Le 7 janvier 2015, deux terroristes prennent d’assaut les locaux de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo. Malgré une protection policière, le bilan de l’attaque est très lourd : douze personnes tombent sous les balles des fanatiques extrémistes dont les plus grands dessinateurs de presse français : Cabu, Wolinski, Charb, Tignous et Honoré. Le lendemain, c’est une policière qui est abattue dans la rue. Le 9 janvier, une dernière attaque s’en prend à des juifs et quatre otages sont assassinés dans un magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris.
Hommage à toutes les victimes de ces jours terribles, L’humour à mort se focalise comme son nom l’indique sur l’équipe de Charlie Hebdo à travers des images d’archives de ceux qui ont perdu la vie et des interviews des survivants. Alors que l’horreur a de nouveau frappé au coeur de la capitale le 13 novembre dernier, ce documentaire rend un bel hommage à l’esprit Charlie, tout en posant de nombreuses questions, restées en suspens depuis janvier dernier.
De grands gamins avec des crayons
L’Humour à mort rend hommage à l’hebdomadaire satirique en alternant des images d’archives de Charb ou encore Cabu, tombés sous les balles le 7 janvier, des interviews des survivants à l’attaque et des souvenirs de la mobilisation de soutien qui a réunit des français choqués mais unis dans les rues sous la bannière “Je suis Charlie”. Le film fait également intervenir des personnes extérieures au journal comme Elisabeth Badinter, qui revient sur les événements. Le résultat est assez brouillon, on pourrait même dire bordélique pour rester dans l’esprit Charlie : si les séquences débutent dans l’ordre chronologique, les images d’archives finissent par se mêler sans véritable logique aux interviews d’analyse.
Le retour sur la tragédie du 7 janvier émeut notamment à travers les témoignages de trois survivants, enregistrés quelques semaines seulement après le drame. Riss, directeur de la rédaction au moment de l’attaque, Eric Portheault, directeur financier, et Coco, la dessinatrice qui s’est trouvée dans l’horrible situation de devoir donner accès aux locaux de Charlie Hebdo sous la menace d’une arme, reviennent sur le drame dans des entretiens qui touchent par leur sincérité. Leurs mots, associés aux images d’archives, nous rappellent que ce jour-là c’est une équipe de sales gosses irrévérencieux avec des crayons pour seul arme qui a été décîmée.
Qui est Charlie ?
Cet esprit potache, on le retrouve dans les interviews de Cabu et Charb, réalisées lors du procès intenté contre l’hebdomadaire en 2007. Si lors de ces entretiens Charb reconnaît la provocation inhérente à l’esprit du journal, il s’interroge également sur l’amalgame fait entre ces dessins et une quelconque islamophobie. Pour lui, le dessin de Mahomet – dessiné par Cabu -, qui cache son visage dans ses mains en déclarant qu’il est “dur d’être aimé par des cons”, s’adresse sans aucune ambiguïté aux intégristes religieux, le titre de la une “Mahomet débordé par les intégristes” laissant peu de place au doute.
Malgré cette précaution, ce numéro de Charlie reprenant également, en signe de soutien, les caricatures de Mahomet parues dans le journal danois Jyllands-Posten suscite la colère dans de nombreux pays musulmans. En France, l’Union des organisations islamiques de France, la Grande Mosquée de Paris et la ligue islamique mondiale engagent une procédure contre l’hebdomadaire satirique pour “injures publiques à l’égard d’un groupe de personne en raison de leur religion”.
Si Charlie Hebdo a finalement gagné son procès, le documentaire rappelle qu’au moment de ces publications, et même après la tuerie de janvier, le journal n’a pas toujours été soutenu. Certains médias et intellectuels, par opposition idéologique ou frilosité intellectuelle, n’ont pas hésité à rajouter un “mais” dernière la notion de liberté d’expression. Il est difficile de savoir si Charlie aurait été cette cible si précise pour les terroristes si toute la presse française avait publié les caricatures polémiques mais le documentaire pose en tout cas la question.
Les jours d’après
Au-delà de l’hommage rendu aux victimes, le documentaire entre évidemment en résonance avec les nouvelles tueries du 13 novembre et pose rétrospectivement la question de la prise en compte de la menace terroriste, pas uniquement au niveau des services de renseignement mais également de la société. En janvier, la France choquée s’est réunie dans la rue pour défendre la liberté d’expression, mais a-t-on réellement tiré les leçons de l’horreur et nommé le danger s’interroge Elisabeth Badinter dans le documentaire ? L’ampleur des attentats du 13 novembre nous pousse à remettre totalement à plat notre grille d’analyse face à une menace inédite.
En janvier, la France perdait un part d’innocence, et pour beaucoup c’était une part d’enfance qui disparaissait en même temps que Cabu, le dessinateur chevelu du Club Dorothée. Pour conjurer leur tristesse et leur colère, les Français ont matérialisé leur résistance dans la rue, en scandant “Je suis Charlie” et en achetant, souvent pour la première fois, Charlie Hebdo.
En novembre, les terroristes frappent de nouveau, au cœur de la vie parisienne, de la culture, traumatisant à nouveau le pays. Cette fois-ci, en raison de l’état d’urgence et de la prise de conscience que nous sommes tous visés, les grands défilés cathartiques n’ont pas lieu. Les Français “résistent” en allant boire des verres en terrasse, en assistant à des concerts, en allumant une bougie sur leur balcon ou en l’habillant de bleu blanc rouge. Mais au-delà de ces gestes qui nous rassurent sur les valeurs que l’on partage, il faudra bien, en complément d’un plan Vigipirate épuisé d’être rouge écarlate et des bombardements en Syrie ou ailleurs, mener une véritable guerre idéologique, pour convaincre ceux qui ne se sentaient pas Charlie en janvier dernier et désamorcer les futurs kamikazes de la haine.
L’humour à mort assume son statut de film hommage et le parti pris émotionnel qui en découle. Réalisé en partie avec les rushes du documentaire C’est dur d’être aimé par des cons (2008) qui chroniquait le procès de Charlie Hedbo, ce nouveau film est son complément, moins attaché à la polémique qu’au souvenir des joyeux drilles de Charlie. Une occasion de revoir Cabu, Charb et leurs acolytes et savourer leur insolence, éternelle.
> L’humour à mort, réalisé par Emmanuel Leconte et Daniel Leconte, France, 2015 (1h30)