« The Whale », un poids sur la conscience

« The Whale », un poids sur la conscience

« The Whale », un poids sur la conscience

« The Whale », un poids sur la conscience

Au cinéma le 8 mars 2023

Souffrant d'obésité morbide, Charlie vit reclus chez lui. Alors que son état de santé se détériore, il tente de renouer avec sa fille adolescente pour une ultime chance de rédemption. Adaptation d'une pièce de théâtre, The Whale est une réflexion aigre-douce sur le deuil et le pardon qui évite avec grâce le pathos. Un drame intime à la fois cruel et tendrement optimiste, sublimé par la performance de Brendan Fraser, d'une justesse poignante.

Inconsolable depuis la mort de son compagnon, Charlie (Brendan Fraser) a pris énormément de poids et vit reclus chez lui depuis des années. Professeur d’anglais, il assure ses cours par visioconférence, sa caméra soigneusement masquée pour cacher son apparence à ses élèves. Malgré des signes alarmants de détérioration de sa santé, Charlie refuse catégoriquement que son amie Liz (Hong Chau), infirmière à domicile, l’emmène à l’hôpital.

Lorsqu’il prend conscience que la fin est proche, Charlie décide de reprendre contact avec Ellie (Sadie Sink), sa fille adolescente qu’il n’a plus vu depuis ses 8 ans. Malgré sa rancœur à son égard, Charlie veut croire qu’il n’est pas trop tard pour être pardonné et surtout lui transmettre son amour inconditionnel.

The Whale © A24 - ARP Sélection

Généreux huis clos

L’adaptation de la pièce à succès The Whale de Samuel D. Hunter est un projet de longue date pour Darren Aronofsky. Dès sa découverte en 2012 à New York, le réalisateur de Noé (2014) – lire notre critique – a commencé à imaginer une transposition sur grand écran de ce drame familial. Une histoire qui s’inspire de la propre expérience de Samuel D. Hunter lorsqu’il était un étudiant obèse.

Pour adapter sa pièce, Darren Aronofsky a sollicité l’auteur qui signe là son premier scénario pour le cinéma. L’obésité sévère de Charlie, incapable de quitter sa maison, impose un huis clos très théâtral que Darren Aronosfky n’a pas cherché à éviter en ajoutant des scènes extérieures. Le film n’exploite pas pour autant ce sentiment d’enfermement qui pourrait rendre l’atmosphère très glauque.

L’unité de lieu et la privation de liberté imposée à Charlie par son corps colossal, ne se traduisent pas par un sentiment de claustrophobie morbide. Malgré le drame inévitable qui s’annonce, The Whale ne joue pas sur le pathos ou le sordide. Au contraire, le film est entraîné par la vision optimiste – voire naïve – de Charlie persuadé qu’il est encore possible de racheter ses fautes.

The Whale - photo Niko Tavernise / A24 Films - © Palouse Rights, LLC

Requiem for ice cream

La dépendance de Charlie à la nourriture fait irrémédiablement penser à Requiem for a Dream (2000), film coup de poing qui a révélé Darren Aronofsky au monde. En parallèle des diverses addictions de Requiem for a Dream, l’appétence démesurée de Charlie s’inscrit dans la même fuite en avant pour échapper à une réalité insurmontable. La gloutonnerie de Charlie remplit un gouffre émotionnel insondable qui le retire progressivement du monde alors qu’il y prend paradoxalement de plus en plus de place.

Affublé d’une prothèse gargantuesque de plus de 50 kilos, Brendan Fraser incarne cet homme bigger than life au sens littéral, devenu trop imposant pour être totalement libre. Avec une conséquence : un trop plein d’émotions refoulées prêt à lui briser le cœur, définitivement cette fois-ci. Ce sentiment de perte inconsolable s’impose grâce à la performance subtile de Brendan Fraser. Un brillant retour au cinéma qui rappelle celui de Mickey Rourke dans The Wrestler (2008) pour le même cinéaste. Bien loin de l’artificialité divertissante des effets spéciaux datés de La Momie (1999), l’acteur ne laisse pas son imposant corps synthétique phagocyter une humanité qu’il exprime avec toutes ses contradictions et nuances.

