« Little Palestine, journal d’un siège », temps de faim

« Little Palestine, journal d’un siège », temps de faim

« Little Palestine, journal d’un siège », temps de faim

« Little Palestine, journal d’un siège », temps de faim

Au cinéma le 12 janvier 2022

En 2013, le régime d'Al-Assad assiège le district de Yarmouk, le plus grand camp de réfugiés palestiniens au monde. Guidé par le besoin impérieux de documenter cette vie confisquée, Little Palestine offre un regard pudique et glaçant sur un siège cruel. Une plongée saisissante et bouleversante dans une temporalité alternative dictée par la faim où la réorganisation sociale renvoie chacun à ses principes.

En 2011, la révolution syrienne éclate dans le contexte mondial du Printemps arabe. Deux ans plus tard, le régime de Bachar Al-Assad commence le siège du quartier de Yarmouk, le plus grand camp de réfugiés palestiniens au monde.

Dans les rues dévastées de ce quartier désormais isolé du reste du monde, Abdallah Al-Khatib témoigne, caméra à la main, des privations quotidiennes. Avec Little Palestine, le réalisateur improvisé rend hommage au courage des habitants pris en otages par un siège qui les prive de tout. Et bouleverse leur rapport au temps.

Little Palestine (Journal d'un siège) © Bidayyat For Audiovisual Arts - Dulac Distribution

Yarmouk, camp martyr

Suite à la guerre de 1948, des réfugiés Palestiniens créent le camp de Yarmouk dans la banlieue sud de Damas en 1957. En 2002, le camp abritait l’une des plus grandes diasporas palestiniennes du monde avec plus de 100 000 réfugiés.

Alors que le pays est divisé par la guerre civile, le régime de Bachar Al-Assad assiège le camp de 2013 à 2015. Peu à peu, les habitants se retrouvent privés de nourriture, d’eau, d’électricité et de médicaments. Pendant le siège, 181 habitants de Yarmouk meurent de faim.

En 2015, Yarmouk tombe dans les mains de l’État Islamique. Sous couvert d’éliminer l’organisation terroriste, les avions russes et l’armée syrienne détruisent 80% de Yarmouk en 2018. Les membres de Daech s’échappent alors dans le désert syrien. Empêchés par le régime de rejoindre leurs maisons détruites, les habitants du camp sont désormais dispersés dans le monde entier.

Little Palestine (Journal d'un siège) © Bidayyat For Audiovisual Arts - Dulac Distribution

Une caméra en héritage

Avant la révolution, Abdallah Al-Khatib travaillait pour l’ONU comme coordinateur des activités et des bénévoles, ainsi qu’à l’UNRWA (Office de Secours et de Travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) comme responsable du Centre de Soutien à la Jeunesse (Youth Support Center) de Yarmouk.

Rien ne prédestinait cet étudiant en sociologie à assumer le rôle de réalisateur lorsque le siège a débuté. Au départ, c’est Hassan Hassan, un ami proche, qui a commencé à filmer le camp dès le début des évènements. Lorsque celui-ci a décidé de fuir le camp, il a confié sa caméra à Abdallah Al-Khatib pour qu’il prenne le relais.

Alors qu’il tentait de franchir clandestinement le checkpoint, Hassan Hassan s’est fait arrêté par les forces du régime syrien qui l’ont torturé à mort. La caméra de son ami en héritage, Abdallah Al-Khatib décide de continuer la captation de ces images quotidiennes. Un besoin impérieux qui se fait dans l’instant, sans penser à un lendemain de plus en plus incertain.

Little Palestine (Journal d'un siège) © Bidayyat For Audiovisual Arts - Dulac Distribution

Ceci n’est pas un film

Little Palestine est un film inédit à plus d’un titre. Son ancrage au sein du camp offre un accès direct aux conditions de vie qui dépasse tout travail journalistique. L’existence même du film a quelque chose de miraculeux. Car, à la base, Abdallah Al-Khatib a tourné ces images sans imaginer qu’un jour il les réunirait au sein d’un film. Comment l’envisager alors qu’il ne savait pas s’il allait survivre au siège ?

Et pourtant, Abdallah Al-Khatib a réussi à échapper à l’enfer du siège. Et ses images, soigneusement confiées à des amis pour ne pas être confisquées et détruites, ont survécu. Ce n’est qu’une fois arrivé en Allemagne où il réside désormais, que le jeune syrien a pu découvrir ce qu’il avait filmé et a décidé de les monter.

Témoignage brut, Little Palestine est un objet filmique à part car il n’a jamais été pensé comme un documentaire. À Yarmouk, il n’y avait qu’un seul cinéma. Abdallah Al-Khati n’y est allé qu’une fois dans sa vie, en 2015. Ce n’était pas pour voir un film mais pour se frayer un chemin à travers ses ruines afin de fuir l’État Islamique.

Little Palestine (Journal d'un siège) © Bidayyat For Audiovisual Arts - Dulac Distribution

Capturer le présent

Ce besoin viscéral de capturer en images le quotidien des habitants de Yarmouk pendant le siège, sans plan prédéfini ou arrière pensée, donne à ce documentaire un statut très particulier. Little Palestine se vit dans le temps présent, aux côtés de ces survivants qui tentent de tenir pour voir un nouveau lever de soleil.

