Au Pérou, à Taïwan et au Sri Lanka, des groupes de jeunes adultes livrent leur quotidien devant une caméra qui les filme avec un procédé très particulier. Qu’ils vaquent à leurs occupations quotidiennes, se perdent dans la nature, font la fête ou confient leurs envies de découvrir d’autres horizons, une caméra à 360 degrés capte ce quotidien entre réel et abstraction.
En mouvement
Pour son nouveau projet, le cinéaste argentin Eduardo Williams s’est de nouveau laissé porter par les rencontres. En promenant sa caméra au Sri Lanka, à Taïwan et au Pérou, il cherche à se perdre comme il invite le spectateur à lâcher prise devant ses images étonnantes, en constante mutation.
Dans ce même esprit de découverte, The Human Surge (2016) filmait des jeunes en Argentine, au Mozambique et aux Philippines. Les personnes filmées dans cette suite qui saute un chiffre – ne cherchez pas The Human Surge 2, il n’existe pas – ont la particularité d’être en mouvement comme le réalisateur. Le sujet, le cinéaste et même les images, tout évolue et tourne sur lui-même dans ce kaléidoscope en guise de carnet de voyage.
Voyages voyages
Melting pot de langues et d’origines, The Human Surge 3 interroge les migrations des jeunes croisés sans jamais indiquer dans quel pays on se situe. D’un pays à l’autre, le film offre une vision en réalité augmentée de ces divers voyages plus ou moins ambitieux et interroge leurs motivations. Les images déformées, parfois proches d’une monstruosité troublante, créent un lien virtuel entre ces pays qui n’ont a priori pas de connexion entre eux.
Ainsi enchaînés, ces rêves de voyages mettent en avant une société mondialisée où la notion de mouvement n’est pas vécue par tous de la même façon. Selon le lieu de résidence, la liberté de déplacement ne possède pas la même définition. De l’évidence à l’impossibilité, The Human Surge 3 capte les nuances d’un monde uniformisé où le déplacement des corps reste tributaire des choix politiques et économiques locaux.
Lands of confusion
Avec son procédé de caméra à 360° et ses images étonnantes, Eduardo Williams joue sur la déformation d’une réalité mouvante. Les plans panoramiques permettent d’en voir plus d’une réalité étirée mais également en constante mutation. Sans indication sur les pays traversés, The Human Surge 3 joue sur le dépaysement total. Hypnotisant, le voyage cinématographique est parfois perturbant.
Cette confusion assumée joue sur nos perceptions. La pure rêverie hallucinatoire invite à perdre ses repères : seule la langue parlée donne un indice – ou non – sur le lieu où l’on se trouve. Les échanges d’une banalité quotidienne entre les jeunes accentuent cette perte de repères qui peut dérouter. Et lorsque la caméra plonge au cœur d’une fête, la pénombre tend l’expérience vers le surréalisme.
Réalité virtuelle
Avec ses 8 objectifs disposés en cercle, la caméra à 360 degrés utilisée propose une vision élargie du paysage dans lequel évoluent les jeunes. L’impression de naviguer à l’intérieur d’une carte virtuelle est omniprésente. Seule différence : nous n’avons pas la main sur où se pose notre regard dans cette réalité panoramique.
Sensible au pas de la personne qui la porte, la caméra possède aussi ses propres mouvements automatisés. Ce mélange entre désir humain – choix du cinéaste sur le cadre puis le montage – et contraintes techniques – mouvements robotiques de la caméra – renforce la confusion face à ces images.
En détournant le rôle initial de la caméra de réalité virtuelle, The Human Surge 3 joue avec une réalité manipulée qui interroge notre propre perception. De pays en pays, perdu dans une mondialisation aux multiples facettes, le spectateur devient un compagnon de voyage de ces quêtes mouvantes et mal définies. Rien n’est stable dans ce film qui instaure un certain vertige, captivant ou perturbant selon que l’on accepte de se laisser guider.
Avec sa vision panoramique expérimentale, The Human Surge 3 intrigue autant qu’il trouble pour sa manière de remettre en cause notre regard sur la réalité cinématographique. Mise en abîme de voyages fantasmés ou réels, ce trip hypnotique invite à se perdre dans des images à la beauté mystérieuse pour ressentir le vertige de migrations humaines très diverses mais motivées par la même nécessité de s’évader.
> The Human Surge 3 (El Auge del humano 3), réalisé par Eduardo Williams, Argentine – Portugal – Brésil – Pays-Bas – Taiwan – Hong Kong – Sri Lanka – Pérou, 2023 (2h01)