Aussi impressionnante qu’elle soit, la carrure mastoc de Charlie n’est d’ailleurs pas un sujet en soi. Elle est avant tout l’expression d’une douleur. Drame intimiste, The Whale invite à se glisser dans la peau de Charlie pour tenter de le comprendre mais le film repose moins sur son obésité que sa cause. L’addiction à la nourriture, évoquée frontalement assez tard dans le film, laisse subtilement la place à deux thématiques intimement liées : le deuil et la rédemption.

The Whale © A24 - ARP Sélection

Appetite for redemption

Médicalement, Charlie s’apprête à succomber à une insuffisance cardiaque. En réalité, c’est un chagrin qu’il n’a jamais eu le courage d’affronter qui va l’emporter. Ce deuil impossible a modifié son corps, l’a isolé du monde et s’apprête à l’y soustraire. Mais, avant cette fin désormais inéluctable, Charlie croit en la rédemption pour quitter ce monde apaisé.

Avec un optimisme forcené, Charlie affronte sa fille adolescente qui a de bonnes raisons de détester ce père qui l’a abandonnée elle et sa mère pour vivre avec l’un de ses étudiants. Meurtrie par ce choix, Ellie ne perd pas une occasion pour rappeler ses torts à ce père qui lui a fait défaut. L’adolescente interprétée par Sadie Sink, grande fan de Kate Bush dans la dernière saison de Stranger Things (2016-2024), en est venue à détester le monde entier au grand désarroi de sa mère dépassée par sa rage.

Impitoyable avec ses personnages, The Whale ne fait rien pour minimiser leurs erreurs motivées par un égoïsme qui laisse des plaies mal cicatrisées. Le poids de la culpabilité sur les épaules de Charlie a pour miroir la défiance de sa progéniture qui s’est transformée au fil des années en une rancœur féroce. Intransigeante et brutale, Ellie est un personnage difficile à aimer. Elle est pourtant tout l’enjeu de l’ultime quête de Charlie qui ne cherche pas seulement à obtenir son pardon mais qu’elle accepte son amour et sa foi en elle.

The Whale © A24 - ARP Sélection

Désarmé du salut

Au-delà du pardon accordé – ou non, The Whale est obsédé par l’idée généreuse d’un salut qui proviendrait d’autrui. Se mettre à la place de l’autre, comme le film invite à le faire pour Charlie, la clé pour se sauver les uns les autres ? Ce message empathique est confronté à la religion lorsque le jeune Thomas (Ty Simpkins) vient frapper à la porte de Charlie. Missionnaire de New Life, un mouvement religieux annonçant l’apocalypse, Thomas vient pour « sauver » Charlie.

Mais l’offre du jeune prédicateur est fraîchement accueillie par le professeur. Au salut religieux promis s’il l’on suit certaines règles, Charlie oppose une chemin plus intime, plus douloureux mais selon lui plus gratifiant et moins hypocrite. Car la compassion a un prix que Charlie semble enfin prêt à payer, en toute honnêteté.

La démarche de Charlie n’est pas celle d’un pénitent cherchant la miséricorde pour éviter le purgatoire ou accéder un éventuel paradis, ni même à l’amour de sa fille dans ses derniers instants. Pour briser la spirale de rejet dans lequel Ellie s’est enfermée, Charlie veut la convaincre qu’elle est quelqu’un de bien et qu’il croit en elle. Ce regard bienveillant qui s’affranchit de tout dogme religieux est le véritable salut que Charlie cherche à transmettre à sa fille.

The Whale - photo Niko Tavernise / A24 Films - © Palouse Rights, LLC

Bien qu’il explore des chemins de traverse qui peuvent laisser perplexe, The Whale se recentre finalement sur cette idée d’une confiance en l’avenir transmise en héritage, bien plus puissante qu’une quête égoïste de pardon. Cette philosophie illumine le film de Darren Aronofsky avec une conclusion sacrificielle particulièrement bouleversante à condition de s’abandonner au tendre optimiste promu Charlie.

> The Whale, réalisé par Darren Aronofsky, États-Unis, 2022 (1h57)

The Whale

Date de sortie
8 mars 2023
Durée
1h57
Réalisé par
Darren Aronofsky
Avec
Brendan Fraser, Sadie Sink, Hong Chau, Samantha Morton, Ty Simpkins
Pays
États-Unis