En août 1945, le Japon perd la guerre. Les habitants de la minuscule île de Shikotan sur laquelle vivent le jeune Junpei, 10 ans, et son petit frère Kanta, 2 ans, attendent dans la crainte l’invasion des troupes américaines. C’est finalement l’armée russe qui annexe ce petit bout de terre éloigné de tout. Une étrange cohabitation débute alors entre les familles des soldats soviétiques et les habitants de Shikotan.
C’est dans ce contexte que Junpei s’éprend de Tanya, la fille du major Koshkin, commandant de l’armée rouge sur l’île. Mais l’idylle naissante est vite contrariée par le départ de Tatsuo, le père de Junpei, contraint par les forces soviétiques à quitter l’île. En 1947, tous les Japonais de l’île sont forcés à l’exil : ils doivent rejoindre Sakhaline, Russie, avant d’être rapatriés au Japon. Arrivés à cette première étape, Junpei et Kanta n’ont qu’une idée en tête : retrouver leur père. Une quête dangereuse pour les deux enfants perdus dans les méandres d’un conflit qui les dépasse.
L’imaginaire salvateur
L’île de Giovanni rend un magnifique hommage à la terrible histoire vécue par Hiroshi Tokuno (Junpei dans le film) en projetant à l’écran la vision d’enfants dont l’innocence et l’imagination servent de remparts à la difficile réalité. Le film offre de très belles scènes sur les liens qui se créent entre les enfants russes et japonais, malgré les circonstances. Séparés par une cloison, chaque groupe chante en classe un air traditionnel de son pays, Katioucha pour les Russes et Akatonbo pour les Japonais, en tentant de chanter plus fort pour supplanter l’autre. Un concours copié sur les rapports des adultes qui prend fin quand les enfants utilisent finalement la musique comme moyen pour dépasser la barrière de la langue.
Vu par le prisme de l’enfance, le film a l’intelligence de ne pas pointer du doigt les gentils et les méchants de cette période compliquée. Junpei connait par cœur Train de nuit dans la Voie lactée, un roman de Kenji Miyazawa, que son père lui lisait régulièrement. Quand il disparait, Junpei et Kanta pensent évidemment au train magique du roman pour le retrouver. L’innocence et l’imaginaire, thèmes récurrents du film, permettent l’évasion et l’espoir nécessaires pour ne pas s’effondrer. Cette imagination enfantine salvatrice donne au film son titre – Giovanni est le nom d’un personnage du livre adoré par Junpei – et de magnifiques séquences oniriques.
Un dessin poétique
Pour porter à l’écran cette nouvelle production du studio Production I.G., le réalisateur Mizuho Nishikubo, notamment directeur de l’animation du célèbre Ghost in the shell (1995), n’a pas misé sur le réalisme. Un long travail de recherche a été entrepris pour rendre le script proche de l’histoire mais le dessin s’autorise une représentation libre. Le directeur artistique français Santiago Montiel a choisi un style qui déforme la perspective des décors. Décors qui portent volontairement la marque de coups de pinceaux. Un parti pris, proche de la tradition japonaise de l’ukiyo-e, qui dote le film d’une identité visuelle originale avec une frontière toujours ténue entre le réel et l’imaginaire. L’île de Giovanni est serti de scènes d’une beauté poétique saisissante, comme celles où apparait le train fantasmé par Junpei et Kanta.
Cette histoire d’une fratrie prise dans le tumulte de la seconde guerre mondiale fait évidemment penser au sublime film d’Isao Takahata, Le tombeau des lucioles (1988). Mais si les faits rentrent en résonnance, L’île de Giovanni possède une vision plus optimiste et un style visuel inédit. Ce beau voyage, sensible et émouvant, est vivement conseillé aux enfants et à tous ceux qui sont restés sensibles au pouvoir de l’imagination.
> Pour fêter la sortie du film en France, des illustrations de Santagio Montiel, issues du film et d’autres travaux, font l’objet d’une exposition à Paris au Dernier bar avant la fin du monde jusqu’au 22 juin.
> L’île de Giovanni (Giovanni no Shima), réalisé par Mizuho Nishikubo, Japon, 2014 (1h42)