismes d’un pouvoir tenu d’une main de fer. Un environnement cinématographique qui permet au réalisateur de rendre hommage à l’âge d’or du cinéma égyptien des années 1950-70 alors que le pays était le troisième producteur mondial de film. Acteur adulé, George Fahmy est un symbole de ce passé glorieux immortalisé par un générique qui s’attarde sur des affiches de films et des peintures rétro sur les murs du studio.

Star du grand écran, George Fahmy – premier égyptien dans l’espace comme le clame fièrement l’affiche de l’un de ses films – est la personnification d’une certaine idée de la liberté. Le cinéma comme évasion du quotidien avec des comédiens qui ont le droit de boire de l’alcool ou d’avoir des liaisons extra-conjugales à l’écran. George jouit pleinement – et avec un peu d’inconscience – de cette aura de célébrité. Séparé de sa femme (Donia Massoud), il batifolle avec Donya (Lyna Khoudri), jeune actrice en devenir, mais tombe sous le charme de Suzanne, épouse du ministre qui veille au bon déroulement du film. Un double jeu sentimental risqué soutenu par le Viagra car l’acteur, clin d’œil malicieux à son image de star adulée, est impuissant.

Les aigles de la République © YigitEken - Memento

Sous influences

Avec 30% du PIB égyptien dans les mains de l’Armée lors de l’arrivée au pouvoir d’al-Sissi et un empire médiatique qui s’est renforcé au fil des années, la pression sur la société est forte dans le pays. Le cinéma n’est pas épargné par cette mainmise équivalente au code Hays des États-Unis à l’époque. Le film suit cette nonchalance de George piégé par le studio qui le pousse à incarner le président al-Sissi. Et peu importe si physiquement cela n’a pas vraiment de sens comme il le fait remarquer. La célébrité devient subitement un peu plus pesante mais l’acteur se plie à la demande, il n’a de toute façon pas le choix et une capacité naturelle à satisfaire tout le monde.

Les aigles de la République s’inspire de la série Al-ikhtiyar (2020-2022), aussi connue sous le nom Le Choix. Un programme destiné à la télévision qui revient notamment sur le coup d’État des forces armées égyptiennes ayant mené à la destitution de Mohamed Morsi en 2013. Une œuvre propagandiste que le cinéaste a regardé avec une certaine fascination pour son rapport avec la vérité qu’il qualifie pudiquement de « distant ».

Mais, au-delà de ce regard critique, Tarik Saleh s’est demandé ce qu’il aurait fait s’il habitait toujours en Égypte et qu’on lui avait proposé un tel projet ? Aurait-il vraiment eu le choix ? Transposé en acteur, George Fahmy est le miroir fantasmé du cinéaste dans cette fosse aux faux semblants où l’art devient soluble dans la propagande étatique.

Les aigles de la République © YigitEken - Memento

Dilemmes

Pour corser son film noir, Tarik Saleh joue avec la perception de son héros comédien qui, pendant une grande partie du film, ne semble pas comprendre ce qui se trame autour de lui. George est en effet trop occupé à ne pas faire de vagues, sur le plateau surveillé de près et dans les draps adultères. Figure égocentrique, George est surtout un menteur habile qui se sert de son don pour se sortir de situations délicates en public comme dans sa vie privée. Un talent qui l’a rendu riche et célèbre mais qui pourrait causer sa perte.

Déjouant les codes attendus du genre, Les aigles de la République impose le personnage du Dr Mansour (Amr Waked) comme un antagoniste sauvé par son honnêteté. De chaque côté d’un miroir, les deux personnages se font face, chacun dans sa propre réalité. Film de dilemmes, la possibilité de tourner le projet s’est posée, notamment car il fait intervenir des actrices et acteurs égyptiens. Mais les conflits dans la région qui occupaient alors les esprits ont offert de façon inattendue et assez cynique une certaine liberté au cinéaste, celle qui est précisément refusée à son personnage.

Tarik Saleh s’est également demandé s’il ne fallait pas créer un personnage de président fictif pour ne pas mener la charge frontalement contre le pouvoir en place. Finalement, le procédé lui a paru vain et quelque peu hypocrite. Le leader est bien le président actuel sans passer par un personnage métaphorique ou déplacer l’action dans le passé. Sur ce point, le cinéaste montre sa volonté de ne pas s’incliner face au système, au contraire de George. Il rejoint ainsi son confrère Ali Abbasi qu’il cite parmi d’autres comme inspiration dont le film The Apprentice (2024) revient sur la montée irrésistible de Donald Trump dans le New-York des années 70 – lire notre critique.

Les aigles de la République © YigitEken - Memento

Polar à combustion lente, Les aigles de la République s’avère un thriller moins captivant que les œuvres précédentes de Tarik Saleh. Le climax intervient – un peu tard ? – lors d’une parade militaire mouvementée qui laisse George totalement désarmé alors qu’il n’avait rien vu venir. Un rythme surprenant mais qui colle assez bien avec l’aveuglement d’un comédien qui se rassure en se regardant le nombril.

> Les aigles de la République (Eagles of the Republic), réalisé par Tarik Saleh, Suède – France – Danemark, 2025 (2h09)

Les aigles de la République (Eagles of the Republic)

Date de sortie
12 novembre 2025
Durée
2h09
Réalisé par
Tarik Saleh
Avec
Fares Fares, Lyna Khoudri, Zineb Triki, Amr Waked, Cherien Dabis, Ahmed Kairy, Nael, Sherwan Haji, Suhaib Nashwan
Pays
Suède - France - Danemark