Street art : Madame, sous la moustache

Street art : Madame, sous la moustache

Street art : Madame, sous la moustache

Street art : Madame, sous la moustache

13 février 2013

Chez Madame, les hommes sont des femmes, les femmes des hommes. Chez Madame, on s'amuse beaucoup à transgresser les codes du genre. Avec Madame, on a parlé de Street Art, de ses affiches qu'elle colle sur les murs de la ville. Actuellement exposée au Cabinet d'amateur à Paris, Madame raconte, le verbe haut, son amour des vieux papiers, leur réutilisation et détournement à des fins joyeusement "douteuses".

Photo Le Cabinet d'amateur.

« Désolée, je suis en dégaine crade. On est allé coller avec Fred ce matin. » Elle, c’est Madame, ou Madame Moustache. Grande fille brune en jean et baskets, le cheveu broussailleux, lunettes vissées et un sourire chaleureux qui ne quitte pas son visage. Le Fred dont elle parle, c’est Fred le Chevalier, qui colle ces personnages oniriques et poétiques partout où il peut. L’un de ces incontournables du street art parisien qui un jour a contacté Madame parce que son travail lui avait tapé dans l’œil. A lui aussi.

Madame et Fred le Chevalier. Photo DR

Madame nous a donné rendez-vous à l’Olive, où elle a ses habitudes, dans le 18e arrondissement de Paris. Elle tient à conserver son anonymat, parce que « mon travail est bien plus représentatif de ce que je suis que ma tronche »En ce moment, elle participe à une expo collective au Cabinet d’Amateur et en mars prochain, son travail fera l’objet d’une expo solo à la galerie Rue de Beauce. Euphorique, reconnaissante, émoustillée, elle n’en revient pas de ce qui lui arrive. Elle remercie ses amis, ses proches, Internet, l’engouement actuel pour le street art, Citazine… Un peu comme si elle avait reçu un César. Pourtant, c’est normal, son travail vaut le détour. Il est drôle, riche, attachant et complexe.

Photo Dorothée Duchemin

Madame colle depuis deux ans, mais a toujours fait des bidules avec ses mains. Issue d’une famille tourangelle, elle est née dans une famille d’artistes. Avec un grand-père qui a marqué son monde, peintre et scénographe, et un père, peintre et sculpteur. Elle entreprend des études de théâtre pour devenir comédienne durant plusieurs années. « Je n’étais pas très bonne, il fallait bien se rendre à l’évidence. »

Papier, ciseaux, colle

Photo Le Cabinet d'amateur.

Aujourd’hui, elle a 30 ans. Elle colle des affiches en noir et blanc, drôles décalées, loufoques et absurdes. Insensées ? Surtout pas. Patientez jusqu’à la 2ème, la 3ème, voire la 4ème lecture et vous comprendrez que chez Madame, tout a une signification.
Sa matière première, de vieilles revues, magazines dégotées chez Emmaüs, bouquins chinés aux Puces. « J’adore les vieux papiers. Je n’utilise que des publications du début du XXe jusqu’aux années 50/60. Après tout change. Et comme ces nouvelles représentations sont plus proches de moi, j’ai plus de mal à les détourner. » Elle découpe, elle colle, elle compose des images très denses.

Madame et le goût de la mise en scène. Photo DR

Le texte répond aux silhouettes, et inversement. Chaque visuel est construit selon un plan précis, rien n’est laissé au hasard. Dialogues entre le texte et l’image, l’ancien et le moderne, le mur et l’affiche.

Pour ces collages dans la rue, où elle s’applique à trouver le mur caché qui surprendra le badaud, il s’agit d’affiches en noir et blanc. Pinceau, affiches roulées dans le dos, seau de colle, Madame maroufle toujours de jour. Parce qu’ainsi elle est confrontée au public.

Les chats poissons. Photo Madame

Ces affiches sont les reproductions, en plus grand, des originaux qu’elle a élaborés chez elle. Y apparaissent les morceaux de scotch, les agrafes, les différentes couches. Ces originaux, c’est en galerie qu’elle les montre. « C’est important pour moi de ne pas présenter les mêmes œuvres dans la rue qu’en galerie. »

Et sur le noir et blanc de la rue, sa signature, d’un rouge éclatant, tape à l’œil. Madame, soulignée d’une moustache. « Au début, je collais la nuit avec un grapheur. Un jour, il m’a dit, "nénette, il est temps de blaser". Je n’avais aucune idée de ce que pourrait être ma signature. Mais, c’était l’époque où la question de l’utilisation du terme mademoiselle se posait. Je trouvais ça tellement débile de perdre du temps à ça que ça m’a inspiré. Souligné avec une moustache. Parce que, qui porte la moustache ? Ça veut dire quoi porter la moustache ? » Et voici l’un des symboles de la virilité marié à Madame, qui pourrait bien aussi avoir les poils qui poussent.

Photo Le Cabinet d'amateur.

La transgression, omniprésente 

Armée des ces vieux papiers, elle recrée de nouvelles images, modernes, et décline des thèmes on ne peut plus contemporains. Si Madame nous berce dans une ambiance surannée, elle s’attache à fouiller un thème on ne plus actuel, la question du genre. Qui est un homme, qui est une femme ? Transgenre, ça veut dire quoi ?

Madame est un homme comme les autres. Photo Madame

Elle n’est pas féministe, elle n’est pas militante, elle n’est pas radicale. Elle se demande surtout pourquoi on perd un temps pareil, une telle énergie à réfléchir à ces questions. « Moi, je suis une femme dans le regard des autres mais c’est tout. Je suis avant tout moi-même. » Ce qui l’ennuie terriblement, ce sont tous ces bavardages inutiles sur des questions qui, la tolérance aidant, ne devraient plus poser de problème. « Je ne comprends pas ce temps perdu. Qu’est-ce qu’on en a à foutre ! » On rit. La pudeur est titillée. C’est cul, c’est transgressif et provocateur. Chez Madame, l’homme est une femme comme les autres. Madame porte une moustache, Monsieur, une jolie robe. Des poissons pénètrent partout où ils peuvent.

Photo Le Cabinet d'amateur.

Photo Le Cabinet d'amateur.

Mais sous son apparente légèreté, le sujet est pourtant grave. Du moins habituellement grave pour les anti comme pour les défenseurs des causes trans, homo, bi, hétéro… Et cette légèreté nous embarque, elle fait du bien, dédramatise, permet de sourire et de prendre du recul. « Moi quand j’étais petite on me traitait de garçons manqué, ensuite de boudin et maintenant on me prend souvent pour un mec. C’est proche de moi, et j’aime en parler avec légèreté. » Madame, vous reprendrez bien un peu de moustache.

> Madame participe à l’exposition "Love, etc" au Cabinet d’Amateur, 15, rue de la forge royale, jusqu’au 24 février 2013. 

> Madame à galerie rue de beauce, 3, rue de Beauce, du 25 mars au 31 mai 2013.