Détenu depuis des années dans le centre pénitentiaire de Sing Sing pour un meurtre qu’il n’a pas commis, John « Divine G » Whitfield (Colman Domingo) consulte sans relâche les livres de droit pour tenter de faire reconnaitre son innocence. Lorsqu’il n’est pas accaparé par cette longue et désespérante quête judiciaire, Divine G s’évade sur les planches grâce à l’atelier théâtre réservé aux détenus. Qu’il écrive les pièces ou performe sur scène, ces moments suspendus lui permettent de retrouver une part de liberté et de dignité.
Comme le reste de la troupe, il est surpris de voir Divine Eye (Clarence Maclin), l’un des détenus les plus violents du centre pénitentiaire, se présenter aux auditions pour rejoindre le programme. Auprès des apprentis comédiens, le caïd redouté trouve cependant peu à peu sa place. Il apprend à endosser la peau d’un autre, pour mieux se retrouver lui-même.
Réinsérer
Cette immersion carcérale et théâtrale très réussie est l’œuvre de Greg Kwedar et Clint Bentley. Les deux cinéastes travaillent de concert depuis le début des années 2010, l’un produisant les films réalisés par l’un et vice versa. Leur thème de prédilection, les relations humaines dans des contextes improbables, ont déjà donné naissance à Transpecos (2016), réalisé par Kwedar, et Jockey (2021), mis en scène par Bentley et présenté au festival de Sundance en 2021.
Les deux auteurs possédaient une prédisposition pour réaliser ce nouveau projet car ils ont enseigné la mise en scène à la prison de haute sécurité de Greenhaven dans l’État de New York. Une expérience qui donne du sens au mot réinsertion. L’intérêt pour le sujet provient également de chiffres montrant l’efficacité du programme new-yorkais de réinsertion par l’expression artistique (RTA).
Alors que le taux de récidive est de plus de 60% à l’échelle nationale, moins de 5% des détenus ayant participé au programme du RTA retournent en prison. Un bilan incarné dans le film par d’anciens détenus qui jouent leur propre rôle insufflant au film de Greg Kwedar une puissance quasi documentaire qui donne de la légitimité au message d’espoir qu’il porte.

Comédie carcérale
Si les scènes intérieures de Sing Sing n’ont pas pu être tournées dans la célèbre prison créée en 1826 à Ossining, à 60 km environ de New York, le film joue la carte du réalisme. Et pour cela, il s’inspire directement de ceux qui ont donné vie à ce programme théâtral. Greg Kwedar est entré en contact avec Brent Bruell. Dramaturge, acteur et directeur de théâtre, Bruell a été bénévole pendant plus de dix ans au sein du RTA.
Sing Sing s’inspire notamment de ses souvenirs pour (re)mettre en scène Breakin’ the Mummy’s Code, une pièce de théâtre loufoque montée à l’époque par des détenus. Suivant la suggestion inattendue de Divine Eye, la troupe opte en effet dans le film pour une comédie, histoire de changer d’air en délaissant un temps le classicisme de Shakespeare. Paul Raci, révélé dans l’excellent Sound of Metal (2019) – lire notre critique -, excelle dans la peau du dramaturge à l’écoute des aspirants comédiens.
Le reste du casting est au niveau avec les deux « Divine » au cœur de cette histoire de rédemption : le sage Divine G et l’insaisissable Divine Eye. Deux personnalités aux caractères antagonistes qui se confrontent, se jaugent et finissent par s’adopter mutuellement. Deux rôles interprétés par des comédiens symboles de l’atmosphère de sincérité touchante qui plane au-dessus du film.
Non coupable
Au fil de l’avancée du projet, la participation active des anciens du RTA au tournage s’est avérée évidente pour le réalisateur. Ainsi le véritable John « Divine G » Whitfield, arrêté à l’été 1988 pour un meurtre qu’il n’a pas commis, a partagé son expérience de décennies d’enfer dans les pires prisons avant d’échouer à Sing Sing. Auteur de quatre romans et de pièces de théâtre pour le RTA, il n’a cessé pendant sa détention de s’instruire sur les démarches judiciaires pour défendre son innocence et aider ses codétenus dans leurs déboires judiciaires.
Son destin d’une terrifiante injustice est porté à l’écran par l’impeccable Colman Domingo remarqué dans la série à succès Euphoria (2019 – ), le très beau Si Beale Street pouvait parler (2018) de Barry Jenkins – lire notre critique -, Selma (2014) d’Ava DuVernay ou plus récemment Candyman (2021) de Nia DaCosta – lire notre critique. L’acteur qui a débuté sa carrière en donnant des cours d’initiation artistique dans des lycées s’est longtemps entretenu avec John « Divine G » Whitfield pour ne pas trahir à l’écran sa personnalité.
La performance intense de Colman Domingo, entre altruisme et combat pour son honneur, lui vaut, pour la seconde année consécutive, une nomination à l’Oscar du meilleur acteur. Sa prestation est d’autant plus marquante que son partenaire de jeu principal est lui aussi impeccable, malgré son statut d’amateur en face d’une caméra. L’un acteur professionnel, l’autre non, les deux « Divine » subliment le film. Colman Domingo en s’appropriant avec une sincérité bouleversante la vie volée de John « Divine G » Whitfield, Clarence Maclin en rejouant de façon troublante son propre rôle d’ancien détenu.
Retour gagnant
Lorsque les cinéastes l’ont rencontré, l’évidence s’est imposée : Clarence « Divine Eye » Maclin devait (re)jouer lui-même sa découverte salvatrice du théâtre lorsqu’il était incarcéré. Et le pari s’avère payant. Il y a une sorte de vertige à voir l’ancien détenu revenir en arrière pour endosser à nouveau devant les caméras le rôle du caïd qui faisait fortune en vendant de la drogue au sein de la prison et extorquant de l’argent aux plus faibles.
Cette position de toute puissance dans le microcosme carcéral rend d’autant plus énigmatique son envie de rejoindre la troupe de théâtre pour se mettre à nu. Si Clarence Maclin assure avec malice qu’il a rejoint la troupe pour être se rapprocher des femmes qui participaient au programme, la sincérité l’oblige à évoquer une autre raison, un terme tabou en prison : la liberté. Car jouer c’est être libre, saisir la possibilité d’être un autre pour quelques heures et exprimer ses émotions, en avançant masqué.
Rejoindre le RTA permet de s’échapper tout en exprimant ce qu’on ne peut pas dire sur soi une fois le costume retiré. Un paradoxe renforcé par l’aspect méta de cet acteur jouant son propre rôle. Pour Clarence Maclin le retour dans ce Sing Sing cinématographique est particulièrement troublant et touchant grâce au jeu magnétique de l’acteur amateur. Alors que 85% des acteurs du film sont d’anciens détenus de la prison, Sing Sing s’avère une œuvre d’une authenticité désarmante.
En mêlant avec grâce le réel et la fiction, Sing Sing offre une réflexion lumineuse, par son propos et sa forme, sur la possibilité d’une rédemption dont la graine d’espoir germe dans une (ré)incarnation théâtrale. Une ode lumineuse à l’art comme échappatoire à son environnement mais surtout à soi-même pour mieux, lors du baisser de rideau, se retrouver.
> Sing sing réalisé par Greg Kwedar, États-Unis, 2023 (1h46)