Dégoûté par la méchanceté des hommes, décidément très décevants depuis cette histoire de pomme, Dieu décide de déclencher un déluge sur la Terre ; humains et bestioles, tout doit disparaître. Seul Noé lui inspire plus confiance que les autres, il lui donne pour mission de construire une arche gigantesque et d’y embarquer ses proches et un couple de chaque espèce animale pour fonder un nouveau monde après le cataclysme.
Docu-réalité
Ce mythe d’une première apocalypse, partagé par les trois grandes religions monothéistes, a été assez peu évoqué au cinéma. Darren Aronosfky propose sa version, très proche du texte biblique, loin des adaptations folkloriques voire parodiques proposées jusque-là. Pour rendre sa vision la plus « réaliste » possible, l’arche monumentale a été partiellement construite, permettant ainsi aux acteurs d’évoluer dans un environnement concret. Et cela fonctionne, les effets spéciaux – pourtant nombreux – sont utilisés à bon escient et servent l’histoire sans chercher à impressionner. Le réalisateur relève haut la main son défi d’une représentation crédible portée par un style visuel saisissant.
Le cas Noé
Le déluge n’occupant que quelques pages dans le texte de la Genèse, Darren Aronosfky et son co-scénariste ont dû se creuser les méninges pour donner de l’ampleur aux personnages. Le film, traité comme un drame familial sur fond de fin du monde, se focalise sur les relations entre Noé (Russell Crowe), sa femme Naameh (Jennifer Connelly) et ses fils Sem, Cham et Japhet. Porté par une foi inconditionnelle, le patriarche sait qu’il doit sauver les animaux mais n’a aucune directive concernant les humains. Une fois sur l’arche, il commence à douter ; et si pour un monde meilleur les animaux doivent être les seuls à survivre ? L’évolution complexe de Noé, seul face à un Dieu silencieux, est l’une des forces du film. On retrouve chez ce père rongé par l’incertitude la fascination du réalisateur pour les personnages obsessionnels, omniprésents dans sa filmographie, de l’informaticien de Pi à la danseuse de ballet de Black Swan.
Film tout public
Entre fidélité au texte biblique et traitement nuancé du personnage de Noé, Darren Aronosfky devrait atteindre son but : un film destiné aussi bien aux croyants qu’aux sceptiques, mais à vouloir plaire à tout le monde il prend le risque de ne satisfaire personne. Les athées retiendront qu’il faut se méfier de ceux qui disent parler au nom d’un dieu, quel qu’il soit, mais l’interprétation très réaliste du mythe risque d’en laisser plus d’un aux portes de l’arche. À l’opposé, les fondamentalistes bibliques, qui cherchent les vestiges de l’arche au nord de la Turquie, embarqueront avec enthousiasme. Hélas, leur plaisir sera vite gâché par l’importance prise par Noé, plus complexe que le fidèle serviteur de Dieu décrit dans la Genèse. Œuvre ouverte aux interprétations, Noé peut également s’analyser comme une métaphore économique ou écologique, avec ou sans intervention divine.
Naviguant entre respect du texte et modernité, Noé peut dérouter certains fidèles du cinéaste qui attendent plus de subversion de la part du réalisateur de Requiem for a dream. La densité psychologique des personnages, Noé en tête, est pourtant un parti pris qu’il faut saluer. Ce souci de placer l’humain et ses doutes au cœur du mythe, au risque de s’attirer les foudres des fondamentalistes, offre un relief salvateur à cette expérience visuelle impressionnante.
> Noé, réalisé par Darren Aronofsky, Etats-Unis, 2014 (2h18)