« Une femme fantastique », n’être qu’une femme

« Une femme fantastique », n’être qu’une femme

« Une femme fantastique », n’être qu’une femme

« Une femme fantastique », n’être qu’une femme

Au cinéma le 12 juillet 2017

Marina et Orlando, de vingt ans son aîné, s'aiment loin du regard des autres. Lors du décès soudain de son compagnon, Marina se retrouve renvoyée à son statut de femme transgenre par la famille du défunt et la société. Drame subtil sur l'intolérance, Une femme fantastique aborde avec tact et une grâce remarquable le sujet encore tabou de l'identité de genre.

Malgré les vingt ans qui les séparent, Marina (Daniela Vega) et Orlando (Francisco Reyes) s’aiment et se projettent dans l’avenir. Mais tout s’arrête brutalement la nuit où Orlando, pris d’un malaise, décède subitement. Marina se retrouve alors seule face à la famille de celui qu’elle a aimé. Alors que les formalités liées à la disparition de son compagnon devraient se résoudre facilement, tout devient compliqué pour Marina, né Daniel. La jeune femme transgenre subit l’hostilité des proches d’Orlando qui rejettent tout ce qu’elle représente. Face aux attaques et à l’injustice, Marina va devoir se battre pour révéler aux autres la femme qu’elle est : forte, courageuse et fantastique !

Une femme fantastique © Fabula / Michelle Bossy

L’impossible deuil

Pour son nouveau film, le réalisateur chilien Sebastián Lelio avait pour ambition de raconter le parcours d’une personne qui se trouve confrontée au rejet des proches d’un partenaire après son décès. Après avoir exploré les pistes d’un homme, d’une jeune fille ou encore d’une femme plutôt âgée, le choix de faire de l’héroïne de son film une femme transgenre lui a paru l’idée la plus puissante. Et le résultat prouve que son intuition était la bonne. La question de l’identité de genre et du changement de sexe qui est sans cesse renvoyée à Marina démontre qu’il s’agit d’un tabou encore très actuel, entraînant rejet et incompréhension.

Une femme fantastique © Fabula / Michelle Bossy

D’une situation assez banale, la mort d’Orlando devient un combat pour Marina qui souhaite faire valoir ses droit en tant qu’ex compagne. Mais voilà, au delà de la différence d’âge qui irrite la famille du défunt, Marina est né homme et personne ne semble vouloir l’accepter telle qu’elle est. À travers les démarches purement administratives, les questions des biens du défunt — sa voiture, son appartement… — ou encore la garde de son chien qui vient se substituer à la présence d’enfants, Sebastián Lelio montre le parcours du combattant de cette femme à qui tout est refusé, à commencer par se rendre aux funérailles de son propre compagnon. Marina doit faire face à la violence — réelle ou symbolique — de proches qui n’ont jamais compris ni accepté sa relation avec Orlando.

Isolée face à une famille entière, Marina est accusée de perversion et n’est pas mieux traitée par les autorités qui envisage un temps sa relation avec Orlando sous le prisme de la prostitution et fait peser une potentielle accusation de meurtre au dessus de la jeune femme. Une situation incroyablement injuste pour cette femme qui a décidé de ne pas se laisser faire, parfaitement incarnée à l’écran par Daniela Vega, à la fois tenace et émouvante.

Une femme fantastique © Fabula / Michelle Bossy

Mauvais genre

Il était impossible, de la propre confidence du réalisateur, de proposer le rôle de Marina à une actrice qui n’aurait pas été transgenre. Il rapproche ce qui aurait été une sorte de « déguisement » à cette époque — malheureusement pas complètement révolue dans les faits — où l’industrie du cinéma s’adonnait au « blackface » en grimant des blancs pour interpréter des rôles devant logiquement être joués par des noirs. Si cette décision pleine de bon sens semble aller de soi, il s’agit déjà d’un engagement qui donne une crédibilité à cette histoire de deuil impossible à réaliser. Même s’il se défend d’avoir voulu faire un film militant — Sebastián Lelio, en tant qu’homme blanc et hétérosexuel a la clairvoyance de savoir qu’il ne peut pas s’improviser porte-parole de la communauté trans —, Une femme fantastique porte tout de même un message à la fois politique et sociétal.

Sans donner aucune leçon, le drame du cinéaste expose juste des faits et cette simplicité le rend d’autant plus puissant. Au final le film pose plus de questions qu’il n’offre de réponses et invite le spectateur à réfléchir à la situation peu enviable de Marina. Actrice débutante qui a du jouer avec des comédiens aguerris, Daniela Vega — au départ simple consultante sur le scénario — livre une prestation saisissante tout au long du film. Ce drame est également porté par le regard très pudique que le réalisateur porte sur son héroïne. Le sexe de la jeune femme — qui obsède tellement tout le monde autour d’elle — n’est jamais montré. A-t-elle été opérée ou non ?

Une femme fantastique © Fabula / Michelle Bossy

Le mystère reste entier avec des pirouettes de réalisation, dont une particulièrement poétique, qui ne sont pas pour autant que des effets de style. En refusant au spectateur de dévoiler cette part d’intimité de l’héroïne et de céder à un certain voyeurisme, Sebastián Lelio recentre le sujet pour éviter de tomber dans les travers de cette famille qui agresse Marina. Pour Marina qui ne souhaite n’être qu’une femme, l’identité n’est pas inscrite dans la chair mais est avant tout une question de perception de son propre genre.

Sublimé par l’interprétation magnétique de son héroïne, Une femme fantastique met en avant le sujet quasiment invisible sur les écrans de l’identité des personnes trans à travers un scénario brillant. Un drame fantastique dont la simplicité et la justesse fait réfléchir aux droits de chacun, peu importe l’identité choisie.

> Une femme fantastique (Una Mujer Fantástica), réalisé par Sebastián Lelio, Chili – États-Unis – Allemagne – Espagne, 2017 (1h44)

Une femme fantastique (Una Mujer Fantástica)

Date de sortie
12 juillet 2017
Durée
1h44
Réalisé par
Sebastián Lelio
Avec
Daniela Vega, Francisco Reyes
Pays
Chili - États-Unis - Allemagne - Espagne