« The Wild One », cinéaste en libre résilience

« The Wild One », cinéaste en libre résilience

« The Wild One », cinéaste en libre résilience

« The Wild One », cinéaste en libre résilience

Au cinéma le 10 mai 2023

Metteur en scène de théâtre à succès, figure clé de l'Actors Studio, réalisateur censuré… Des camps de concentration à Broadway et Hollywood, Jack Garfein a vécu plusieurs vies. Documentaire à l'atmosphère éthérée, The Wild One dresse le portrait de cette figure oubliée érigeant la création artistique comme acte de survie. Un bel hommage, sur le fond et la forme, à un artiste et sa conception de la résilience par l'action sans compromission.

Né dans les Carpates, Jack Garfein connaît l’enfer de la Shoah lorsqu’il est déporté à Auschwitz à l’âge de treize ans. Il survit à onze camps de concentration avant de débarquer en 1946 en Amérique. Après des études au Dramatic Workshop de New York, il s’impose comme une pilier du théâtre contemporain. En 1966, il fonde l’Actors Studio West aux côtés de Paul Newman.

Découvreur de talents, il révèle notamment Steve McQueen, Bruce Dern, George Peppard, Ben Gazzara et donne à James Dean son premier rôle. Il sera par la suite le professeur de nombreux acteurs parmi lesquels Sissy Spacek, Ron Perlman, James Thierrée et Laetitia Casta. Accueilli à Hollywood les bras grands ouverts, Jack Garfein connaît la censure et finit exilé de son propre rêve américain.

Des camps de concentration au glamour hollywoodien, The Wild One dresse le portrait saisissant d’un survivant à travers ses confidences et les souvenirs de celles et ceux qui ont croisé sa route. Un périple mémoriel habilement mis en scène où s’entrecroisent ombres et lumières d’une carrière portée par une certaine idée de la résilience par l’art.

The Wild One © Petite Maison Production - New Story

Filmer le cinéma

La filmographie de Tessa Louise-Salomé révèle son attrait pour les coulisses de la création cinématographique. En 2013, la cinéaste réalise Drive in Holy Motors, documentaire sur le film Holy Motors (2012) de Leos Carax puis Mr. X, le Cinéma de Leos Carax (2014), son premier long-métrage documentaire. Pour ARTE, elle réalise ensuite Il était une fois…Mommy (2017), sur les coulisses de Mommy (2014) – lire notre critique – de Xavier Dolan.

Il y a sept ans, lorsque l’une des productrices de Wes Anderson lui présente Jack Garfein qui enseigne et vit alors à Paris, Tessa Louise-Salomé trouve son prochain projet. Au fil des années, elle collecte les anecdotes sur cette vie bien remplie, à la fois épique et dramatique, où s’entremêle la Shoah, le Rêve Américain, le cinéma hollywoodien et le théâtre contemporain. Difficile pourtant de convaincre de l’intérêt à réaliser ce film sur un artiste âgé alors de 89 ans et oublié de tous.

Tessa Louise-Salomé plonge dans ses souvenirs épars qu’elle réunit habilement dans ce documentaire sous forme d’un kaléidoscope explorant les vies multiples de l’artiste. Le film toujours en cours de production, le décès de Jack Garfein le 30 décembre 2019 vient chambouler la structure du documentaire. Son départ impose un ultime virage dans une vie qui en a connu de nombreux.

The Wild One © Petite Maison Production - New Story

Born to be wild

Pour beaucoup, le titre du documentaire évoque évidemment The Wild One (1953) avec Marlon Brando, acteur emblématique de l’Actors Studio. Mais pour celles et ceux qui connaissent Jack Garfein, le titre est également un clin d’œil aux deux seuls films qu’il a réalisé : The Strange One (1957) et Something Wild (1961). Dans le premier sorti en France sous le titre Demain ce seront des hommes, Jack Garfein dénonce le racisme systémique des États-Unis dans le cadre d’une école militaire. Lors de son arrivée en Amérique, celui qui a survécu à l’horreur des camps de concentration est profondément choqué par la ségrégation alors en cours envers les Noirs. Il traduit son indignation dans ce film porté notamment par Ben Gazzara.

