Dès leur arrivée sur la Terre Promise, les juifs venus d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ont souffert d’un système discriminatoire. Ceux que les israéliens nomment Mizrahim sont considérés comme des citoyens de seconde zone.
Ceux qui rêvaient de s’installer à Jérusalem comme Charlie Boganim, le père de la réalisatrice, sont relégués à la périphérie des villes voire dans des villes construites au milieu de nulle part en plein désert. Pour défendre leurs droits, Charlie Boganim rejoint un mouvement politique s’inspirant des Black Panthers aux États-Unis dans les années 70.
Hommage à son père décédé avant le tournage, Mizrahim – Les oubliés de la Terre Promise est un road-movie qui part à la rencontre de plusieurs générations de Mizrahim. Devant la caméra de la cinéaste, chacun partage son expérience et son combat face à un traitement où il est question d’exil et de discrimination mais aussi de transmission d’une culture invisibilisée.
Père panthère
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le mouvement américain protestataire des Panthères Noires a trouvé un écho à Jérusalem en 1971. Dès sa création, Charlie Boganim rejoint l’organisation dans la ville de Haïfa où il réside. Avec ses camarades, il mène la révolte contre le statut inférieur imposé par le gouvernement isréaëlien aux juifs orientaux.
Au cours de son voyage sur les traces de son père, Michale Boganim rencontre un ancien membre de ce mouvement très mal vu à l’époque par les autorités. Comme les autres intervenants du documentaire, la cinéaste recueille son témoignage sous forme d’un monologue mémoriel. Les paroles s’accumulent pour cartographier une exclusion cyniquement planifiée et encore taboue de nos jours.
Sans lien direct avec leurs cousins américains, les Panthères Noires d’Israël étaient en contact avec les Palestiniens. Ils étaient réunis par la seul parti bi-national de l’époque qui rassemblait des arabes et des juifs. La présence étonnante de ces Panthères en Terre Promise sont la porte d’entrée d’un voyage qui permet à la cinéaste de découvrir le passé de son père et au-delà une implacable exclusion institutionnalisée.
Hommage collatéral
Alors que le documentaire est encore au stade de l’écriture, Charlie Boganim meurt en 2017. Encouragée par sa productrice, Michale Boganim décide de ne pas abandonner le projet et part en Israël avec sa fille. Par une pirouette temporelle, la jeune fille incarne devant la caméra un double de sa mère sur les terres de son enfance.
À travers les décennies, l’exil familial recommence, cette fois-ci pour dépoussiérer le passé et se souvenir. L’envie de comprendre a remplacé l’espoir d’une nouvelle vie en Terre Promise. Ce road trip familial fait écho au court-métrage Mémoires incertaines (2002) que la cinéaste avait consacré à la vie de son grand-oncle pendant la Seconde Guerre mondiale.
Citoyens de seconde zone
En suivant le fil de l’engagement politique de son père, Michale Boganim dénonce la volonté manifeste d’un État de créer des ghettos. Alors qu’ils pensaient pouvoir s’installer à Jérusalem, les Mizrahim se sont retrouvés à la périphérie des villes, autour de Gaza, dans le désert. Des no man’s land qualifiés dans le documentaire de « diagonale du vide ».
Au fil des témoignages, Mizrahim – Les oubliés de la Terre Promise dépasse l’histoire familiale et dépeint un système étatique faisant de ces juifs venus d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient des citoyens de seconde zone. Alors qu’ils représentent la moitié de la population, ces Mizrahim ont été invisibilisés dans les livres d’histoire qui n’évoquent en général que le sort des juifs venus d’Europe.
Construire l’exclusion
L’histoire de cette discrimination a été documentée par Ella Shohat. Exilée à New York, l’universitaire a publié Le sionisme du point de vue de ses victimes juives : les juifs orientaux en Israël, un livre qui revient en détails sur la planification de cet accueil faisant d’eux des exclus dès leur arrivée en Israël.
Michale Boganim s’est inspirée de ces travaux qui expliquent comment la culture arabe a été étouffée, dominée par la culture européenne, pour construire son périple mémoriel. Mais son documentaire n’est pas seulement tourné vers le passé, il est traversé par l’idée des conséquences de ce choix.
De nos jours, ces villes ayant accueilli les Mizrahim se ressemblent toutes. Isolées et très pauvres, elles évoluent en décalage de villes comme Tel Aviv par exemple. Un vide ressenti à travers les images de la cinéaste qui donnent une grande part à ces paysages au fil de son périple.
Héritage
Au-delà de la mémoire, la thématique contemporaine de l’héritage plane sur Mizrahim – Les oubliés de la Terre Promise. Sur le plan formel, cette transmission est omniprésente à travers une lettre lue en voix off. Hommage au père disparu, la missive s’adresse à la fille de la réalisatrice qui incarne à la fois l’avenir, une mémoire et un espoir.
Mais, au-delà de l’histoire familiale, c’est bien celle des Mizrahim qui est mise en perspective et traitée comme un sujet qui reste d’actualité. Alors que la cinéaste s’est heurtée à l’idée qu’il s’agissait d’un passé révolu en préparant le documentaire, elle veut démontrer qu’il s’agit au contraire d’un sujet contemporain dont il faut parler.
Générations désenchantées
Pour la cinéaste, ce traitement réservé aux Mizrahim les a condamnés jusqu’à nos jours à vivre en parallèle du reste de société. Une ghettoïsation froidement décidée qui n’est pas l’apanage de la société israélienne.
Cette exclusion de toute une population trouve un écho saisissant à travers les mots du maire de Yeruham qui déclare : « Quand on accueille mal une population, on le paie pour cent ans. On condamne plusieurs générations. » Un avertissement universel dont on peut constater les conséquences sociales et politiques ailleurs dans le monde.
En exposant cette discrimination sociale des juifs orientaux en Israël, le documentaire aimerait réhabiliter la culture arabe dans le pays. Avec ce constat que cette culture arabe aurait peut-être permis aux Mizrahim d’ouvrir la société israélienne vers les Arabes et les Palestiniens. Un rêve rétrospectif peut-être utopique et naïf mais qui porte un espoir dont la région a bien besoin.
En équilibre entre personnel et universel, Mizrahim – Les oubliés de la Terre Promise est un voyage mémoriel touchant mais également une œuvre résolument politique. Michale Boganim y décrypte le fonctionnement d’un système d’exclusion et expose les cicatrices d’un choix politique inique sur les générations actuelles et futures.
> Mizrahim – Les oubliés de la Terre Promise, réalisé par Michale Boganim, France – Israël, 2021 (1h37)