« Swallow », passé difficile à avaler

« Swallow », passé difficile à avaler

« Swallow », passé difficile à avaler

« Swallow », passé difficile à avaler

Au cinéma le 15 janvier 2020

Dans sa maison de rêve, Hunter semble mener une vie idéale auprès d'un mari parfait. Mais à l'annonce de sa grossesse, la jeune femme est prise d'un trouble compulsif énigmatique : elle avale des objets. Viscéralement féministe, Swallow est un périple troublant dans l'univers de la mystérieuse maladie de Pica, symbole du sentiment d'enfermement de son héroïne.

De prime abord, Hunter (Haley Bennett) semble comblée auprès de Richie Conrad (Austin Stowell), son mari. Celui-ci vient de reprendre la direction de l’entreprise familiale et, une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, la jeune femme découvre qu’elle est enceinte. Contre toute attente, l’annonce de cette grossesse entraîne un trouble compulsif du comportement alimentaire chez Hunter, le Pica. Elle ne peut s’en empêcher, elle avale des objets aussi déconcertants qu’une bille, une punaise ou encore des figurines.

Soucieux que cette extravagante obsession porte atteinte à la lignée des Conrad, son époux et ses beaux-parents décident de contrôler les moindres faits et gestes de la future maman pour éviter un drame. Surveillée toute la journée, Hunter se retrouve dans une prison dorée : sous l’emprise de son entourage et de ce trouble énigmatique. Pour comprendre sa maladie, Hunter va devoir affronter un passé douloureux, soigneusement occulté. Un parcours éprouvant mais libérateur l’attend.

Swallow © Stand Alone / Syncopated Films / Charades

Classe indigeste

Dès les premières minutes du film, l’aisance de la famille Conrad saute aux yeux. Lors d’un dîner mondain, Michael, le père, félicite son fils pour avoir repris la direction de l’entreprise familiale. Un poste qu’il « mérite » selon lui. Il y aurait beaucoup à dire sur cette notion de mérite au sein de cette classe dominante : Richie a surtout la chance d’être le fils de son père. Froids et calculateurs, les Conrad apparaissent très vite comme antipathiques. Difficile de s’attacher à de tels personnages, seule Hunter, le regard perdu dans le vide, attire l’attention. Sous le voile des bonnes manières bourgeoises, le désespoir de celle qu’on ignore délibérément est criant.

Le spectateur découvre alors la première violence qui s’impose à la jeune femme : une pression sociale sournoise. Si les beaux parents, Michael (David Rasche) et Katherine (Elizabeth Marvel), ne tarissent pas d’éloges sur leur bru, ils vantent essentiellement sa beauté. Ces compliments orientés ne sauraient masquer un violent mépris de classe. Après tout, comme aime à lui rappeler sa belle-mère, Hunter a eu de la chance de rencontrer Richie. Où et surtout qui serait-elle sans cela ? Prisonnière d’un mode de vie matérialiste, la jeune femme est condamnée à une existence qui semble lui échapper.

Hunter doit se rendre à l’évidence : son mari et ses beaux-parents l’exhibent comme un trophée sans se soucier de ce qu’elle désire vraiment. La fibre artistique de la jeune femme en est réduite à choisir la décoration de la maison. Lorsqu’elle tombe enceinte, la question de mener cette grossesse à terme ne se pose évidemment pas. C’est pourtant cet évènement qui va tout déclencher et bousculer l’équilibre hypocrite qui règne au sein de la famille.

Swallow © Stand Alone / Syncopated Films / Charades

Menu imposé

Subitement, Hunter commence à avaler des objets divers. D’abord une bille, puis une punaise. Elle ne peut expliquer pourquoi elle s’impose l’ingestion parfois douloureuse de ces objets qu’elle récupère ensuite comme des trophées. Pour éviter que cette inquiétante manie n’interfère avec la venue au monde de l’héritier Conrad, Richie et ses parents engage un homme chargé de veiller sur Hunter.

Suivie par une psychiatre, la jeune femme continue pourtant à avaler des objets plus étonnants les uns que les autres. Au contrôle exercé sur elle, Hunter répond en choisissant ce qu’elle ingurgite. Aussi déroutante que soit cette impulsion, il y a une logique qui pousse la jeune femme à absorber ce qui lui passe sous la main. Peu importe la douleur — qui est aussi une façon de se sentir vivante —, Hunter maîtrise ce rituel.