Seul avec sa caméra, Abdallah Al-Khatib n’a pas le statut d’un cinéaste. Pour un groupe d’enfants qu’il filme il est leur entraîneur de foot, bien qu’il ne sache lui-même pas vraiment jouer. Cette proximité instaure une confiance qui transparaît dans leur façon de confier leur pessimisme, avec une franchise poignante. Discrète, la caméra s’immisce dans le quotidien du quartier transformé en une véritable prison à ciel ouvert.

Au fil de journées semblables les unes aux autres, Little Palestine donne à voir des scènes déchirantes sans jamais tomber dans le voyeurisme. Sans savoir si ces images seraient exploitées un jour, Abdallah Al-Khatib s’est fixé des limites. Dans les rushes, il n’y a pas de victime de bombardements ou de cadavre d’une personne morte de faim. La dignité de la démarche renforce la puissance de ce témoignage, collection de scènes se déroulant dans une temporalité alternative.

Little Palestine (Journal d'un siège) © Bidayyat For Audiovisual Arts - Dulac Distribution

So much time to die

Filmé dans l’instant sans pouvoir envisager l’avenir, Little Palestine est hanté par une conception du temps déconnecté des heures qui passent et du cycle naturel des jours et des nuits. Dans un texte intitulé « Les Quarante règles du siège », Abdallah Al-Khatib revient sur son expérience du siège. La première des règles concerne justement le temps.

Le jeune cinéaste l’assure : « La plus redoutable prison de l’assiégé, c’est le temps. » Son film permet d’expérimenter cette sensation d’un temps détaché de l’inévitable succession des secondes. Pour les habitants de Yarmouk, le siège modifie la notion de temporalité.

Une journée n’est ainsi plus définie par le lever ou le coucher du soleil mais par la première et dernière bouchée de nourriture. Dans ce camp où les jours n’existent plus, les déplacements sont liés à la recherche de cette nourriture devenue si rare. Le temps s’étire et la survie devient obsédante.

Little Palestine (Journal d'un siège) © Bidayyat For Audiovisual Arts - Dulac Distribution

Survivre

Au cœur d’un quotidien plombé par l’obsession de s’alimenter, Little Palestine offre des images qui permettent d’échapper brièvement à l’horreur. Des respirations insolites qui nous rappellent que la vie continue, y compris dans cette réalité parallèle où le temps n’existe plus.

Un enfant qui joue avec un ballon ou une chorale improvisée autour d’un piano en pleine rue font partie de ces moments suspendus. Paradoxalement, irréels dans leur apparente normalité. Et il y a Tasnim. Dans une scène marquante, la petite fille au sourire espiègle ramasse des herbes pour nourrir sa famille. Elle collecte dans son sac en plastique cette végétation qui était piétinée avant le siège.

Cette scène est rendue surréaliste par le bruit des bombardements en arrière-plan provenant de la ligne de démarcation, tout près. Un danger qui ne perturbe même plus la jeune fille, symbole d’une vie parallèle où la mort omniprésente est acceptée avec fatalité.

Little Palestine (Journal d'un siège) © Bidayyat For Audiovisual Arts - Dulac Distribution

Assigné à résistance

Le film met également en avant Oum Mahmoud, la mère du cinéaste, qui aide les personnes âgées dans le camp. Une mère courage qui délaisse son rôle de femme au foyer poussée par les circonstances. Abdallah Al-Khatib l’assure, le cas de sa mère n’est pas unique : des dizaines de femmes palestiniennes ont ainsi repris un rôle « public » pendant le siège.

Little Palestine montre sans fard cette réalité du camp assiégé où le changement est à la fois social et intime. Dans ces circonstances terribles, chaque habitant.e doit redéfinir son rôle au sein de la communauté. L’introspection est inévitable. Le siège est un changement radical qui fait ressortir les aspects les plus sombres de chacun mais aussi les plus nobles.

Cette confrontation avec soi-même, dans un temps devenu infini, est probablement l’aspect le plus saisissant de ce cauchemar éveillé. L’expérience est d’autant plus troublante que porter un jugement sur les actions des habitants de Yarmouk, confortablement installé dans un fauteuil de cinéma, serait totalement déplacé.

Documentaire rescapé, Little Palestine est une plongée glaçante au cœur d’un siège destructeur au temps suspendu. Une visite oppressante qui capte avec pudeur et honnêteté le dilemme d’une humanité partagée entre fraternité et survie personnelle.

 

> Little Palestine, journal d’un siège (Little Palestine, Diary of a Siege), réalisé par Abdallah Al-Khatib, Liban – France – Qatar, 2021 (1h29)

Little Palestine, journal d'un siège (Little Palestine, Diary of a Siege)

Date de sortie
12 janvier 2022
Durée
1h29
Réalisé par
Abdallah Al-Khatib
Avec
Abdallah Al-Khatib, Oum Mahmoud
Pays
Liban - France - Qatar