Pas moins sulfureux, le second film – Au bout de la nuit pour son titre français – traite de la relation pour le moins ambiguë entre jeune New-yorkaise victime d’un viol et un jeune homme qui la séquestre chez lui dans le but de gagner son affection. Les deux œuvres sont finalement censurées. The Strange One pour son « ambiance homosexuelle » générale et « son excès de brutalité et des séquences suggestives qui tendent à ne pas respecter l’autorité de la loi. » Pour Something Wild, c’est la représentation réaliste d’un viol qui choque.

Ces deux films portent en eux le désir de liberté absolu et la lutte contre l’abus de pouvoir portés par le cinéaste qui lui vaudront d’être banni de la grande « usine à rêves ». Jack Garfein perd alors son contrat de dix films signés avec la Columbia. Ce parcours d’un réalisateur trop indépendant rejeté par Hollywood rappelle celui d’Orson Welles. Ce dernier a d’ailleurs déclaré non sans une pointe d’ironie « Si Jack Garfein n’avait pas existé, Hollywood l’aurait inventé ». Banni de l’industrie cinématographique, le cinéaste se recentre alors sur le théâtre.

The Wild One © Petite Maison Production - New Story

Projections

Pour rendre compte des multiples facettes de Jack Garfein, Tessa Louise-Salomé s’est plongée dans soixante-quinze ans d’archives : photographies privées, films personnels, correspondances, témoignages cinématographiques, archives historiques… Pour lier ce matériau composite, la cinéaste use d’une mise en scène faite de projections qui entourent les protagonistes dans une atmosphère de pénombre invitant aux confidences.

On retrouve parmi eux le cinéaste Peter Bogdanovich ou encore l’actrice Irène Jacob. Grâce à ce dispositif, les intervenants filmés à Berlin, Paris, New York ou encore Los Angeles évoluent dans un espace hors du temps indéfini qui donne une homogénéité étonnante au documentaire. Au-delà de l’aspect hypnotique du dispositif, les projections permettent également de conserver une unité avec les documents d’archives qui viennent se mêler aux interviews contemporaines.

The Wild One © Petite Maison Production - New Story

Entrelacés

Car The Wild One refuse la linéarité pour mieux embrasser les remous d’une carrière mouvementée. Tessa Louise-Salomé fait le choix d’un périple qui alterne entre l’ascension de Jack Garfein vers Broadway et Hollywood et sa terrifiante expérience des camps. Ce parallèle entre le petit garçon miraculé des années 40 et le glamour de cette nouvelle vie aux États-Unis vient renforcer l’incroyable destinée et la résilience de l’artiste.

Ce décalage est également présent avec le rôle de la voix off, incarnée par Willem Dafoe. L’acteur ne se contente pas de décrire le parcours de Jack Garfein mais lui prête sa voix. The Wild One alterne deux représentations de l’artiste qui se complètent et parfois se contredisent pour mettre en avant la complexité du personnage. À la parole de Jack Garfein face caméra se superpose cette voix off qui parle elle aussi à la première personne, nourrie des confidences de l’artiste hors caméra et d’autres écrits.

Documentaire à l’atmosphère cotonneuse et captivante, The Wild One met en lumière un artiste oublié inspirant. Un hommage qui donne envie de (re)découvrir ses films, rescapés d’une censure dont ils continuent à interroger le statut destructeur.

> The Wild One, réalisé par Tessa Louise-Salomé, France, 2022 (1h34)

The Wild One

Date de sortie
10 mai 2023
Durée
1h34
Réalisé par
Tessa Louise-Salomé
Avec
Jack Garfein, Willem Dafoe, Peter Bogdanovich, Irène Jacob, Bobby Soto, Dick Guttman, Blanche Baker, Patricia Bosworth, Foster Hirsch, Geoffrey Horne, Kate Rennebohm
Pays
France