« Tu mourras à 20 ans », la mort du risque

« Tu mourras à 20 ans », la mort du risque

« Tu mourras à 20 ans », la mort du risque

« Tu mourras à 20 ans », la mort du risque

Au cinéma le 12 février 2020

Au Soudan, un chef religieux prédit à la mère d'un nouveau né qu'il mourra à 20 ans. Les années passent, Muzamil a désormais 19 ans et s'interroge sur sa vie vécue dans l'attente de la mort. Fable mystique sur la vacuité d'une existence prédestinée, Tu mourras à 20 ans est également un vibrant cri du cœur politique dédié à un pays avide de liberté.

Dans la province d’Aljazira, de nos jours. Peu après la naissance de Muzamil, un chef religieux prédit à sa mère Sakina (Islam Mubarak) que l’enfant mourra à vingt ans. Ne pouvant supporter le poids de cette malédiction, Alnoor (Talal Afifi), le père du nourrisson, s’enfuit loin du village. Sakina élève seule son fils, prenant soin à ce qu’il ne lui y arrive rien avant la date fatidique. Muzamil (Mustafa Shehata) a désormais 19 ans. Résigné à bientôt quitter les siens, le jeune homme condamné fait une rencontre qui chamboule ses certitudes sur la façon de vivre les jours qui lui restent.

Tu mourras à 20 ans © Andolfi

Graine de révolte

Basé sur une nouvelle de l’écrivain et activiste soudanais Hammour Ziada exilé en Égypte, Tu mourras à 20 ans a été tourné lors d’une période particulièrement violente dans l’histoire du Soudan. Réalisateur de nationalité soudanaise, né et élevé à Dubaï, Amjad Abu Alala s’est inspiré pour son premier film des cinq années qu’il a passé au Soudan lors de son adolescence mais également des évènements contemporains. Conte à forte dimension philosophique et mystique, Tu mourras à 20 ans s’inscrit dans un contexte de révolte populaire dont le spectre plane sur le film.

Débuté à la mi-décembre 2018 dans le nord du pays, un mouvement de contestation exige un changement de régime. Cette colère populaire accompagne le tournage du film au quotidien. La répression du gouvernement est brutale : des dizaines de Soudanais sont blessés et parfois tués. Début avril, le cinéaste interrompt la postproduction du film pour assister avec d’autres membres de l’équipe à un sit-in de protestation.

Le 11 avril, le président Omar el-Béchir est renversé par un coup d’état militaire mettant un terme à trente ans d’un règne sanglant. Il faudra toutefois attendre le début de mois juillet — après une nouvelle forte répression de la part des militaires — pour que soit mis en place un régime de transition, avec un partage des postes entre civils et militaires.

Tu mourras à 20 ans © Andolfi

Soudés à l’avenir

Filmé dans un pays en plein soulèvement, Tu mourras à 20 ans porte en lui l’espoir d’un avenir lumineux pour le peuple soudanais, comme pour exorciser le futur confisqué de l’infortuné héros. En écho à cette liberté retrouvée, Amjad Abu Alala glisse un hommage au cinéaste Jadallah Jubarra dans son récit.

Lorsque Muzamil rencontre Suleiman (Mahmoud Alsarraj), client de la supérette où il travaille, celui-ci l’initie à la magie du cinéma. Suleiman projette notamment pour le jeune homme un extrait de Khartoum, un documentaire montrant la vie au Soudan avant l’arrivée du régime islamique en 1989. Muzamil découvre une existence plus libre, avant l’interdiction de la danse et la fermeture des cinémas.

En montrant la vie avant le régime d’Omar el-Béchir, Amjad Abu Alala célèbre la possibilité d’un pays à reconstruire pour le peuple soudanais. Au contact de ces images et des conseils du vieil homme, Muzamil se met à rêver à une autre vie, sans crainte du châtiment suprême.

Tu mourras à 20 ans © Andolfi

Coran alternatif

Film mystique à l’image du rite soufiste qui prédit à Muzamil un funeste destin, Tu mourras à 20 ans porte une réflexion critique sur les croyances et leur influence. Dans le cas du jeune homme, la prédiction l’a poussé vers une ferveur religieuse vide de sens. Persuadé qu’il est condamné, Muzamil entreprend de mémoriser le Coran. Suleiman l’invite à remettre en question cet apprentissage très scolaire du texte sacré et à réfléchir au sens des mots au lieu de les apprendre par cœur.

Le parallèle avec la situation politique du pays s’impose naturellement. Le gouvernement d’Omar-El-Béchir a utilisé l’Islam pour faire taire le peuple. Utilisée à des fins politiques, la croyance est une arme terrible pouvant imposer des décisions devenues indiscutables. Dans la continuité du renversement du régime, Amjad Abu Alala plaide pour une mise à distance nécessaire. Au contact de Suleiman, Muzamil prend ainsi peu à peu conscience qu’il est peut-être passé à côté de sa courte vie.

Tu mourras à 20 ans © Andolfi

Le sens de la vie

Mystique, Tu mourras à 20 ans est également un sujet parfait pour une dissertation de philosophie. Que vaut la vie lorsque sa fin est décrétée d’avance ? Convaincu qu’il va mourir en se noyant, Muzamil évite soigneusement de s’approcher du Nil. Vivant en parallèle du reste de ses amis, il ne va pas à l’école et reste dans la maison familiale, couvé par une mère qui porte déjà son deuil. Les traits tracés sur les murs de l’habitation pour marquer le temps qui passe sont pour le jeune homme un compte à rebours terrible que rien ne semble pouvoir stopper.

En réalité, Muzamil est un mort-vivant : obsédé par sa propre finalité et la pureté de son âme, il s’interdit toute prise de risque. Suleiman tente de le réveiller, l’incitant à vivre sa vie avant qu’il ne soit trop tard. Il encourage le jeune homme à prendre des risques — quitte à se tromper — pour en tirer des leçons. Muzamil est invité à oublier cette prédiction qui le hante depuis toujours et à franchir la ligne jaune des conventions pour sortir d’une zone de confort morbide. À l’image du peuple soudanais s’éveillant d’un cauchemar de trois décennies.

Fable mystique envoûtante, le premier film de Amjad Abu Alala interroge les croyances et certitudes qui pèsent sur nos vies. Quelles soient religieuses ou d’autre nature, Tu mourras à 20 ans nous convie à les observer à distance pour ne pas passer à côté de l’essentiel : essayer, faire des erreurs, recommencer. Bref, vivre.

> Tu mourras à 20 ans (You Will Die at 20), réalisé par Amjad Abu Alala, Soudan – France – Égypte – Allemagne – Norvège – Qatar, 2019 (1h45)

Tu mourras à 20 ans (You Will Die at 20)

Date de sortie
12 février 2020
Durée
1h45
Réalisé par
Amjad Abu Alala
Avec
Mustafa Shehata, Islam Mubarak, Mahmoud Elsaraj, Bunna Khalid, Talal Afifi, Amal Mustafa, Moatasem Rashid, Asjad Mohamed
Pays
Soudan - France - Égypte - Allemagne - Norvège - Qatar