Depuis qu’ils ont été subitement séparés du reste de leur communauté, Marcel, un minuscule coquillage intrépide, et sa grand-mère Connie vivent dans une maison louée sur Airbnb où défilent des humains. Lorsque Dean (Dean Fleischer-Camp), réalisateur de documentaires, investit les lieux, son œil expert remarque aussitôt les deux étranges colocataires.
Lorsque Dean décide de consacrer une vidéo à Marcel et la met en ligne sur Internet, celle-ci devient immédiatement virale. Devant l’engouement pour le jeune coquillage, Dean suggère à Marcel de profiter de cette soudaine et inespérée notoriété pour tenter de retrouver ses proches.
A shell is born
L’histoire de la création de Marcel, coquillage cyclope doté de petites chaussures, est aussi attendrissante que lui. Marcel est le fruit de l’union créative de deux artistes : Dean Fleischer-Camp et Jenny Slate. Réalisateur, Dean est notamment connu pour le documentaire Fraud (2018). Il a également la lourde charge de réaliser le futur film en live action Lilo et Stitch pour Disney.
Actrice, Jenny Slate est également humoriste de stand-up et prête régulièrement sa voix à des films d’animation. Elle incarne notamment Bellwether dans l’excellent Zootopie (2016) – lire notre critique – et Gidget dans Comme des bêtes (2016) – lire notre critique. Jusqu’en 2022, elle prête également sa voix à l’adorable Missy Foreman-Greenwald de la série Big Mouth (2017-2024) parmi d’autres personnages.
Lors d’un mariage, Jenny improvise pour tuer le temps une voix fluette qui deviendra celle de Marcel. Le personnage se concrétise lorsque Dean doit réaliser un court métrage pour accompagner le spectacle d’un ami humoriste. Pour un budget modique de 6 dollars, il assemble une coquille d’escargot, de la pâte à modeler, un œil en plastique et une paire de chaussures provenant d’un coffret Polly Pocket de contrefaçon. Et en moins de 48 heures, Marcel a déjà tourné son premier film !
La toile
Début 2010, ce premier court métrage est mis en ligne sur Internet. Il sera suivi de deux autres en 2011 et 2014 et d’une série de livres développant l’univers autour du petit coquillage. Véritable phénomène, la drôle de créature de deux centimètres de haut rassemble des millions de fans. Une viralité propre à la toile auquel le long métrage fait un clin d’œil en mettant en scène ce passage de petit coquillage anonyme à star incontestée d’Internet.
Dans cette amusante mise en abîme de la médiatisation de Marcel, Dean Fleischer-Camp incarne lui-même le rôle du réalisateur de documentaire. Sa présence participe de cette ambiance meta qui plane sur l’arrivée du coquillage sur grand écran. Mais cet hommage à la magie d’Internet pouvant propulser un petit mollusque dans la lumière du jour au lendemain n’est pas pour autant naïf.
Si Marcel et Connie s’émerveillent devant les millions de vues de leurs vidéos en mangeant du pop corn sur l’ordinateur portable de Dean, le petit coquillage découvre aussi les limites et les travers de cette grande « communauté ». Une grande famille qui reste avant tout une agglomération d’individualités. Quand il faudra lancer un appel pour retrouver sa famille, Marcel se tourne d’ailleurs vers la télévision et la très sérieuse émission d’investigation 60 Minutes. Lesley Stahl, sa journaliste emblématique, se prête d’ailleurs au jeu en incarnant son propre rôle dans le film.
Live émotion
Marcel a patienté une décennie pour passer de l’écran d’ordinateur au grand écran de cinéma mais l’attente est récompensée par une maîtrise technique bluffante. L’utilisation de live-action et de stop-motion au sein de mêmes scènes n’est pas nouvelle mais ici son omniprésence impressionne. Procédé très complexe, le mélange des deux méthodes requiert de filmer chaque scène deux fois : d’abord en live-action avec le décor et les éventuels acteurs humains puis en stop-motion où interviennent Marcel, Connie et leurs semblables.
Pour que le mélange fonctionne, les deux images doivent être parfaitement identiques. Pour ajouter à la complexité, Marcel, le Coquillage (avec ses chaussures) est pensé comme un documentaire pris sur le vif. Ce que l’on voit à l’écran est le film que Dean réalise sur Marcel avec des scènes parfois partiellement floues le temps de faire le point sur son sujet. Parfaitement maîtrisé, ce procédé malin permet de se plonger totalement dans le quotidien du petit coquillage.
La vitalité enjouée qui se dégage du film est également le fruit d’une part d’improvisation. En partie écrit, le script a laissé le champ libre aux improvisations de Jenny Slate qui prête sa voix à Marcel. Une marge de manœuvre que le cinéaste Dean Fleischer-Camp a conservée tard dans la production. Il a ainsi notamment utilisé une confidence d’Isabella Rossellini enregistrée pendant une visite privée de son propre jardin pour en faire une réplique dans la bouche de Connie à qui elle prête sa voix.
Les petits détails
Avec cet état d’esprit ouvert à l’expérimentation, Marcel, le Coquillage (avec ses chaussures) réussit à faire croire au tournage d’un documentaire malgré sa complexité technique. Il plane sur le film une ambiance très artisanale – au sens noble du terme – qui permet de s’immerger complètement dans l’univers de l’attachant coquillage.
Le faux documentaire regorge d’ingéniosité pour exploiter ce monde miniature semé d’embûches pour Marcel dont il parvient toujours à surmonter les difficultés grâce à une tendre naïveté. Même séparé du reste de sa famille, Marcel ne s’avoue jamais vaincu et son optimisme est contagieux. Au point d’imaginer qu’il pourrait en effet retrouver les siens avec l’aide de Dean. Même si cette quête pourrait exiger de lui un grand sacrifice.
Sortir de sa coquille
Aventure aux répliques réjouissantes, Marcel, le Coquillage (avec ses chaussures) ne compte pas uniquement sur le charme discret de l’adorable coquille ambulante pour séduire. Loin d’être un coquillage – seulement – pour les enfants, la création de Dean Fleischer-Camp et Jenny Slate évolue dans un environnement où le moindre petit tracas peut être l’occasion de revendiquer une philosophie de vie.
La grande aventure à laquelle se prépare Marcel fait ainsi écho au poème Les Arbres de Philip Larkin. Habilement placé au sein du film, les vers de ce poème résument le cycle de la vie conçu comme un éternel recommencement où la vitalité se nourrit de l’inévitable perte.
Valeureux coquillage, Marcel va devoir accepter cette évolution naturelle tandis qu’il repousse ce grand saut vers l’inconnu pour ne pas abandonner sa grand-mère Connie qui perd progressivement ses forces. De la découverte d’un monde miniature rendant le quotidien fantastique à la grande aventure d’une vie, les pérégrinations de l’irrésistible Marcel sont très riches en belles émotions.
Prouesse technique au grand cœur, Marcel, le Coquillage (avec ses chaussures) propulse avec succès le mollusque star d’Internet au cinéma. Un transfert qui réussit à conserver le plus important : son âme artisanale. Au-delà de la beauté des images et de son état d’esprit tendrement poétique, l’enfant cinématographique de Dean Fleischer-Camp et Jenny Slate séduit pour cet amour qu’ils portent à leur créature qui transparaît dans chacun de ses plans.
> Marcel, le Coquillage (avec ses chaussures) (Marcel The Shell With Shoes On), réalisé par Dean Fleischer-Camp, États-Unis, 2021 (1h30)