Ce moment où elle avale l’objet lui appartient. Et c’est bien la seule chose qu’elle possède vraiment, qu’elle peut contrôler. Et cet enfant à venir qui a déclenché son trouble ? Si elle semble se réjouir de son arrivée, inconsciemment la situation n’est peut-être pas si évidente.

Swallow © Stand Alone / Syncopated Films / Charades

Pica show

Maladie rare et quelque peu mystique, le Pica est un trouble compulsif qui entre parfaitement en résonance avec la situation de la jeune femme, prisonnière d’une famille faussement bienveillante. Carlo Mirabella-Davis a décidé d’évoquer le sujet en se souvenant de sa grand-mère qui avait, parmi d’autres automatismes, le toc de se laver les mains très fréquemment. Dans les années 50, cette obsession a valu à la pauvre femme de subir des séances d’électrochocs et une lobotomie. À défaut de traitement, c’est une véritable punition qui était alors infligée. Si Hunter est mieux prise en charge, il est évident que le sort de son bébé est la priorité de son entourage.

Pour traiter ce sujet méconnu, le cinéaste s’est rapproché du Dr Rachel Bryant-Waugh. Cette experte mondiale de la maladie de Pica a même réalisé une étude clinique du personnage de Hunter pour mieux cerner ses pulsions. Cette maladie méconnue pousse ceux qui en souffrent à ingérer le plus souvent de la terre (géophagie), de la poussière, de la craie ou encore des cailloux. La trichophagie — le fait de s’arracher les cheveux pour les avaler — peut aussi être rapprochée de cette maladie.

Comme dans Swallow, ce trouble se déclenche souvent au moment de la grossesse. Si sa cause est encore très mystérieuse, il est possible que cette pulsion soit un héritage de notre cerveau animal. Les femmes enceintes et les enfants sont les personnes les plus touchées par ce phénomène rare.

Swallow © Stand Alone / Syncopated Films / Charades

Haley Bennett, également productrice exécutive du film, incarne avec beaucoup de délicatesse cette femme qui tente de reprendre le contrôle de sa vie. L’actrice qui a étonné l’équipe du film en annonçant à la fin du tournage qu’elle était enceinte, au même stade que son personnage, livre une prestation troublante. Haley Bennett incarne avec subtilité ce mélange ambigu de douleur et satisfaction lors de l’ingestion de ces objets. Confronté à ce rituel peu ragoûtant, la fascination se mêle à perplexité. Mais pourquoi Hunter s’inflige-t-elle de tels tourments ?

En amont de l’aval

Sur le canapé de la psychiatre, Hunter lâche soudainement une information primordiale. La confession qui laisse sans voix la spécialiste pourrait expliquer l’irruption soudaine de la maladie liée à l’annonce de sa grossesse. Swallow prend alors un autre chemin : il ne s’agit plus seulement d’une femme dont la grossesse est menacée par un trouble compulsif. Pour triompher de sa maladie, Hunter doit affronter un passé douloureux. Le terme contrôle prend alors un autre sens : Hunter doit fuir sa belle-famille pour se retrouver elle-même et combattre ce qui l’oppresse inconsciemment depuis des années.

Swallow © Stand Alone / Syncopated Films / Charades

Cette confrontation avec ses origines est habilement accompagnée par la réalisation de Carlo Mirabella-Davis. Au fur et à mesure, l’image change pour s’adapter à l’évolution de Hunter. Le cadrage sage du début s’émancipe à l’instar de la coupe de cheveux de la jeune femme, de moins en moins maîtrisée. Autant de détails significatifs qui symbolisent une liberté retrouvée. La conclusion de ce périple incertain —  que le cinéaste a courageusement imposé aux producteurs — est particulièrement puissant et célèbre l’émancipation d’une femme qui reprend totalement le contrôle, de son corps et de son esprit.

Célébration d’une réelle indépendance, Swallow explore habilement l’étonnante maladie de Pica dans cet hymne féministe contre un patriarcat qui reste en travers de la gorge. Surprenante et par moment éprouvante, cette exploration intime est éclairée par une conclusion qui a l’audace d’aller au bout de son propos, quitte à choquer.

> Swallow, réalisé par Carlo Mirabella-Davis, États-Unis, 2019 (1h35)

Swallow

Date de sortie
15 janvier 2020
Durée
1h35
Réalisé par
Carlo Mirabella-Davis
Avec
Haley Bennett, Austin Stowell, David Rasche, Elizabeth Marvel
Pays
États-Unis