Zentaï, une passion qui moule

Zentaï, une passion qui moule

Zentaï, une passion qui moule

Zentaï, une passion qui moule

23 décembre 2010

Le corps lisse, moulé, compressé dans du Lycra ? C'est le zentaï. Une pratique venue du Japon et pour certains, une passion.

Soirée Dèmonia : Final du show | Photo Levy Brok

« Quand j’étais un jeune ado, je volais les collants de ma mère dans ses tiroirs. » Erwan, 37 ans, paysagiste, s’adonne à une passion peu connue, le zentaï. Souvenez-vous de la série télévisée Bioman, apparue dans les années 80 au Japon. Ces héros sauvaient le monde dans leur costard en Lycra. Moulés, muscles saillants, ces guerriers japonais fendaient l’air, la totalité de leur corps enserrée dans une combinaison intégrale. Le zentaï, c’est ça : une combinaison en Lycra, d’un seul tenant, qui habille entièrement; tête, pieds et mains compris. Le nom vient de la contraction de l’expression japonaise "Zenshin Taitsu", qui signifie "corps recouvert entièrement".

Un matin, alors que sa mère fait du stretching en académique, il a un choc. « Elle avait l’air si bien. C’était joli sur elle. J’ai décidé d’essayer moi aussi. » Régulièrement, il portait des collants qu’il chipait dans la chambre maternelle. Parfois il dormait avec. De temps à autre, il le laissait sous son pantalon quand il partait à l’école. « Je voulais être recouvert intégralement. Je mettais un collant en bas. J’en perçais un deuxième et y passait mon cou. Presque tout mon corps était compressé. Parfois même j’ajoutais un bas sur ma tête. Mais ça n’allait pas, il y avait des espaces aux poignets et au cou. » C’est sur Internet, à la fin des années 90, que Lycraboy – comme il se surnomme lui-même – découvre qu’il n’est pas seul dans sa situation, grâce notamment au forum francophone Elasticouple, aujourd'hui fermé.

Au milieu des années 80, le photographe japonais Marcy Anarchy tire le zentaï hors de la petite lucarne et l’utilise dans son art. Grâce à lui, le zentaï sort alors de sa niche. Il devient une tendance dans les lieux branchés de Tokyo, une mode qui perdure. En France, on regarde cette combinaison avec beaucoup plus de défiance. Elle reste très souvent l’apanage des fétichistes. Même si Erwan reconnaît qu’il accorde à ses collants – il en possède tout de même soixante-quatorze – un caractère éminemment sensuel, il refuse de laisser le zentaï enfermé dans les pratiques sadomasochistes.

Show zentaï lors de la soirée Dèmonia | Photo Levy Brok

Alors qu’au Japon et, plus rare, en Angleterre ou en Allemagne, il est possible de croiser ces corps lisses dans des lieux nocturnes, ils sont invisibles en France. Sauf si vous pointez à la soirée Dèmonia, une soirée fétichiste qui se tient chaque année, au début du mois de décembre. Dèmonia, c’est aussi l’un des seuls magasins qui vend des combinaisons intégrales à Paris. Bien sûr vous en trouverez sur Internet. Sur le site allemand spécialisé Fets-Fash, Lycraboy vient de s’offrir une combinaison disco, étoilées aux couleurs flashy. Il la portait à la soirée Demonia lors du show zentaï. Quatorze danseurs, une chorégraphie. Preuve que le zentaï se développe : « le spectacle qui lui est dédié n’est organisé que depuis l’année dernière », indique Laurence, l’une des organisatrice de la soirée Dèmonia.

Cette dernière acquisition lui a coûté 145 euros. En général, la fourchette de prix s’étend de 25 à 150 euros. Certaines peuvent coûter jusqu’à 500 euros, tout dépend des matières. La passion peut coûter cher mais Lycraboy est habile de ses mains. Il lui arrive parfois d'acheter du Lycra et de confectionner lui-même un zentaï. Bel exemple ici avec la combinaison "Marylin Monroe".

Lycraboy avec son zentaï "Marilyn Monroe" | Photo lycrazentaï.blogspot.com

Laurence remarque que, ces derniers mois, le phénomène zentaï se popularise dans les médias. Mais à la boutique, « cela fait maintenant trois ans qu’on a une gamme de produits assez large ». Quels sont ses clients ? « Des fétichistes ou des artistes, danseurs, acteurs. » Erwan n’est pas un artiste mais revendique le zentaï comme un art de vivre. « Le zentaï est très esthétique. Je me sens un autre homme quand je le porte. »

Il a une petite amie depuis quatre ans. Elle n’est pas du tout adepte de la pratique. « Au début, c’était dur, elle pleurait. Elle avait surtout du mal à accepter la cagoule. » Depuis, la jeune femme s’est apaisée et pour faire plaisir à son homme, porte parfois un zentaï. Sensuelle, la combinaison n’est pas sexuelle. Si certains zentaï comportent une ouverture à l’entre-jambe pour les rapports sexuels, Erwan n’est absolument pas émoustillé par une relation en Lycra. « On se caresse un peu. Mes sensations sont décuplées, mais ça s’arrête là. »

Le couple ne vit pas ensemble. Quand il est seul chez lui, une fois rentré du travail, il prend une douche, dîne et endosse sa combinaison. Il se regarde quelques minutes dans le miroir : « pourtant, je ne suis pas narcissique mais je me trouve beau ». Il vaque ensuite à ses occupations. Imaginez ce gaillard, 37 ans ces jours-ci, robuste, plus d’ 1m90, évoluer tout naturellement dans son appartement, Lycra de la tête aux pieds. Imaginez-le aussi se glisser sous la couette, car il n’est pas rare que ses combinaisons lui servent de pyjama. Ce qu’il aime par dessus tout : « La sensation de compression. »

Erwan s’est érigé en porte-parole de la cause zentaï en France. Il veut la faire rentrer dans les mœurs et la laver de l’image poisseuse du fétichisme. Il tient un blog et c'est l’un des administrateurs du seul forum francophone sur le zentaï, Second-skin. Qu’il se méfie, un site Internet pourrait bien lui voler la vedette. Morphsuits.com axe son plan de communication sur le potentiel festif du zentaï. « Vous pouvez voir au travers et même boire en le portant, alors pour vos fêtes, festivals et autres enterrements de vies de garçons/jeunes filles… », lit-on sur la page d’accueil. Adossé à une vitrine de photographies où les corps de Lycra évoluent dans des situations de la vie quotidienne ou lors de réunions festives. Pour échapper à la représentation sadomasochiste, le zentaï a été rebaptisé. Ce n’est plus un zentaï que l’on vient s’offrir mais un Morphsuit, ce qui énerve profondément Lycraboy, le puriste. « Morphsuits n’est autre qu’une marque de zentaï. Ils essaient d’en faire un objet à part entière. Non, l’objet, c’est le zentaï. »

Erwan, sans cagoule | Photo lycrazentaï.blogspot.com

Au delà de la terminologie, Morphsuits.com et Lycraboy sont finalement d’accord : le zentaï n’est pas fait que pour ceux qui aiment être attachés aux radiateurs. Il est aussi festif et artistique. En première ligne, Erwan/Lycraboy, qui le hurlerait sur les toits s’il le pouvait. Sa passion, il l’a toujours sur le bout des lèvres, prêt à en parler, même avec ses clients. Il nous donne d’ailleurs sa carte de visite personnelle qu’il a déjà donné à 90% de sa clientèle. Y figure l’adresse de son site : lycrazentai.blogspot.com. Non, il ne se cache pas.