« Il mio corpo », à bout de soufre

« Il mio corpo », à bout de soufre

« Il mio corpo », à bout de soufre

« Il mio corpo », à bout de soufre

Au cinéma le 26 mai 2021

Sous le soleil de Sicile, le jeune Oscar récupère de la ferraille dans des mines de soufre abandonnées. À l'autre bout de la ville, Stanley, migrant nigérian, vivote grâce à des petits travaux. Entre réel et fiction, Il mio corpo met en parallèle ces deux destins réunis par une envie d'ailleurs et interroge la routine laborieuse des invisibles évoluant en marge de la société.

Accompagné de son père et de son frère aîné, le jeune Oscar s’évertue à dénicher parmi les gravats de la ferraille pouvant être revendue. Un labeur quotidien qui s’effectue sous l’ardent soleil sicilien dans le paysage désolé des anciennes mines de soufre, activité autrefois florissante sur l’île.

De l’autre côté de la ville, Stanley, jeune réfugié ayant quitté le Nigeria, accepte les petits boulots que le prêtre de la paroisse lui propose. Une façon de survivre dignement face à des alternatives bien plus sombres.

Oscar et Stanley n’ont pas grand chose en commun, à part cet espoir d’une vie meilleure. Peut-être un jour, ailleurs…

Il mio corpo © Sweet Spot Docs - Nour Films

Trilogie insulaire

Ce nouveau film de Michele Pennetta s’inscrit dans le cadre d’une trilogie tournée en Sicile. En 2013, le cinéaste tourne le moyen métrage ‘A iucata sur cette île située au bout de la botte italienne. Un documentaire sur fond de courses de chevaux clandestines.

L’attention du réalisateur se porte sur les personnages marginaux, ces invisibles aux yeux de la société qui sont la face cachée de l’île. Son premier long-métrage Pescatori di corpi (2016) traite de ce thème à travers le destin d’un réfugié syrien.

Dans ce documentaire, le réalisateur expérimente déjà les histoires parallèles dont l’idée est développée également dans Il mio corpo. Ce récit double suivant par alternance le quotidien de Stanley et Oscar n’était pourtant pas prévu ainsi.

Il mio corpo © Sweet Spot Docs - Nour Films

Doublé historique

À l’origine, Il mio corpo devait suivre uniquement la famille de Marco travaillant avec ses deux fils Oscar et Roberto. L’aîné Roberto devait être le personnage principal de l’aventure avant que le jeune Oscar accapare la caméra avec son charisme indéniable.

Puis la thématique de la migration s’est une nouvelle fois imposée au cinéaste et s’est greffée à l’intention initiale. Sur cette île qui abrite l’un des plus grands centres pour migrants d’Europe, Michele Pennetta rencontre Stanley et décide d’inclure son parcours au projet.

D’une certaine façon, ce migrant nigérian est un privilégié car il possède un permis de travail et un titre de séjour. Une chance qui le met à l’abri des moyens de subsistances plus courantes pour ses semblables comme le deal et la prostitution.

Le film est construit en alternant les scènes où Oscar et Stanley vaquent à leur occupations quotidiennes, en s’accordant des pauses pour tenter d’imaginer un avenir plus lumineux.

Il mio corpo © Sweet Spot Docs - Nour Films

Soufre douleur

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la région filmée par Michele Pennetta était la plus riche après Turin grâce à l’exploitation des mines. Jusqu’au tournant des années 70-80, la Sicile était le premier producteur de soufre au monde. Mais les choses ont bien changé. Les mines fermées sont devenues des décharges à ciel ouvert où Oscar fouille pour récupérer le moindre bout de métal bon à vendre.

Dans cette région, le métier de ferrailleur est le plus courant. L’activité symbolise le cruel revers économique qui s’est abattu sur les habitants. Du riche passé il ne reste plus que des vestiges épars. À l’instar de cette statue de vierge trouvée parmi les gravats par Oscar. La madone à la valeur incertaine fait écho à l’univers religieux dans lequel évolue Stanley, aidé par le prêtre de la paroisse.

Il mio corpo © Sweet Spot Docs - Nour Films

La fiction réaliste

Encore plus que dans ses films précédents, Michele Pennetta brouille les pistes entre documentaire et fiction. Il ne s’agit pas d’une posture de la part du cinéaste mais d’une conviction pour celui qui soutient que le documentaire « pur » est impossible.

Michele Pennetta considère en effet qu’à partir du moment où une caméra filme une scène, celle-ci bascule dans la fiction. En passant du temps avec ses « personnages », le cinéaste a réussi à gagner leur confiance. Il capte leur quotidien dans sa simplicité tout en y insufflant une part de romanesque mise en perspective par le montage.

Le résultat oscille entre chronique d’un quotidien laborieux mais jamais misérabiliste et l’espoir d’un avenir meilleur. Il mio corpo est une œuvre sur le fil, en équilibre délicat entre réel et fiction à l’instar de ses plans en lumière naturelle d’une beauté indiscutable qui font écho à la dureté de la situation.

Il mio corpo © Sweet Spot Docs - Nour Films

Que faire ailleurs ?

En suivant Stanley, Il mio corpo invite à reconsidérer les migrants dans leur humanité au-delà de la masse. Stanley émerge ainsi des statistiques souvent tragiques liées aux migrations. À défaut d’avoir un avenir dégagé, Stanley possède un passé. Cette vie antérieure souvent niée après la traversée rappelle sa singularité.

Comme beaucoup avant lui, Stanley est passé du statut de mineur accompagné à clandestin. Un changement qui l’a propulsé du jour au lendemain dans l’insécurité. Par chance, Stanley possède une activité mais la question de sa place dans la société reste posée. Avec son ami il s’interroge : doit-il partir ? Mais pour aller où et faire quoi ?

Le jeune Oscar n’a lui pas de carte d’identité. L’île est une sorte de prison en plein air car pour rejoindre la Calabre il faut voyager en avion ou en bateau. Il mio corpo met en parallèle les deux destins pour faire surgir, au-delà de leurs différences, cette place en retrait de la société interdisant d’envisager sereinement l’avenir.

Sans pathos, Il mio corpo décrit avec une touchante simplicité le quotidien de ces deux âmes réunies par l’espoir d’une vie différente. Il plane sur ce documentaire à la marge de la fiction une mélancolie devant le cycle de ces jours qui se suivent et se ressemblent. Un éternel recommencement à l’image de l’océan charriant inlassablement des vagues de migrants réduits à des chiffres statistiques.

> Il mio corpo, réalisé par Michele Pennetta, Suisse – Italie, 2020 (1h20)

Il mio corpo

Date de sortie
26 mai 2021
Durée
1h20
Réalisé par
Michele Pennetta
Avec
Oscar, Stanley
Pays
Suisse - Italie