« Anti-Squat », un abri à tout prix

« Anti-Squat », un abri à tout prix

« Anti-Squat », un abri à tout prix

« Anti-Squat », un abri à tout prix

Au cinéma le 6 septembre 2023

Menacée d'expulsion, Inès est embauchée par la société Anti-Squat qui place des personnes dans des bâtiments vides pour éviter les squatteurs. Ce job inespéré lui permet de mettre son fils à l'abri, mais à quel prix ? Drame social d'une grande justesse, Anti-Squat explore les rouages d'un marché immobilier en roue libre soumettant les plus faibles. Prise dans cette fuite en avant cynique, Louise Bourgoin livre une prestation impeccable en mère de famille partagée entre défense de ses convictions et protection de son fils.

Agente immobilière indépendante, Inès (Louise Bourgoin) galère à trouver un emploi. Sa quête devient urgente lorsqu’elle est menacée de se faire expulser de chez elle avec Adam (Samy Belkessa), son fils de 14 ans. Prise à l’essai chez Anti-Squat, elle découvre cette entreprise qui évite aux locaux inoccupés d’être squattés en y installant des personnes en quête d’un logement bon marché.

Inès a pour rôle de recruter les résidents et de vivre avec eux dans le bâtiment. Elle est également chargée de faire respecter des règles très strictes : pas de visites, pas d’animaux, pas d’enfants… Si Inès est prête à tout pour s’en sortir et mettre son fils à l’abri, ce job ambigu va mettre ses convictions à dure épreuve.

Anti-Squat © Kazak Productions - Diaphana Distribution

Le modèle hollandais

Encore peu connu en France, le système proposé par la société Anti-Squat dans le film est un concept né dans les années 80 à Amsterdam où de nombreuses maisons vides étaient squattées. L’idée est de gérer utilement les locaux inoccupés en offrant une alternative à l’hébergement d’urgence. En France, le principe est expérimenté depuis 2009.

En novembre 2018, l’article 29 de la loi ELAN (Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) vient renforcer le dispositif. Les propriétaires peuvent désormais confier leurs biens vacants à des organismes publics ou privés afin d’y loger des résidents temporaires. La « loi anti-squat », promulguée le 27 juillet dernier, pérennise la pratique en permettant aux entreprises de l’utiliser. Protéger les lieux vides d’une occupation illicite tout en trouvant un toit à des personnes à situation précaire, un système a priori gagnant pour tout le monde.

Anti-Squat © Kazak Productions - Diaphana Distribution

Un toit, c’est fou

Le système Anti-squat de « protection par l’occupation » n’est pas pour autant une œuvre de charité. Comme Inès va rapidement s’en apercevoir, dès la sélection des futurs locataires. Tout le monde ne peut en effet pas y prétendre. Pour accéder à ces logements mis à disposition temporairement moyennant une redevance moins élevée que les prix du marché, il faut un contrat de travail en règle. Pas question pour la société de se retrouver avec de mauvais payeurs.

En contrepartie de ce loyer réduit, les règles locatives sont très contraignantes pour les résidents. Ainsi l’expulsion est possible pendant la trêve hivernale, les enfants interdits dans les locaux et le nombre d’invités limité à deux. L’interdiction de s’exprimer dans les médias pour les locataires ajoute un parfum de censure. Le système aurait-il peur d’attirer l’attention ?

Peu à peu, Inès découvre ce système déséquilibré où les locataires sont soumis à un règlement très strict qu’elle est chargée de défendre. Mais Inès et les résidents ont-ils vraiment le choix ? Selon la Fondation Abbé Pierre, 15 millions de personnes sont dans une « situation fragile » par rapport à leur logement en France. Un chiffre ahurissant qui donne une idée du rapport de force inéquitable du marché immobilier. Une injustice progressivement intégrée par Inès, sous le regard circonspect de son fils.

