Alors qu’elle descend en urgence de chez elle pour éviter une énième contravention, Louise (Marina Foïs), infirmière, ignore que sa journée va prendre un tournant assez surréaliste. Après avoir déplacé la vieille Volvo 240 break ayant appartenu à son père, Louise est incapable d’en sortir ! L’idée de mettre un pied en dehors de l’habitacle provoque en elle une crise d’angoisse incontrôlable.

Alors que Louise passe la nuit coincée dans sa voiture, Paul (Benjamin Voisin) vole son véhicule et, malgré lui, la kidnappe. Le jeune homme a un compte à régler et compte sur le véhicule de l’infirmière au bout du rouleau pour se rendre à destination. Ensemble, les voici embarqués dans un périple aux rencontres loufoques qui les poussent à se découvrir mutuellement.

Enfermée dehors

L’étonnant scénario de Didier Barcelo est né d’une volonté de mettre en scène un « huis-clos en mouvement ». Ainsi la malheureusement Louise se retrouve, pour une raison qu’elle n’arrive pas à expliquer, captive de sa voiture. Séparée du monde extérieur uniquement par une mince couche de tôle, elle peut cependant se déplacer où elle le souhaite dans ce qui ressemble à une ironique prison à ciel ouvert.

Pour son premier long métrage, le réalisateur reprend l’idée d’une femme qui perd pied, comme Charlotte Rampling qui se rend compte qu’elle a été remplacée par une autre actrice dans son court-métrage The End (2011). Une certaine dualité est également de mise dans le cas de Louise qui ne peut expliquer sa réaction, ou plutôt celle d’une femme démunie qu’elle ne reconnait pas.

La situation est d’ailleurs tellement improbable que Didier Barcelo pensait l’avoir imaginée. Mais une amie, chef de service dans un hôpital psychiatrique, lui a confirmé qu’elle a été confrontée à une telle situation. Dans le cas de ce périple, le blocage est le point de départ de situations incongrues qui vont tisser un lien entre Louise et son ravisseur condamné à tolérer sa présence.

Crevée

Même s’il a été écrit avant la pandémie et que l’effet n’est pas intentionnel, l’infirmière en burn out entre en résonance avec un système de santé au bord du gouffre – s’il n’y est pas déjà tombé. Ce poids d’un boulot qui devient trop lourd à porter, malgré la vocation, plane sur le toit de la vieille voiture jaune. Dans cette crise de panique, il y a une part d’une fatigue générale qu’il est facile de s’approprier.

Mais au fil du voyage imposé par Paul qui a une destination bien particulière en tête, c’est bien une angoisse personnelle qui affleure. Cette crise de milieu de vie qui semble toucher Louise finit par intriguer Paul au point de kidnapper – cette fois-ci délibérément – un psy pour sa partenaire de route. Une thérapie improvisée prend alors forme sous la contrainte. Elle est menée par Jean-Charles Clichet, excellent dans ce rôle de soignant aux compétences très approximatives.

Alors que la voiture passe de prison à refuge – une transition habilement accompagnée par la réalisation et l’univers sonore du film -, le road trip vengeur initié par Paul prend une nouvelle tournure. Les langues se délient et le rapport de force entre l’infirmière et son jeune kidnapper évolue pour devenir plus ambigu, chacun découvrant avec empathie les failles de l’autre.

Il était deux Foïs

Sur le papier, cette histoire de femme incapable de sortir de son véhicule peut sembler bancal, d’autant plus que la comédie pousse à une accumulation de situations assez improbables. Pourtant, En roue libre réussit à nous embarquer facilement dans ce huis clos aux paysages changeants où l’angoisse existentielle réussit à faire rire.

Ce pari est remporté grâce à un casting solide et notamment la prestation impeccable de Marina Foïs. L’actrice prouve une nouvelle fois son aisance à combiner mal être et un détachement comique déconcertant. Même lorsqu’elle n’est pas derrière le volant, Marina Foïs offre à cette comédie teintée de désespoir une direction certes incertaine mais que l’on a envie de suivre à ses côtés.

Comédie dépressive qui tient la route, En roue libre s’appuie sur la subtile dualité de Marina Foïs pour non seulement nous faire croire à l’improbable mais nous impliquer dans cette crise existentielle nomade. Avec, au bout de la route, une renaissance libératrice.

> En roue libre, réalisé par Didier Barcelo, France, 2022 (1h29)