Avec déjà une belle carrière à son actif, le réalisateur italien Giovanni (Nanni Moretti) s’apprête à tourner son nouveau projet dont l’action se situe en 1956, à l’époque de l’invasion soviétique en Hongrie. Pierre (Mathieu Amalric), son producteur français, grand admirateur de son travail, est plus motivé que jamais et Paola (Margherita Buy), sa femme et productrice, est, comme à son habitude, à ses côtés pour cette nouvelle aventure. Tout semble augurer d’un nouveau succès.

Hélas, les choses se gâtent rapidement sur le plateau de tournage. Giovanni découvre que sous le vernis de la bonne entente professionnelle sa femme envisage de le quitter. De son côté, Pierre s’avère beaucoup moins fiable que prévu et Emma (Valentina Romani), sa fille qui doit composer la musique du film, s’éloigne irrémédiablement de lui.

Sur la corde raide, Giovanni va devoir affronter ces vents contraires et réinventer sa manière de faire s’il veut mener son projet à terme.

Alter ego

Après Tre Piani (2021), adaptation de roman peu convaincante – lire notre critique -, Nanni Moretti est de retour avec un scénario original. Le cinéaste renoue avec ce qui a fait sa renommée : la mise en scène d’un alter ego, miroir de ses propres angoisses et espérances. Deux sentiments contradictoires qui cohabitent ici joyeusement.

Avec treize films réalisés, Giovanni, le cinéaste fictif, égale le palmarès de Moretti, son créateur. Il ne faut évidemment pas y voir une simple coïncidence. Quant aux problèmes de couple et autres mésaventures sur le plateau de tournage, où intime et professionnel ne cessent de s’entremêler, au spectateur de décider où placer le curseur de la fiction.

Habituelle chez Nanni Moretti, cette complicité avec le personnage principal, qu’il incarne évidemment, est également l’occasion d’explorer de façon méta, avec un regard décalé et en partie désabusé, le milieu du cinéma. Et pour ce faire, Vers un avenir radieux s’amuse à prendre certaines libertés réjouissantes avec les règles établies de la fiction et la vérité historique.

Et si…

Le film tourné par Giovanni se déroule en 1956 dans un petit village italien alors que les soviétiques envahissent la Hongrie. Ennio (Silvio Orlando), le rédacteur en chef du journal du Parti communiste italien, est partagé entre suivre la ligne de l’Union soviétique et se rebeller contre cette invasion. Il est d’autant plus tiraillé que Vera (Barbora Bobulova), une charmante militante qui ne le laisse pas de marbre, le pousse à mener la révolte. Et la pression est d’autant plus forte qu’un cirque hongrois est de passage en ville.

Cette occasion manquée pour la petite communauté de prendre son indépendance face au Parti Communiste Italien est au cœur du film. Elle représente pour Giovanni le fantasme d’une réalité différente. Plus radieuse ? Cette obsession d’alternative historique le pousse à réécrire sciemment l’Histoire. Il déchire en deux un poster de l’époque pour faire disparaître Staline de l’image et invente une marque d’eau minérale avec un logo qu’il considère plus symbolique.

La recherche d’absolu qui anime Giovanni, quitte à nier la réalité historique de façon totalement assumée, fait écho à son aveuglement face aux désagréments qui vont lui tomber dessus en masse. Cette volonté de modifier la réalité est évidemment un clin d’œil appuyé au cinéma, merveilleuse machine à (re)créer des histoires qui réunit Nanni Moretti et son Giovanni dans l’espoir de créer un monde meilleur, ou au moins d’en proposer une version plus acceptable.

Décalé

Et pour créer une alternative plus enjouée, Nanni Moretti n’hésite pas à user du décalage. Le thème du film de Giovanni en est un bon exemple. Les états d’âme de militants communistes en 1956 peut en effet sembler un sujet un peu désuet. Et lorsque le producteur s’évapore, c’est auprès de Netflix que Giovanni part chercher le financement du film.

La réunion est l’un des moments savoureux du film alors que les représentants de la plateforme louent leur production dantesque : plus de 190 films à travers le monde ! Évidemment le courant ne passe pas, du tout. Avec un brin de démagogie malicieuse – il arrive à Netflix de produire de très bons films -, Nanni Moretti oppose la qualité artisanale de son alter ego à la production industrielle capitaliste de la plateforme.

Peu importe si le trait est un peu grossier, la séquence est réjouissante et renforce l’idée que Giovanni évolue véritablement dans un monde parallèle. Pendant qu’il travaille sur son film, le cinéaste imagine d’ailleurs déjà ses deux prochains projets : l’histoire d’amour d’un couple sur plusieurs décennies et Le nageur, adaptation d’une nouvelle de John Cheever. Giovanni s’évade pour éviter d’affronter la réalité en face mais les faits sont tenaces…

Histoires d’amour

Giovanni est convaincu de réaliser un film politique mais son actrice qui incarne Vera ne cesse de jouer la romance avec son partenaire de jeu. Elle en est convaincue, le cœur du récit est une histoire d’amour. Cette incapacité du cinéaste à reconnaître cette dimension romantique dans son propre film renvoie à son déni sur la situation de son propre couple et le décalage qui plane constamment sur le film.

Sa femme Paola, productrice historique n’est-elle pas en train de lui être infidèle ? Pas (encore) dans la vie privée, mais professionnelle. Pendant qu’il tourne son film (plus ou moins) historique, Paola produit pour la première fois le film d’un jeune réalisateur prometteur. Thriller d’action musclé, le projet donne un bon coup de vieux à son film mais marque aussi une rupture.

Sans lui en parler, Paola voit également en secret un psychanalyste pour trouver le courage de le quitter. Refusant la romance dans son film, Giovanni reste obstiné sur le côté sombre et inéluctable de son film. Selon lui, Ennio ne peut résoudre ses contradictions qu’avec un geste fatal : un suicide, le premier dans l’un de ses films. La sombre perspective fait écho à un désespoir inavoué chez Giovanni. Mais pas chez Moretti !

Lâcher prise

En effet, malgré les tourments dans lesquels il entraîne son personnage, Nanni Moretti ne s’avoue pas vaincu. Bien au contraire ! Comme son titre l’indique, Vers un avenir radieux est un tendre hommage aux possibilités du cinéma. Moretti les explore ici pleinement avec une liberté inédite. En mettant en scène son alter ego dans un procédé de film dans un film, le cinéaste s’amuse avec les possibilités.

Vers un avenir radieux flirte ainsi avec la comédie musicale lorsque Giovanni se laisse emporter par le rythme irrésistible du Think de Aretha Franklin lors d’un trajet en voiture. Plus évident encore, lorsqu’il fait chanter et danser l’équipe du film sur le plateau avec de reprendre une activité normale.

Même le couple de son hypothétique prochain film s’incruste dans les rêveries du cinéaste venant troubler une réalité décidément très instable. Ces changements de styles et interventions externes sont autant de respirations entre réel et imaginaire qui invite à lâcher prise et à voir les soucis sous un angle – de caméra – différent.

Avec une grande liberté, Nanni Moretti compose une œuvre qui n’hésite pas à prôner la réécriture des histoires dans une tonalité plus joyeuse. Mise en abyme cinématographique charmante, Vers un avenir radieux met en scène les angoisses de son personnage pour mieux les contourner. Un tour de passe-passe hommage au cinéma comme créateur d’alternatives salvatrices à l’optimisme contagieux.

> Vers un avenir radieux (Il sol dell’avvenire), réalisé par Nanni Moretti, Italie, 2023 (1h35)