Anti-Squat © Julien Panié - Kazak Productions - Diaphana Distribution

Business as usual

Le contrat de travail obligatoire pour devenir locataire temporaire avec des droits dégradés révèle cette indécence du marché immobilier. Anti-Squat met en lumière ces travailleurs pauvres dont le labeur ne permet plus de se loger de façon décente et qui doivent accepter les termes d’un hébergement dont ils peuvent être expulsés n’importe quand. Ainsi un prof, une infirmière, un chauffeur de VTC, une représentante de commerce se retrouvent dans ces grands bureaux vides de banlieue.

Malgré l’encadrement des loyers, mesure prise beaucoup trop tard et limitant seulement la casse à la marge, les prix de l’immobilier continuent de s’envoler. Alors que le logement occupe désormais la première place dans le budget des Français, Anti-Squat est parcouru par cette angoisse de plus en plus prégnante face au risque de se retrouver à la rue. Inès et ses locataires le savent, le système défendu par la société Anti-Squat est leur dernière chance avant la chute.

Cette position permet les abus de pouvoir sur une population fragilisée. D’une idée intéressante sur le papier, le système de protection par l’occupation révèle, par son existence, la folie d’un système incapable de proposer des logements dignes pour tous. Géré par une entreprise, le concept est soumis aux lois du marché et ses règles strictes font écho au marché immobilier qui tire tout le monde vers le bas et contre lequel il est impossible de s’élever.

Anti-Squat © Julien Panié - Kazak Productions - Diaphana Distribution

Éthique en vrac

Très juste dans son interprétation, Louise Bourgoin est le symbole des mères célibataires qui galèrent, principales victimes du mal logement. Cette pression maternelle qui pèse sur ses épaules en fait un personnage aux choix ambigus. Elle se retrouve déchirée entre ses convictions sociales et l’application cynique des règles qu’elle doit faire respecter aux locataires.

Prise en étau dans ce système criant d’inégalité, elle est à la fois bourreau et victime. Avec sa co-scénariste Fanny Burdino, le cinéaste fait peser l’épée de Damoclès de l’expulsion sur ses personnages qui acceptent les restrictions de liberté imposées. Dans un système où chacun est paralysé par l’idée du pire à venir, la servitude volontaire étouffe toute tentation de révolte.

L’aspect le plus cruel de la mécanique étant l’organisation de ce contrôle où Inès, travailleuse précaire, finit par exploiter ses semblables. Une position intenable, d’autant plus qu’elle agit sous les yeux de son fils, aspect plus intime de ce drame social.

Anti-Squat © Kazak Productions - Diaphana Distribution

Relais pas sage

Le reniement des convictions d’Inès se répercute dans sa relation avec Adam. Alors qu’elle tente tant bien que mal de gérer l’immeuble qui lui a été confié, Inès doit suivre l’évolution de son fils Adam qui, du haut de ses 14 ans, entre en phase de rébellion. Elle se retrouve ainsi convoquée au collège lorsqu’il décide de participer au blocus organisé par des lycéens.

Anti-Squat est parcouru par ce sentiment de passage de relais contestataire entre la mère et le fils. Alors que son fils s’engouffre dans la lutte sociale, Inès renie cyniquement ses principes pour des raisons très pragmatiques. De façon assez ironique, Inès abandonne le combat pour protéger son fils qui déplore qu’elle s’avoue si facilement vaincue.

Cette incompréhension fait écho à l’abandon progressif de combativité face à l’injustice associée à une perte d’empathie qui, si elle a ses raisons, ne reste pas moins effrayante. Entre sentiment maternel de protection et peur savamment entretenue d’un pire à venir, Anti-Squat résume parfaitement la mécanique à l’œuvre permettant de tirer tout un système vers le bas. Dans l’indifférence générale.

> Anti-Squat réalisé par Nicolas Silhol, France, 2022 (1h35)

Anti-Squat

Date de sortie
6 septembre 2023
Durée
1h35
Réalisé par
Nicolas Silhol
Avec
Louise Bourgoin, Samy Belkessa, Antoine Gouy, Ike Ortiz, Sâm Mirhosseini, Kahina Lahoucine
Pays
France