Avec l’accord de son père qui y voit l’expression d’une volonté divine, Adam (Tawfeek Barhom), fils de pêcheur, quitte les siens pour rejoindre la prestigieuse université Al-Azhar du Caire. Le jour de la rentrée, la Grand Imam à la tête de cette institution épicentre du pouvoir de l’Islam sunnite s’effondre devant ses élèves et meurt soudainement.
Peu après le décès de l’imam, Adam est contacté par le colonel Ibrahim (Fares Fares), membre de la Sûreté de l’État, qui lui propose une mission qu’il ne peut pas refuser. Au cœur des luttes internes à l’université, le jeune étudiant se retrouve emmêlé dans les manœuvres de l’État égyptien pour influer sur l’élection du prochain imam.
Histoire de famille
Tarik Saleh n’a pas choisi de situer son nouveau film au sein de l’université Al-Azhar par hasard. Considéré comme la plus importante source de savoir sur l’islam au monde, ce lieu possède une signification particulière pour le cinéaste puisque son grand-père y a été admis. Né dans un petit village au cœur du Delta du Nil, le statut social modeste de son grand-père fait écho à celui de simple pêcheur du jeune Adam. Tous deux à la découverte d’une certaine modernité en quittant leurs proches.
Malgré le bouleversement que cela implique, le père d’Adam laisse partir son fils expliquant qu’il ne peut s’opposer à la volonté divine. Considéré comme un jeune homme simple qui sera facile à manipuler, Adam est recruté comme informateur par Ibrahim. En introduction au thriller politique, La conspiration du Caire pose la découverte d’un savoir plein de promesses pour Adam. Mais le jeune étudiant va surtout se perdre dans les méandres d’un monde dangereux.
Le Nom de la Rose du désert
La conspiration du Caire est également née d’une inspiration littéraire : Le Nom de la Rose. Le célèbre thriller médiéval d’Umberto Eco qui se déroule dans un monastère a inspiré le cinéaste pour transférer le genre dans un contexte musulman. Un projet sensible dans un pays qui laisse très peu de liberté de création. Le risque est d’autant plus grand quand il s’agit de raconter les basses manœuvres de l’État au sein de la célèbre université.
De nos jours, l’université Al-Azhar accueille plus de 300 000 étudiants et 3 000 professeurs. Directeur de l’institution, le Grand Imam qui décède subitement au début du film est l’équivalent du Pape dans la religion catholique. La nature et le pouvoir ayant horreur du vide, sa disparition entraîne immédiatement de grandes manœuvres pour remplacer celui dont les fatwas sont très suivies.
Incontournable
Influence incontournable dans la société égyptienne, l’université Al-Azhar ne peut être ignorée par le pouvoir égyptien. Tout dirigeant doit en effet prendre en compte les recommandations émises par le Grand Imam lorsqu’il s’agit de promulguer de nouvelles lois. Ce lien entre le religieux et le pouvoir étatique est d’ailleurs symbolisé par une proximité géographique étonnante.
Le Conseil des Oulémas qui doit se réunir pour élire le nouveau directeur de l’institution se situe en effet de l’autre côté de la rue du siège de la Sûreté de l’État. Avec la disparition du Grand Imam, le pouvoir égyptien cherche à s’assurer que le nouvel imam qui doit être élu sera en phase avec sa politique. La conspiration du Caire décrit avec précision cette lutte d’influence qui prend des chemins pour le moins autoritaires.
Persona non grata
Par son contenu mais aussi le passif de Tarik Saleh, La Conspiration du Caire n’a pas pu être tourné en Égypte. Le cinéaste n’a en effet pas pu y retourner depuis 2015. Alors qu’il s’apprêtait à débuter le tournage de son film précédent Le Caire Confidentiel (2017) – lire notre critique -, les services de sécurité égyptiens ont ordonné à l’équipe de quitter le pays.
Perçu officiellement comme une attaque contre la police égyptienne, Le Caire confidentiel a scellé le destin du cinéaste. De mère suédoise et père égyptien, Tarik Saleh serait immédiatement arrêté s’il retournait en Égypte. Pour remplacer l’université Al-Azhar, La conspiration du Caire a été tourné en Turquie au sein de la Mosquée Süleymanye d’Istanbul. Les deux monuments possèdent la même architecture décorée de motifs géométriques selon les préceptes de l’islam sunnite qui ne représentent pas l’être humain.
Plongés dans cet univers aux formes géométriques, certains personnages font penser à des pions sur un échiquier. Une partie féroce où s’affrontent aussi bien les différents courants de l’islam que l’entrisme de l’État au sein de l’institution. Avec sa violence larvée qui explose par moment, La conspiration du Caire évoque également les films de prison avec ses lieux emblématiques : la cour, la cantine… De quoi renforcer la tension de ce thriller politico-religieux qui dépasse le cadre du contexte égyptien.
« Je » de pouvoir
Avec sa description précise des coulisses de l’université Al-Azhar et de l’influence des services de l’État pour peser sur la désignation, La conspiration du Caire est un thriller politique saisissant dans un pays où religion et pouvoir autoritaire sont intimement liés. Le conflit qui oppose Cheikh el-Tayeb, Grand Imam depuis 2010, et le Président Al-Sissi est un parfait exemple de ce jeu d’influences parfois ambigu qui rythme la vie politique égyptienne.
Pour Tarik Saleh le sujet de son thriller n’est pas seulement l’islam mais, de façon plus universelle, le savoir que la religion incarne. Les différents courants représentés au sein de l’université Al-Azhar symbolisent les interprétations faites des textes religieux. Des lectures qui possèdent leur propre idéologie et qui libèrent ou enferment l’individu à travers des commandements à respecter.
Cette autorité est également présente dans le cas de l’État qui décide des lois et peut imposer sa volonté par la violence. Qu’il soit politique ou religieux, chacun de ces systèmes possède ses propres règles qui peuvent être altérées ou transgressées par ceux qui détiennent le pouvoir. La conspiration du Caire expose l’intérêt particulier de dirigeants qui cherchent à conserver ou renforcer leur pouvoir, à tout prix. Une histoire de pression au final terriblement humaine.
> La conspiration du Caire (Boy from Heaven), réalisé par Tarik Saleh, Suède, France, Finlande, 2022 (1h59)